Le procès de Viviane Amsalem

Viviane Amsalem demande le divorce depuis trois ans, et son mari, Elisha, le lui refuse. Or en Israël, seuls les Rabbins peuvent prononcer un mariage et sa dissolution, qui n'est elle-même possible qu’avec le plein consentement du mari. Sa froide obstination, la détermination de Viviane de lutter pour sa liberté, et le rôle ambigu des juges dessinent les contours d’une procédure où le tragique le dispute à l'absurde, où l'on juge de tout, sauf de la requête initiale...

Entretien avec Ronit et Shlomi Elkabetz, les réalisateurs

Le titre annonce un procès, quel est le conflit ?

Viviane épuisée par son mariage, a quitté depuis plusieurs années le domicile conjugal, et veut un divorce en bonne et due forme pour ne pas être mise au ban de la société. Encore aujourd’hui, le mariage civil n’existe pas en Israël, seule la loi religieuse s’applique, et stipule que seul le mari peut accorder une séparation. Pourtant Viviane veut compter sur la justice, sur la Loi, pour obtenir ce qu’elle estime être son droit. Mais Elisha s’obstine à refuser cette séparation, et Viviane s’obstine à la vouloir.

Ce conflit est-il lié à l’appartenance d’une communauté en particulier ? À une époque révolue ?
Aujourd’hui en Israël, toute communauté confondue, que les époux soient religieux ou complètement laïcs, le mariage est régi par le droit religieux. Quand une femme dit « Oui » sous le dais nuptial, elle est considérée aussitôt comme potentiellement « privée du gett de divorce » puisque seul l’époux peut en décider. La loi donne ce pouvoir exorbitant au mari. Les rabbins prétendent qu’ils font tout pour aider les femmes, mais, en réalité, dans le huis-clos des tribunaux, la réalité est différente : il est de leur devoir sacré de tout faire pour préserver un foyer juif, et sont réticents à faire passer le désir de rompre au-dessus du devoir religieux.

Quand situer Le Procès de Viviane Amsalem ?
Aujourd’hui. Comme cette Loi n’a jamais évolué, la question n’est pas de savoir « quand », mais « pendant combien de temps » se déroule la procédure. Le temps précieux que perdent ces femmes qui réclament leur acte de divorce ne revêt aucune importance aux yeux du mari, des rabbins et de la Loi. Ce temps perdu n’a de valeur que pour la malheureuse qui supplie de revenir à la vie. Car tant qu’elle n’est pas formellement séparée, une femme vivant hors du domicile conjugal ne pourra jamais refonder un foyer et les enfants qu’elle pourrait avoir hors de son mariage auraient le statut de « mamzer » (équivalent à celui de bâtard sans aucune protection ou reconnaissance juridique). Par ailleurs, cette loi lui interdit toute vie sociale, car on la soupçonnerait d’une liaison avec un homme, ce qui l’empêcherait pour toujours de recevoir l’acte de divorce, si l’époux persiste dans son refus. Une femme qui attend son acte de divorce est condamnée à une forme de prison.

Donc, c’est un film sur la parole : bonne ou mauvaise foi, ruses, témoignages, plaidoiries… A chacun sa vérité ?
A chacun sa vérité, en effet. Mais nous jouons aussi sur les niveaux de langage : la langue profane versus la langue sacrée. La comédie versus la tragédie. Au tribunal, le niveau de langage soutenu apporte une étrangeté lorsqu’il est utilisé pour évoquer des faits quotidiens au Tribunal. Une étrangeté presque méprisante pour les membres de la communauté qui s’y expriment. D’ailleurs, nous avons aussi utilisé cette distorsion pour le jeu des acteurs : le niveau de langage soutenu du tribunal les a contraint à une gestuelle particulière derrière laquelle ils ont pu s’abriter. Ce qui nous a aussi beaucoup guidés pendant l’écriture et la création des personnages, c’était de produire de la compassion. Malgré la rigueurde cette loi, administrée par des rabbins qui peuvent sembler inhumains, nous avons voulu voir ces moments où ils cèdent à un peu plus d’humanité, où l’on peut repérer leur désarroi, conscients que cette affaire aurait pu les concerner eux-mêmes, leur femme, leur fille, leur voisine, leur tante...

La force du film vient en partie de l’alternance des tons. Pourquoi avoir voulu que s’y côtoient le tragique, la comédie, la révolte, la farce ?
L’essence même de cette histoire est tragique. Son déroulement est absurde et parfois ridicule. La drôlerie vient de ce contraste. L’existence de cette loi est absurde : une loi religieuse qui s’impose à tous, religieux comme laïques. Nous-mêmes, nous n’arrivons pas à croire qu’en 2014, dans notre société apparemment démocratique, une femme puisse être considérée comme la propriété de son mari. Et puis il y a quelque chose d’absurde dans cette obstination des juges rabbiniques à gagner du temps, à repousser les débats, à déboussoler la plaignante pour qu’elle renonce à sa volonté, et ainsi à « sauver » encore un autre foyer juif de la « catastrophe ».

Drame judiciaire israëlien de Ronit et Shlomi Elkabetz.

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