Le travail de nuit doit être exceptionnel

Selon la Cour de cassation dans l'affaire « Sephora », « Le travail de nuit doit toujours présenter un caractère exceptionnel et ne peut constituer un mode normal d’organisation ». En effet, un employeur ne peut demander à ses salariés de travailler la nuit qu'à la condition que ce soit indispensable pour le fonctionnement de l’entreprise ou bien parce que l’activité doit rester continue ou encore parce qu’elle assure un service d’utilité publique comme les hôpitaux par exemple. Selon la Cour, ce n'est pas le cas d'une grande surface de parfumerie comme Sephora...

Extrait de l’arrête de la Cour de cassation, civile, chambre sociale du 24/09/2014. N° de pourvoi 13-24851.

« La cour de cassation, chambre sociale, a rendu l'arrêt suivant : 

Attendu, selon l'arrêt attaqué, que le syndicat des employés du commerce Ile-de-France - UNSA, l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, le syndicat CGT - Force ouvrière des employés et cadres du commerce de Paris, la fédération des employés et cadres de la CGT Force ouvrière, le syndicat SUD commerces et services Ile-de-France et le syndicat commerce interdépartemental d'Ile-de-France CFDT (les syndicats) ont saisi un tribunal de grande instance, statuant en référé, pour qu'il soit interdit, sous astreinte, à la société Sephora (la société) d'employer des salariés, d'une part, de 21 heures à 6 heures du matin dans son magasin des Champs-Elysées à Paris et, d'autre part, le dimanche dans son magasin situé Cour Saint-Emilion à Paris ; 

Sur l'irrecevabilité des deuxième et cinquième moyens : 

Vu l'article 23-2, alinéa 3, de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 ; 

Attendu qu'il résulte de ce texte que le refus par une juridiction relevant du Conseil d'Etat ou de la Cour de cassation de transmettre une question prioritaire de constitutionnalité ne peut être contesté qu'à l'occasion d'un recours contre la décision réglant tout ou partie du litige, cette contestation prenant la forme d'un nouvel écrit distinct et motivé qui pose à nouveau la question prioritaire de constitutionnalité qui a fait l'objet du refus de transmission ;

Que les deuxième et cinquième moyens, qui font grief à l'arrêt de refuser de transmettre les questions posées, sont en conséquence irrecevables ; 

Sur le premier moyen : 

Attendu que la société Sephora fait grief à l'arrêt de lui ordonner de cesser d'employer des salariés entre 21 heures et 6 heures dans son établissement situé avenue des Champs-Elysées à Paris sous astreinte, alors, selon le moyen :

1°/ que dans un mémoire distinct et motivé, elle a contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution de l'article L. 3122-32 du code du travail, applicable en la cause, en ce qu'il méconnaît les principes constitutionnels de clarté et de précision de la loi, de compétence législative, de légalité des délits et des peines et de sécurité juridique et en ce qu'il porte de plus fort atteinte aux libertés d'entreprendre et du travail et au principe d'égalité devant la loi ; que la déclaration d'inconstitutionnalité que prononcera le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique ;

2°/ que dans un mémoire distinct et motivé, elle a également contesté la conformité aux droits et libertés garantis par la Constitution des articles L. 3122-32, L. 3122-33 et L. 3122-36 du code du travail, pris en leur ensemble, applicables en la cause ; que la déclaration d'inconstitutionnalité que prononcera le Conseil constitutionnel sur le fondement de l'article 61-1 de la Constitution du 4 octobre 1958 entraînera par voie de conséquence la cassation de l'arrêt attaqué pour perte de fondement juridique ;

Mais attendu que par décision n° 2014-373 QPC du 4 avril 2014, le Conseil constitutionnel, saisi des questions prioritaires de constitutionnalité posées par la société, a décidé que les articles L. 3122-32, L. 3122-33 et L. 3122-36 du code du travail sont conformes à la Constitution ; que le moyen est devenu sans objet ;

Sur le troisième moyen :

Attendu que la société fait le même grief à l'arrêt, alors, selon le moyen :

1°/ que, selon l'article L. 3122-32 du code du travail, le recours au travail de nuit est exceptionnel ; que ce texte établit un critère d'appréciation d'ordre général qui implique que le juge vérifie concrètement si le recours au travail de nuit a une nature exceptionnelle eu égard à la situation précise de l'employeur, sans prohiber par principe le recours au travail de nuit dans certains secteurs ou branches d'activité ; qu'en retenant au contraire que le caractère exceptionnel visé à l'article L. 3122-32 du code du travail (¿) s'apprécie au regard du secteur d'activité pour lequel le travail de nuit est inhérent ou pour lequel il n'existe pas d'autres possibilités d'aménagement du temps de travail, ce qui n'est pas le cas des commerces de parfumerie, la cour d'appel, jugeant ainsi que le recours au travail de nuit s'apprécie uniquement au regard du secteur d'activité et qu'il est par nature prohibé dans les commerces de parfumerie, a ajouté une condition à la loi et a violé l'article L. 3122-32 du code du travail ;

2°/ que remplit nécessairement la condition posée par l'article L. 3122-32 du code du travail, tenant à son caractère exceptionnel, le recours au travail de nuit limité à une part très restreinte des effectifs et des établissements de l'employeur et/ou cantonné à un seul magasin présentant une situation unique en termes d'emplacement ; qu'en l'espèce, présente un tel caractère exceptionnel le recours au travail de nuit au sein du magasin de l'avenue des Champs-Elysées, d'une part, dans la mesure où cette ouverture de nuit n'est mise en oeuvre que dans ce seul établissement parmi les trois cents établissements que compte la société et ne concerne qu'une infime partie de ses effectifs (à peine 2 % des salariés de la société), et, d'autre part, en raison de l'emplacement d'exception de ce magasin de l'avenue des Champs-Elysées dont l'ouverture de nuit offre des perspectives incomparables en termes d'exposition commerciale, de niveau d'activité et de répercussions pour l'image et la notoriété de la marque à l'échelle mondiale ; qu'en retenant néanmoins que le recours au travail de nuit limité à ce seul magasin ne présentait pas un caractère exceptionnel, la cour d'appel a violé l'article L. 3122-32 du code du travail ;

3°/ que, selon l'article L. 3122-32 du code du travail, le recours au travail de nuit doit également être justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale ; qu'en vertu de ce second critère d'ordre général, le recours au travail de nuit est régulier lorsqu'il s'avère nécessaire au fonctionnement interne de l'entreprise, de la branche d'activité ou du secteur géographique dans lequel l'employeur intervient ; que, tel que soutenu par la société dans ses conclusions d'appel, cette condition était remplie compte tenu, en premier lieu, de la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique de l'avenue des Champs-Elysées après 21 heures, indispensable au maintien de l'attractivité de cette avenue hautement prisée par les touristes internationaux pour ses attraits en termes de shopping en soirée et, en second lieu, de la nécessité d'assurer la continuité économique de la ville de Paris en raison de la forte perte d'attractivité touristique qui découlerait de la fermeture en soirée des enseignes des Champs-Elysées ; qu'en retenant au contraire que l'attraction commerciale liée à l'ouverture de nuit de l'établissement (...) ne constitue pas une nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique, la cour d'appel a violé l'article L. 3122-32 du code du travail ;

4°/ que le critère de recours au travail de nuit tiré de la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale, prévu par l'article L. 3122-32 du code du travail, doit être interprété à la lumière des dispositions de l'article R. 3122-16 du même code selon lequel lesdites exigences de continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale s'apprécient au regard des contraintes propres à la nature de l'activité ou au fonctionnement de l'entreprise qui rendent nécessaire le travail de nuit ; qu'il résulte de l'application combinée de ces deux textes que la nécessité de recourir au travail de nuit est également établie en cas de contraintes propres au fonctionnement de l'entreprise ; qu'en l'espèce, pour justifier la nécessité du travail de nuit, elle invoquait précisément dans ses conclusions d'appel, en plus de l'exigence de maintien de l'activité touristique en soirée et l'impossibilité de faire stationner ses véhicules de livraison en journée sur les Champs-Elysées, l'impossibilité de procéder au « remplissage » des linéaires du magasin pendant la journée compte tenu des volumes exceptionnels de produits référencés, de la très grande superficie du magasin et des volumes hors norme de vente ; qu'en se bornant néanmoins, pour juger que n'était pas rempli le critère tenant à la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique, à écarter l'existence d'une contrainte tenant au secteur d'activité liée aux exigences « d'attraction commerciale » et aux « difficultés de livraison » sur l'avenue des Champs-Elysées, sans tenir compte de ce moyen tiré de l'existence d'une contrainte liée au fonctionnement de l'entreprise imposant l'ouverture de nuit du fait de l'impossibilité de procéder au remplissage des linéaires en journée, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

5°/ que s'agissant d'un établissement qui réalise 20 % de son chiffre d'affaires au cours des horaires de nuit, l'obligation de fermeture après 21 heures porte encore atteinte à la « continuité de l'activité économique » compte tenu de la continuité de l'activité de vente après 21 heures auprès d'une clientèle propre au lieu concerné ; qu'en affirmant le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 3122-32 du code du travail ;

6°/ qu'en retenant que les critères érigés par l'article L. 3122-32 du code du travail pour le recours au travail de nuit tenant à la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale sont cumulatifs, cependant qu'ils présentent en réalité un caractère alternatif, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

7°/ qu'en retenant que l'article L. 3122-32 du code du travail justifiait qu'il soit ordonné à la société de ne plus employer de salariés après 21 heures dans son magasin de l'avenue des Champs-Elysées, la cour d'appel a violé le principe fondamental de liberté du travail garanti par les articles 4-2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, 5-2 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 1er de la Charte sociale européenne et 23 de la Déclaration universelle des droits de l'homme ;

8°/ que l'existence d'une contestation sérieuse sur le principe de l'obligation fondant la demande en référé et donc sur l'existence d'un trouble manifestement illicite fait obstacle à ce que soient ordonnées des mesures conservatoires ou de remise en état ; qu'en l'espèce, en considérant, pour déduire l'existence d'un trouble manifestement illicite, que l'ouverture du magasin de l'avenue des Champs-Elysées après 21 heures était illégale au regard des dispositions de l'article L. 3122-32 du code du travail, la cour d'appel, en statuant comme elle l'a fait, a tranché une contestation sérieuse sur l'existence même du trouble allégué qui le prive de tout caractère manifestement illicite et a violé les articles R. 1455-6 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;

9°/ que l'existence d'un trouble manifestement illicite suppose à tout le moins une violation manifeste des dispositions légales ou réglementaires ; qu'en l'espèce, en présence d'une contestation sérieuse portant sur la question du non-respect des conditions légales d'emploi de salariés après 21 heures, de l'absence de toute violation des impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs de nuit découlant de l'ouverture après 21 heures, et plus encore du constat selon lequel la majeure partie des salariés souhaitait travailler la nuit, la cour d'appel n'a nullement caractérisé l'existence d'un trouble manifestement illicite justifiant qu'il soit ordonné à la société de ne plus employer de salarié après 21 heures ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a violé les articles R. 1455-6 du code du travail et 809 du code de procédure civile ;

Mais attendu, d'abord, que selon l'article L. 3122-32 du code du travail interprété à la lumière de la directive 93/104 du 23 novembre 1993 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, le recours au travail de nuit est exceptionnel. Il prend en compte les impératifs de protection de la santé et de la sécurité des travailleurs et est justifié par la nécessité d'assurer la continuité de l'activité économique ou des services d'utilité sociale ; qu'il en résulte que le travail de nuit ne peut pas être le mode d'organisation normal du travail au sein d'une entreprise et ne doit être mis en oeuvre que lorsqu'il est indispensable à son fonctionnement ;

Attendu, ensuite, que le fait pour un employeur de recourir au travail de nuit en violation des dispositions légales susvisées constitue un trouble manifestement illicite ;

Et attendu qu'ayant relevé que la société, qui exerce dans un secteur, le commerce de parfumerie, où le travail de nuit n'est pas inhérent à l'activité, ne démontrait pas qu'il était impossible d'envisager d'autre possibilité d'aménagement du temps de travail, non plus que son activité économique supposait le recours au travail de nuit, dès lors que les difficultés de livraison alléguées ne nécessitaient pas pour autant que le magasin fût ouvert à la clientèle la nuit et que l'attractivité commerciale liée à l'ouverture de nuit du magasin des Champs-Elysées ne permettait pas de caractériser la nécessité d'assurer la continuité de l'activité, et alors qu'il ne résulte ni de l'arrêt ni des productions qu'une quelconque violation des dispositions tant de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, ou encore de la Déclaration universelle des droits de l'homme, a été invoquée par la société devant les juges du fond, la cour d'appel en a exactement déduit l'existence d'un trouble manifestement illicite ;

D'où il suit que le moyen, irrecevable comme nouveau et mélangé de fait et de droit en sa septième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;

Sur le septième moyen :

Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ce moyen qui n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;

Mais sur le quatrième moyen :

Vu les articles 61-1 et 62 de la Constitution ;

Attendu que l'arrêt attaqué a ordonné à la société de cesser d'employer des salariés le dimanche dans son établissement situé Cour Saint-Emilion à Paris, sans disposer d'une autorisation exécutoire, l'arrêté préfectoral du 25 juillet 2012 lui ayant accordé une dérogation au repos dominical pour une durée d'un an ayant fait l'objet d'un recours aux fins d'annulation devant la juridiction administrative ;

Mais attendu que suivant décision n° 2014-374 QPC du 4 avril 2014, applicable à toutes les affaires non jugées définitivement à la date de sa publication effectuée le 5 avril 2014, le Conseil constitutionnel a déclaré contraire à la Constitution l'article L. 3124-24 du code du travail aux termes duquel le recours formé contre la dérogation préfectorale présente un caractère suspensif ;

Que cette décision prive de fondement juridique l'arrêt attaqué qui doit être annulé ;

Vu l'article 627 du code de procédure civile ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le sixième moyen :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il ordonne à la société Sephora de cesser d'employer des salariés le dimanche dans son établissement situé Cour Saint-Emilion à Paris, sous astreinte, l'arrêt rendu le 23 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Dit que chacune des parties conservera la charge de ses dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Sephora et condamne celle-ci à payer au syndicat des employés du commerce Ile-de-France UNSA, à l'Union syndicale CGT du commerce, de la distribution et des services de Paris, au syndicat CGT - Force ouvrière des employés et cadres du commerce de Paris, à la Fédération des employés et cadres de la CGT Force ouvrière, au syndicat SUD commerces et services Ile-de-France et au syndicat commerce interdépartemental d'Ile-de-France CFDT la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé et signé par M. Lacabarats, conseiller le plus ancien en ayant délibéré, conformément à l'article 456 du code de procédure civile, en l'audience publique du vingt-quatre septembre deux mille quatorze.

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