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Droit de grève : et si on le limitait ? Depuis plusieurs mois, le pays vit des situations de grève set de blocages dont la CGT, Sud et FO sont les principaux organisateurs. Pour certains, les motifs de ces syndicats sont politiques. Ainsi, Bertrand Nouel, avocat honoraire et expert à la fondation Ifrap, exprime une position partagée par de plus en plus de citoyens qui consisterait à limiter le droit de grève, notamment en s’inspirant du droit allemand...
Article de Bertand Nouel pour l’Ifrap Avertissement Les motifs du droit de grève sont-ils limités en droit français ? Peut-on faire grève pour des motifs extérieurs à l’entreprise ? Cette question est celle qui nous occupe ici à la lumière des événements récents, puisqu’on voit les services publics comme la SNCF ou les employés publics de la collecte des déchets, faire grève pour faire retirer le projet de loi travail qui ne les concerne pas en raison des régimes spécifiques qui leur sont applicables. La légalité des grèves de soutien a été reconnue par les tribunaux dans la mesure où les revendications des personnes concernées sont partagées par celles qui veulent les soutenir. Il s’agit alors d’une manifestation d’association à des revendications exprimées par d’autres. On remarquera cependant que ce n’a pas été le cas récemment car les salariés du secteur privé n’ont exprimé aucune revendication et qu’ils ne sont entrés dans aucune grève à laquelle le secteur public a pu s’associer ! Précision superflue, la notion de grève par procuration n’existe pas… Les tribunaux ont toutefois élargi les motifs du droit de grève de telle façon que les limites en ont quasiment disparu. Les grèves politiques, dont nous avons un exemple évident sous nos yeux, puisque les revendications des grévistes portent sur une loi votée par le Parlement, ne sont pas en principe licites. Il paraîtrait en effet contraire à la notion même de droit de grève que les revendications professionnelles adressées à l’employeur par les salariés grévistes ne soient pas de nature à pouvoir être satisfaites par cet employeur. Or c’est bien le cas ici, car le retrait du projet de loi travail, objet de la revendication, ressortit à la compétence exclusive du gouvernement. Mais la Cour de cassation en a décidé autrement. Pour elle, si les motifs purement et seulement politiques sont illicites, une grève motivée à la fois par des raisons politiques et professionnelles est licite. C’est ainsi qu’a été déclarée licite la grève déclenchée sur le plan national pour protester contre les mesures économiques et sociales constituant le plan Barre, car les revendications justifiant cette grève (refus du blocage des salaires, défense de l’emploi, réduction du temps de travail) étaient étroitement liées aux préoccupations quotidiennes des salariés. Implicitement, la Cour a suivi le même principe lorsqu’elle a reconnu qu’une grève des salariés de la SNCF pouvait constituer un cas de force majeure pour cette dernière dans la mesure où elle était motivée par une loi concernant l’entreprise au niveau national, de sorte que l’employeur n’était pas en mesure de satisfaire les revendications de ses salariés. De façon générale, les grèves contre la réforme des retraites sont à la fois politiques et d’ordre professionnel, et leur licéité n’est jamais mise en cause. Le patron de FO, Jean-Claude Mailly, ne s’est pas embarrassé de scrupules à ce sujet, lorsqu’il a récemment déclaré : « Ce ne sont pas des « intérêts particuliers » que les grévistes défendent, par la grève, et encore moins un « bien commun » que seraient les entreprises, qui socialisent toujours leurs dettes, mais réservent à une minorité leurs profits. Ce sont les intérêts de l’ensemble des travailleurs, du Public comme du Privé, et de la jeunesse, en lui apportant des perspectives d’avenir ». On est clairement passé ici de la revendication professionnelle à la prise de position politique, particulièrement lorsqu’on voit évoquer les intérêts de « la jeunesse ». Ce glissement vers la prise de position purement politique n’est pas admissible Le droit de manifester est ouvert à tous, sauf considérations d’ordre public, comme vient de le rappeler le Premier ministre. Les syndicats sont comme tout un chacun libres d’organiser des manifestations pour signifier leur opposition de nature politique à des lois. Mais le droit de grève est autre chose et ne doit pas être confondu avec le droit de manifester, car il s’adresse non pas à l’Etat comme une manifestation, mais à un employeur déterminé pour obtenir de cet employeur, et de personne d’autre, satisfaction de revendications d’ordre professionnel. Nous regrettons pour cette raison le laxisme de la jurisprudence de la Cour de cassation qui en vient à légitimer n’importer quel exercice du droit de grève pour peu qu’il puisse se raccorder de près ou de loin à des questions intéressant les travailleurs – condition trop facilement remplie. En l’occurrence le détournement du droit de grève est d’autant plus criant que les grèves du secteur public auxquelles nous assistons ont pour motif, comme nous l’avons relevé, le retrait d’un projet de loi qui n’est pas applicable aux salariés en grève. Comme le montre la mairie de Paris pour la collecte des déchets, on en vient à une absurdité consistant à faire exécuter par des entreprises du secteur privé, qui n’est pas en grève, les tâches du secteur public qui prétend cesser le travail pour défendre des revendications inexistantes de ce secteur privé ! Ceci n’est possible que parce que le droit de grève est accordé indépendamment de toute revendication propre à l’entreprise qui se met en grève. En revenir à une conception plus rigoureuse du droit de grève, comme celle du droit allemand La grève n’est légale qu’en dernière solution : un syndicat n’est autorisé à organiser une grève qu’après avoir essayé en vain de négocier avec l’employeur pour trouver un accord ; Le but d’une grève doit concerner et se limiter à un ou plusieurs règlements de la convention collective de travail, qui définit entre autres la rémunération des salariés, les heures de travail ou le congé ; Il est illégal de se mettre en grève pendant la trêve sociale. La trêve sociale est une période qui se limite à la durée d’une convention collective, soit dans les faits plusieurs années. Les salariés doivent donc attendre l’expiration de la convention collective en cours avant de commencer une grève. Ces règles montrent clairement qu’il y a un lien nécessaire entre les revendications des salariés et leur employeur. Toute grève motivée par des revendications qui ne sont pas dans le pouvoir de l’employeur de satisfaire n’est pas admissible, par exemple parce qu’il ne s’agit pas de dispositions relevant de la convention collective. Au Royaume-Uni, les règles ont été récemment modifiées dans un sens restrictif. Ce que nous pouvons en retenir en France est l’exigence d’un vote de la majorité des salariés en faveur de la grève, en notant que ce vote doit être exprimé par correspondance. Il s’agit évidemment d’éviter les pressions exercées par les syndicats, comme on a pu récemment le constater dans les assemblées organisées par la CGT. Propositions de modifications de la loi Exiger que la décision de faire grève soit précédée par des négociations restées infructueuses, et qu’elle soit prise par un vote des salariés à la majorité, exprimée à bulletins secrets. » Article rédigé par Bertrand Nouel pour l'Ifrap. Lien direct, cliquez ici. Photo : Laurent hamels - Fotolia.com. 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