Faute lourde : pas de perte d’indemnité pour les congés payés

La faute du salarié est considérée comme lourde lorsqu'elle est commise dans l'intention de nuire à l'employeur. Dans ca cas, l’article L.3141-26 al.2 du Code du travail , disposait que l’indemnité compensatrice de congés payés n’était  pas due au salarié licencié pour faute lourde. Le 2 mars dernier, cette disposition, suite à une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a été déclarée inconstitutionnelle par le Conseil constitutionnel car contraire au principe d’égalité de tous devant la loi. Les salariés dont l’employeur adhère à une caisse de congés payés ne sont pas concernés par l’article du code du travail et ne perdent pas l’indemnité compensatrice en cas de faute lourde. Cette modification peut être invoquée dans toutes les instances introduites au 4 mars 2016 et non jugées définitivement...

Décision n° 2015-523 QPC du 2 mars 2016
M. Michel O. [Absence d'indemnité compensatrice de congé payé en cas de rupture du contrat de travail provoquée par la faute lourde du salarié] 

Le Conseil constitutionnel a été saisi le 2 décembre 2015 par la Cour de cassation (chambre sociale, arrêt n° 2247 du même jour), dans les conditions prévues à l'article 61-1 de la Constitution, d'une question prioritaire de constitutionnalité posée pour M. Michel O., par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit du deuxième alinéa de l'article L. 3141-26 du code du travail, enregistrée au secrétariat général du Conseil constitutionnel sous le n° 2015-523 QPC. 

LE CONSEIL CONSTITUTIONNEL,

Vu la Constitution ;
Vu l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 modifiée portant loi organique sur le Conseil constitutionnel ;
Vu le code du travail ;
Vu l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative) ;
Vu la loi n° 2008-67 du 21 janvier 2008 ratifiant l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007 relative au code du travail (partie législative) ;
Vu le règlement du 4 février 2010 sur la procédure suivie devant le Conseil constitutionnel pour les questions prioritaires de constitutionnalité ;
Vu les observations produites pour le requérant par la SCP Nicolaÿ - de Lanouvelle - Hannotin, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 17 décembre 2015 ;
Vu les observations produites par le Premier ministre, enregistrées le 24 décembre 2015 ;
Vu les observations produites pour la société Subrini et compagnie, partie en défense, par la SCP Spinosi et Sureau, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, enregistrées le 24 décembre 2015 ;
Vu la lettre du 2 février 2016 par laquelle le Conseil constitutionnel a soumis aux parties un grief susceptible d'être relevé d'office ;
Vu les observations en réponse produites pour le requérant, par la SCP Nicolaÿ-de Lanouvelle-Hannotin, enregistrées le 5 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites pour la société Subrini et compagnie, par la SCP Spinosi et Sureau, enregistrées le 9 février 2016 ;
Vu les observations en réponse produites par le Premier ministre, enregistrées le 9 février 2016 ;
Vu les pièces produites et jointes au dossier ;

Me Patrice Spinosi, avocat au Conseil d'État et à la Cour de cassation, pour la partie en défense et M. Xavier Pottier, désigné par le Premier ministre, ayant été entendus à l'audience publique du 16 février 2016 ;

Le rapporteur ayant été entendu ;

1. Considérant qu'en vertu du premier alinéa de l'article L. 3141-26 du code du travail, lorsque le contrat de travail est rompu avant que le salarié ait pu bénéficier de la totalité du congé payé auquel il avait droit, il reçoit, pour la fraction de congé dont il n'a pas bénéficié, une indemnité compensatrice de congé ; qu'aux termes du deuxième alinéa de cet article dans sa rédaction issue de l'ordonnance du 12 mars 2007 susvisée : « L'indemnité est due dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié, que cette rupture résulte du fait du salarié ou du fait de l'employeur » ;

2. Considérant que, selon le requérant, en privant le salarié licencié pour faute lourde de l'octroi de l'indemnité compensatrice de congé payé, les dispositions contestées portent atteinte, d'une part, au droit au repos et au droit à la protection de la santé qui découlent des exigences du onzième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et, d'autre part, au principe d'individualisation des peines ;

3. Considérant qu'en application de l'article 7 du règlement du 4 février 2010 susvisé, le Conseil constitutionnel a relevé d'office le grief tiré de ce que les dispositions contestées porteraient atteinte au principe d'égalité garanti par l'article 6 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 dès lors que leur application est exclue lorsque l'employeur est tenu d'adhérer à une caisse de congés en application de l'article L. 3141-30 du code du travail ;

4. Considérant que la question prioritaire de constitutionnalité porte sur les mots « dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié » figurant au deuxième alinéa de l'article L. 3141-26 du code du travail ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la Déclaration de 1789 : « La loi... doit être la même pour tous, soit qu'elle protège, soit qu'elle punisse » ; que le principe d'égalité ne s'oppose ni à ce que le législateur règle de façon différente des situations différentes ni à ce qu'il déroge à l'égalité pour des raisons d'intérêt général pourvu que, dans l'un et l'autre cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la loi qui l'établit ;

6. Considérant qu'en vertu des dispositions contestées, le salarié licencié pour faute lourde est privé de l'indemnité compensatrice de congé payé ; que, toutefois, cette règle ne s'applique pas lorsque l'employeur est tenu d'adhérer à une caisse de congés ; que l'article L. 3141-30 du même code prévoit que des décrets déterminent les professions pour lesquelles l'application des dispositions relatives aux congés payés prend la forme d'une adhésion de l'employeur à une caisse de congés et que ces dispositions concernent en particulier les salariés qui ne sont pas habituellement occupés de façon continue chez un même employeur au cours de la période reconnue par l'employeur pour l'appréciation du droit au congé ;

7. Considérant que les salariés qui n'ont pas encore bénéficié de l'ensemble des droits à congé qu'ils ont acquis lorsqu'ils sont licenciés se trouvent placés, au regard du droit à congé, dans la même situation ; que, par suite, en prévoyant qu'un salarié ayant travaillé pour un employeur affilié à une caisse de congés conserve son droit à indemnité compensatrice de congé payé en cas de licenciement pour faute lourde, alors que tout autre salarié licencié pour faute lourde est privé de ce droit, le législateur a traité différemment des personnes se trouvant dans la même situation ;

8. Considérant qu'il résulte des travaux parlementaires que, d'une part, en adoptant les dispositions contestées, le législateur a entendu prendre en compte la gravité de la faute ayant justifié le licenciement ; que, d'autre part, en adoptant les dispositions des articles L. 3141-28 et L. 3141-30, le législateur a entendu régler de façon spécifique le régime de gestion des droits à congé payé des salariés exerçant une activité discontinue chez une pluralité d'employeurs afin de garantir l'effectivité de leur droit à congé ;

9. Considérant que, la différence de traitement entre les salariés licenciés pour faute lourde selon qu'ils travaillent ou non pour un employeur affilié à une caisse de congés est sans rapport tant avec l'objet de la législation relative aux caisses de congés qu'avec l'objet de la législation relative à la privation de l'indemnité compensatrice de congé payé ; que, par suite, les dispositions contestées méconnaissent le principe d'égalité devant la loi ; que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres griefs, les dispositions contestées doivent être déclarées contraires à la Constitution ;

10. Considérant qu'aux termes du deuxième alinéa de l'article 62 de la Constitution : « Une disposition déclarée inconstitutionnelle sur le fondement de l'article 61-1 est abrogée à compter de la publication de la décision du Conseil constitutionnel ou d'une date ultérieure fixée par cette décision. Le Conseil constitutionnel détermine les conditions et limites dans lesquelles les effets que la disposition a produits sont susceptibles d'être remis en cause » ; que, si, en principe, la déclaration d'inconstitutionnalité doit bénéficier à l'auteur de la question prioritaire de constitutionnalité et la disposition déclarée contraire à la Constitution ne peut être appliquée dans les instances en cours à la date de la publication de la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions de l'article 62 de la Constitution réservent à ce dernier le pouvoir tant de fixer la date de l'abrogation et reporter dans le temps ses effets que de prévoir la remise en cause des effets que la disposition a produits avant l'intervention de cette déclaration ;

11. Considérant que la déclaration d'inconstitutionnalité des mots « dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié » figurant au deuxième alinéa de l'article L. 3141-26 du code du travail prend effet à compter de la date de la publication de la présente décision ; qu'elle peut être invoquée dans toutes les instances introduites à cette date et non jugées définitivement, 

D É C I D E : 

Article 1er.- Les mots « dès lors que la rupture du contrat de travail n'a pas été provoquée par la faute lourde du salarié » figurant au deuxième alinéa de l'article L. 3141-26 du code du travail sont contraires à la Constitution. 

Article 2.- La déclaration d'inconstitutionnalité de l'article 1er prend effet dans les conditions prévues au considérant 11. 

Article 3. - La présente décision sera publiée au Journal officiel de la République française et notifiée dans les conditions prévues à l'article 23-11 de l'ordonnance du 7 novembre 1958 susvisée. 

Délibéré par le Conseil constitutionnel dans sa séance du 1er mars 2016, où siégeaient : M. Jean-Louis DEBRÉ, Président, Mmes Claire BAZY MALAURIE, Nicole BELLOUBET, MM. Guy CANIVET, Renaud DENOIX de SAINT MARC, Jean-Jacques HYEST, Lionel JOSPIN et Mme Nicole MAESTRACCI. 

Rendu public le 2 mars 2016. 

JORF n°0054 du 4 mars 2016 texte n° 120
ECLI:FR:CC:2016:2015.523.QPC

Photo : Antony - Fotolia.com. 

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