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La spiritualité du vin Le vin parle et son effet enivrant nous fait parler. C’est une boisson éminemment culturelle dans les deux sens du mot culture : culture en tant qu’action de cultiver la terre, et culture comme développement de certaines facultés de l’esprit par des exercices intellectuels appropriés. Aucune boisson n’a suscité autant d’intérêt et de respect. Le vin éveille la créativité, l’intelligence, mais également les instincts les plus sauvages, la part maudite qui se cache au sein de notre être. C’est peut-être cette ambivalence sémantique du terme vin qui fusionne avec le caractère contradictoire de l’homme... Nils Girardin, un amateur éclairé, nous livre sa réflexion sur la dimension spirituelle du vin « Je vous propose qu’on s’intéresse à la dimension spirituelle du vin à travers les âges, puis qu’on se concentre sur la personnification du vin qui en a découlée dans la dégustation, puis on terminera par la relation entre désir, féminité et vin. Déjà en 2700 avant notre ère, les Sumériens ont une déesse nommée la « dame du fruit enivrant ». Puis viennent Osiris en Egypte, Dionysos chez les Grecs et Bacchus chez les Romains. A noter que Le culte de Bacchus s’étend lors de la période romaine à toutes les classes sociales et aucun empereur ne parviendra à l’interdire. Dionysos et Bacchus portent en eux une ambivalence certaine : d’une part, dieu du travail de la vigne, de la terre, de la civilisation. D’autre part, dieu de l’ivresse, du débordement incontrôlé et du culte des pulsions sauvage sous l’effet de l’alcool conduisant à la folie parfois « meurtrière ». Bien sûr c’est avec le christianisme que le symbolisme de la vigne et du vin s’enrichira dans les textes. Dans la parabole des vignerons de Marc, l’Eternel est présenté comme le maître de la vigne. Dieu étant le vigneron, la sève qui coule dans la vigne étant l’Esprit, le vin représente la Connaissance, ce qui lui confère un statut particulier. Le vin devient un don des Dieux, une boisson sacrée. Les Noces de Cana et la Cène sont connus de tous. Cette image sacrée du vin subsistera au cours des siècles avec l’expansion du christianisme en Occident. C’est seulement au XIXème siècle, où la révolution industrielle et l’apparition du prolétariat contribueront à l’affirmation de la dimension tragique de l’ivresse, faisant disparaître par ce fait la perception jusqu’alors comique et dérisoire de l’ivrogne. Le vin, symbole de joie de vivre, d’amour et de convivialité devient, tout au contraire, source de malheur synonyme de solitude, de mélancolie et de tristesse. Maintenant qu’on a effectué ce court rappel de la perception du vin à travers les âges, j’aimerais qu’on s’intéresse au lexique .Lorsqu’on décrit un vin, on insiste sur le lexique. C’est d’ailleurs par le lexique qu’on peut distinguer l’amateur du dégustateur professionnel qui exclut le plus possible les images imprécises mais ne peut pas dans la plupart des cas éviter la métaphore, et surtout la personnification. Lyrisme, littérature et dégustation sont donc étroitement liés. Dans ses poèmes, Charles Baudelaire évoque l’âme du vin. Homme, vers toi je pousse, ô cher déshérité, Ces personnifications peuplent le lexique référé au vin ; le vin respire et s’oxygène. En dégustation, le vin doit avoir une ossature bien structurée car un vin sans charpente est désossé. A la manière d’un nouveau-né, un vin peut être baptisé en lui ajoutant un peu d’eau. Plus tard, lorsqu’une bouteille est vide, on l’appelle familièrement un cadavre. On dit d’un vin qu’il a de la race quand il garde les caractères distinctifs de son origine. Vous l’aurez compris, comme tout homme, le vin peut être décrit d’après sa physionomie, son caractère, et même sa vie en société. Selon sa physionomie, le vin peut être gras, gros, nourri ou avoir de la chair (riche en extrait sec et en glycérine), être bien enveloppé, avoir une corpulence ou au contraire, être mince, maigre (qui manque de corps)... À cause du vieillissement on dit d’un vin qu’il est amaigri et, à un degré plus grave, décharné, une gradation sémantique à ne pas négliger. D’un vin qui a du corps on dit parfois qu’il a du gilet dans le sens d’opulent, bien constitué, mâle, viril (vin aux caractères intenses) en contraste avec le vin qui a du corsage, plus fin et amoureux. Il peut être bien habillé et avoir une belle robe sans doute parce qu’il est bien étoffé. Le vin peut être maquillé ou en mini-jupe (d’une couleur un peu trop légère)... et lorsqu’il se dépouille avec l’âge, il se déshabille. Le vin peut être noble, aristocratique, riche… des adjectifs qui s’opposent à un gros vin, un vin de table ou un vin bourru c’est-à-dire, un vin trouble dont la fermentation alcoolique vient de se terminer. Mais c’est dans le désir et la féminité que le vin trouve de nombreuses correspondances. L’influence du vin sur les facultés intellectuelles imaginatives, créatives a toujours été évoquée et plus particulièrement, les rapports entre le vin et l’affectif, l’amour et le désir. Madame de Pompadour (1721-1764), l’une des plus célèbres maîtresses de Louis XV, disait à propos du champagne «qu’il laissait la femme belle après le boire» (Gallet, 1985 : 91). L’éthanol qui est présent dans le vin a des effets euphorisants et stimulants. Mobilisant la zone du cerveau qui régit les inhibitions, la personne ose dire, agir et c’est là où se rencontrent l’érotisme et le vin: «[…] le vin est le libérateur de l’esprit» (Claudel, 1978 : 97). Un érotisme, présent dans la littérature, qui est renforcé par le sentiment singulier d’être soustrait au temps par les vertus du breuvage, car le vin, symbole de l’amour divin, dûment dépositaire des émergences dionysiaques, appartient aussi à la sexualité. Colette décrit à la perfection le mystère de la transmutation de la nature en flamme «une vigne qui déploie sa puissante nocivité, image d’une volupté captivante et maléfique» (1978 : 49). Et dans un occident judéo-chrétien le symbolisme du vin (la feuille de vigne) devient l’unique forme communicable de ce qui appartient au sexe. Au sein de cette terminologie extrêmement imagée, la sensualité de la femme est bien représentée. Les amateurs attribuent au vin du corsage, dans le sens de « délicat », « féminin », « fin ». D’un vin souple où le moelleux l’emporte sur le tannin on dit qu’il a de la cuisse ou de la fesse, auquel cas il est fessu. Très souvent on évoque ses larmes, ces gouttes qui descendent des parois du verre après que l’on a remué le vin dans le verre ; plus les larmes sont abondantes plus la teneur en éthanol est importante. Le vin peut être sensuel, voluptueux, séducteur… et la bouteille de vin, transformée en femme, reçoit des dénominations diverses : la fillette (petite bouteille en usage dans le Val de Loire et à Paris, d’une contenace de 35 cl), la dame-jeanne, la demoiselle (équivalente à deux fillettes), la Marie-Jeanne (3 litres)… la désirée (50 cl, Suisse). En conclusion, le vin constitue l’expression la plus authentique des terroirs, d’une civilisation et de sa culture. « Aucune substance consommable n’a la même complicité que le vin avec la parole ». Cette complicité tient tout particulièrement à ce que le vin et les mots qui servent à l’exprimer ont une saveur et pas seulement un sens. Dans le vin il y a trois composantes qui peuvent être rapprochées des composantes de l’âme humaine telles que Platon les a exposés dans La République : Plus que le savoir-faire est le savoir-boire. Le sémantisme autour du vin, le lexique, la langue qui servent à l’exprimer ne sont pas innés, il faut les apprendre, les comprendre et les enseigner. Et c’est en s’appuyant sur ces trois piliers que le vin et l’univers qui l’entoure doit continuer à se développer. » Texte rédigé par Niels Girardin. Photo : Andrejs Pidjass. Fotolia.com. Pour acquérir de très bons vins : 75003 - SOIF D'AILLEURS http://www.vins-du-monde-paris.com Voir toutes les newsletters : www.haoui.com Pour les professionnels : HaOui.fr |