Coup de chaud
Au cœur d’un été caniculaire, dans un petit village à la tranquillité apparente, le quotidien des habitants est perturbé par Josef Bousou. Fils de ferrailleurs, semeur de troubles, il est désigné par les villageois comme étant la source principale de tous leurs maux jusqu’au jour où il est retrouvé sans vie dans la cour de la maison familiale…
Entretien avec Raphaël Jacoulot, le réalisateur
A l’origine de Coup de chaud, il y a un fait divers… C’est la première fois que je pars d’une matière aussi documentaire. Ce fait divers qui s’est passé dans ma région d’origine m’a interpellé. J’étais troublé que des villageois, ni pires ni meilleurs que d’autres, aient pu être, à un moment donné, soulagés par la disparition violente de l’un des leurs, qu’ils tenaient pour responsable de leurs maux. J’y voyais quelque chose qui parlait de notre monde, de notre société. Une société malade qui se cherche en permanence des coupables. Les premières étapes d’écriture du scénario ont été nourries par un travail sur le terrain. On a assisté notamment à deux procès d’assises avec Lise Macheboeuf, ma co-scénariste.
Josef est un bouc émissaire… Oui, j’avais envie d’ausculter et de comprendre ce phénomène. Voir comment, dans un climat d’insécurité, les peurs apparaissent et se cristallisent progressivement sur une personne. Ce mécanisme victimaire était déjà à l’œuvre dans Avant l’aube, avec le personnage de Vincent Rottiers, auquel on fait porter le chapeau. Mais l’histoire se déroulait alors à l’intérieur d’un cercle de personnages plus réduit.
Ici, c’est tout un village qui est concerné… J’ai pensé l’architecture du récit comme une ronde de personnages qui inclut le personnage de Josef Bousou puisqu’il fait partie du village. Tout le monde s’accommode plus ou moins de sa présence mais progressivement, cette ronde va se dérégler et Josef en être expulsé. Le film a une structure qui s’apparente au film noir et c’est pour moi le meilleur vecteur pour traiter de la dimension politique et sociale qui m’intéressait avant tout. La canicule exacerbe le climat de crise… Le fait divers s’étalait sur plusieurs années mais nous avons décidé de le circonscrire à un été où les villageois sont confrontés à une vague de chaleur qui renforce leur sentiment de traverser une période de crise. Tous ont des difficultés propres – sociales, économiques, intimes, de voisinage, de rivalités – qui vont se tisser, s’agripper les unes aux autres pour se cristalliser sur la figure de Josef.
Chacun reporte sa frustration sur lui… Oui, il est chargé des problèmes des autres, c’est un réceptacle. Et plus on fait pression sur lui, plus il devient agressif et renvoie des choses violentes. Que ce soit le deuil de sa femme pour le maire ou le fait que Diane n’ait pas d’enfant, il arrive à débusquer la souffrance des autres. Josef confronte les villageois à leur problématique, exacerbe leurs failles.
Vous recourez beaucoup à l’ellipse pour laisser planer le doute sur qui est coupable de quoi… Le film est parsemé d’ellipses. C’est quelque chose qui dans l’absolu m’intéresse au cinéma et qui était d’autant plus passionnant sur ce projet, car l’une des thématiques importantes est la rumeur, comment elle se propage de villageois en villageois, se répand telle une pieuvre. L’épisode avec Manon ou celui du vol de la pompe sont des trous noirs dans lesquels les villageois vont se précipiter pour les remplir de leur peur fantasmatique de Josef. Ces ellipses placent le spectateur lui-même dans l’interrogation vis-à-vis de Josef et le confrontent lui aussi à la tentation de reporter la faute sur « l’autre ». Dès le début, on voulait se situer dans le regard et le ressenti des villageois, y compris lorsqu’ils dérapent, afin de comprendre comment le mécanisme se met progressivement en place. Et comment cette ronde d’individus finit par former un collectif. On voulait passer par le vécu des personnages et se mettre à leur hauteur, non les juger. Diane s’énervant sur Josef, je la comprends, il peut être totalement insupportable !
Le film est construit sur un flash-back… Comme dans toute structure tragique, je voulais annoncer la violence faite à Josef au début, puis essayer de comprendre comment tout ça est arrivé. Mes personnages sont pris dans un engrenage, une nasse qui va se refermer sur eux. Et j’ai le souci de placer le spectateur dans cette tension. Le dernier tiers du film enclenche un nouveau mouvement de réflexion… Le dernier tiers est consacré à l’enquête et chaque villageois est confronté au regard d’un gendarme, qui aurait tout aussi bien pu être un juge ou un psy. Avec Lise Macheboeuf, on était aussi passionnés par la façon dont la justice, les gendarmes, la société s’étaient emparés de cette histoire. Et comment, au tribunal, les villageois avaient été confrontés à la réalité de ce qui s’était passé : ils avaient franchi une ligne rouge, dans un total aveuglement. Pour le personnage de Josef, vous êtes-vous inspiré de la vraie personne du fait divers ? On s’est, en partie, appuyé sur le fait divers pour écrire ce personnage assez complexe. Josef est non seulement simple d’esprit mais fils d’une famille de gens du voyage qui se sont sédentarisés, cet élément était important pour moi, il donnait une résonance sociale à l’histoire. Quant à sa pathologie, le maire la résume assez bien au moment de l’interrogatoire à la gendarmerie : il souffrait de débilité débonnaire et affective – j’ai repris les termes du rapport d’expert établi au moment du procès.
Josef est attachant, mais met aussi mal à l’aise… Il n’était pas question d’en faire un personnage sans ambiguïté, sa différence peut faire peur. Mais je tenais à ce qu’il soit émouvant, face à la violence qu’on lui fait subir. Josef a trente ans mais fonctionne comme un ado tourmenté de quinze ans. On lui refuse l’amitié, l’affection mais aussi la sexualité et cette frustration l’agite. Pour incarner ce personnage, nous avons veillé à ne pas imiter les codes de la maladie mentale, mais plutôt à trouver un état du personnage.
Coup de chaud est sombre mais reste toujours humain… J’avais envie que le film, même s’il est sombre et funèbre, soit très vivant, notamment grâce à la figure de Josef et le traitement des scènes quotidiennes. Je ne voulais surtout pas céder à une fatalité, inéluctable et sans issue. Et puis il y a la famille Bousou et les adolescents à la fin qui apportent une lueur. Ces adolescents ont grandi, ils ont accédé à une conscience un peu plus mature qui les amène à considérer Josef et sa famille. C’est par eux que passe une forme de salut.
Propos recueillis par Claire Vassé.
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