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Perdrix


Pierre Perdrix vit des jours agités depuis l’irruption dans son existence de l’insaisissable Juliette Webb. Comme une tornade, elle va semer le désir et le désordre dans son univers et celui de sa famille, obligeant chacun à redéfinir ses frontières, et à se mettre enfin à vivre…

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Entretien avec le réalisateur, Erwan Le Duc

Comment s’est constitué le drôle de la famille Perdrix ?

J’avais donc cette ambition de faire de l’amour le sujet du film et de le raconter de trois manières différentes. Un amour débutant, comme une évidence, entre Perdrix et Juliette. Un amour incapable, entre Juju et sa fille Marion, et un amour mort vivant, gravé dans le marbre au sens propre, entre Thérèse et le fantasme de son mari mort trop tôt. Avec Stéphanie Bermann, on a engagé un travail assez intense pour trouver le juste équilibre entre ces sentiments, l’émotion des personnages qui devait être le cœur battant du film, et l’imaginaire foisonnant que je voulais installer grâce aux activités des uns et des autres - le biologiste spécialisé en vers de terre, sa fille passionnée de ping-pong, cette veuve qui fait de la radio dans son garage, les nudistes révolutionnaires, les types qui font des reconstitutions historiques. Il fallait veiller à ce que leur extravagance et leur singularité ne surplombent jamais le sujet du film, que tout soit au service de l’émotion.

L’inverse de Perdrix…

 Le seul à ne pas être dans un engagement plus ou moins extrême, c’est Perdrix, qui tient tout le monde ensemble mais qui reste en retrait. Jusqu’à ce que cette fille se plante devant lui, et que tout change… Une fille d’une liberté ravageuse, qui brûle tout ce qu’il y a autour d’elle, d’une indépendance absolue et sans compromis, sans aucune racine ni attache. Un personnage volontairement mystérieux, que l’on découvre, avec Perdrix, comme si elle venait de nulle part. J’avais écrit une biographie de Juliette Webb, mais je ne crois même pas l’avoir fait lire à Maud Wyler, qui l’incarne dans le film. Je ne voulais pas donner de clés. Il y a juste ses carnets, sa vie qu’elle transporte avec elle. Sa vie ou sa prison.

Pourquoi situer le film dans les Vosges ?

Une envie de cinéma. Ma mère vient de là-bas, c’est un territoire de fiction assez peu filmé, riche en montagnes, en lacs et en sapins, avec de la matière et du contraste. Lorsque j’attendais fébrilement que le financement se précise, je suis parti en repérages, tout seul, pour arpenter les lieux, et me rassurer en me faisant le film pour moi, sur place. Et je suis tombé sur Plombières-les-bains, que je ne connaissais pas, une ville un peu particulière, une ancienne station thermale du XIXème que fréquentait Napoléon III. Comme un bout de décor au fond d’une vallée dans les Vosges. Mais je voulais aussi faire de la nature un personnage à part entière, une nature romanesque, qui s’accorde aux sentiments. On a cherché des décors qui permettent d’avoir de l’ampleur, de l’espace. Cela rejoint une recherche de spectaculaire, pour insuffler au film un certain lyrisme, un enchantement, et de ne pas reculer devant ça. Nous avons d’ailleurs été accompagnés par cette nature durant le tournage : de soudaines bourrasques de vents sont venues ponctuer les prises, comme celle où Perdrix récite son poème devant Juliette, la nuit, qui monte d’un coup et fait danser les arbres autour de lui. Ou encore ces vols d’oiseaux que l’on voit en reflet sur le pare-brise de la voiture de Juliette à la fin...

Comment avez-vous choisi les comédiens ?

Je pensais à Swann Arlaud depuis longtemps. Il a une présence unique, un talent dont il ne se doute pas forcément, et une sincérité, une droiture, qui me semblait  idéal pour incarner Pierre Perdrix. Je crois qu’il a choisi de faire ce film parce qu’il l’emmenait loin des rôles réalistes qu’on lui propose habituellement, et que ça l’intéressait d’aller dans un univers de comédie, de jouer sur le décalage. Il a réussi quelque chose qui n’était pas évident et qui l’angoissait au début  : naviguer entre les genres, et entre les univers parfois très opposés qui se déployaient autour de lui. Il s’est approprié Perdrix, s’en est amusé, réussissant à devenir le lien et le liant entre tous les personnages, comme un bon meneur de jeu. Et puis il a fait confiance au film, et aux risques que l’on prenait parfois ensemble, à tenter des trucs à la fine limite du ridicule, comme dans cette scène où, la nuit, il feint de disparaître dans les rochers, qui n’était pas écrite et qui a donné lieu à quelque chose d’enfantin, de très joyeusement absurde.

Et Maud Wyler, vous aviez déjà travaillé avec elle ?

 Elle a tourné dans Jamais Jamais, mon deuxième court-métrage, puis dans les deux suivants, et on a commencé à travailler ensemble sur le personnage de Juliette Webb à partir des ateliers d’Emergence. Ce qui caractérise le jeu de Maud Wyler, c’est sa grande capacité d’incarnation  : elle est au présent, et quand on la voit jouer, on ne sait jamais vraiment ce qu’elle va ou peut faire. C’est un lâcher prise qui demande beaucoup de préparation, de travail en amont, et de confiance envers les autres, metteur en scène ou partenaires de jeu. Elle a une force d’expression qui la dépasse parfois, et une grande souplesse dans le jeu, qui lui permet passer du rire aux larmes dans la même séquence, sans que cela ne devienne un exercice de style. Et une grande inventivité : comme Juliette Webb est un personnage assez libre, on a essayé beaucoup de choses. Et comme Maud est très exigeante, avec elle-même mais d’abord avec le film, il fallait se lancer dans cette recherche avec le maximum d’audace.

Fanny Ardant a, évidemment, une voix de radio…

Evidemment, même si elle est venue assez tard sur le projet. Elle a été super, tout simplement. C’est une vraie star, elle amène une aura, elle déplace plus que sa simple filmographie, qui est déjà énorme, on a l’impression que le cinéma rentre dans la pièce avec elle. Et c’est une grande actrice : le monologue où elle parle de rupture amoureuse, avant la conversation téléphonique avec le lieutenant Smicer, je l’ai écrit sur le tournage, je le lui ai donné la veille de la scène et elle a été impressionnante. Et puis Fanny Ardant, comme Swann Arlaud et Nicolas Maury, ce sont des acteurs qui sont aussi metteurs en scène, qui savent regarder les autres jouer, et ça, c’était important pour faire exister la famille.

D’où vient votre goût du burlesque ?

De l’Angleterre, je crois. Après avoir grandi dans le Nord de la France, j’ai passé une partie de mon adolescence, entre 12 et 16 ans, à Londres, où mon père travaillait. Une période importante, à un âge de formation culturelle  : j’ai été influencé par l’humour anglais, le goût du «  non-sense  », avec une production télévisuelle plus pointue qu’en France. Les Monty Python, ou des séries comme The Young ones, ou Bottom, d’une absurdité folle, passaient à la télé en fin d’après-midi ! Le gag sorti de nulle part, comme une ponctuation, ça vient aussi du cinéma de Kaurismäki ou de Kitano, qui sont des références pour moi. Et puis ces éclats de burlesque, ils sont aussi importants pour le film fini que pour le tournage lui-même. Quand on tourne ces scènes, on s’autorise autre chose, on peut partir ailleurs, se déconcentrer, s’amuser, et profiter de cette énergie, qui va infuser ensuite tout le film. Par exemple, la scène du gendarme qui joue au jeu vidéo, quand le lieutenant Smicer lui donne un code absurde et qui n’en finit pas, tout le monde rigolait derrière la caméra, c’était très joyeux. D’autant que le comédien, Alexandre Steiger, inventait un nouveau code informatique complètement débile à chaque nouvelle prise… et moi j’en demandais à chaque fois une dernière.

Comédie française d'Erwan Le Duc. Une nomination au Festival de Cannes 2019 et 4 nominations à la Quinzaine des Réalisateurs 2019 à Cannes. 3,8 étoiles sur AlloCiné.

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