Vincent, trentenaire sans enfant, infiltre une tribu aux codes et au langage mystérieux : les parents d’élèves. Se retrouver aux réunions parents-prof, aux sorties d’école et à la kermesse de fin d’année relève d’un sacré exploit ! Mais voilà, Vincent a une très bonne raison d’être là et finit même par se sentir bien dans cette communauté un peu spéciale…
L’air de rien, les personnages centraux de vos films ont le don de mettre un coup de pied dans la fourmilière et de bousculer l’ordre établi. Vincent, dans PARENTS D’ÉLÈVES, est un anticonformiste très bienveillant…
C’est indissociable du fait que j’ai besoin de rendre mes personnages attachants. Ils sont souvent compliqués, empêtrés dans un malaise, dans un méli-mélo de faux-semblants ou de questionnements intérieurs intenses, mais j’essaie toujours de les rendre sympathiques. Dans PARENTS D’ÉLÈVES, je souhaitais faire de Vincent un type génial, mais qui se pose tellement de questions qu’il est à l’arrêt. J’avais envie de suggérer qu’il est partisan de la décroissance, qu’il a peur de rentrer dans le système et qu’il y a donc peu de métiers qu’il peut exercer. On le ressent à travers sa manière de s’habiller, par exemple, et dans son rapport aux animaux. Vincent a le souci de ne pas faire de mal à la planète et à la société.
Comment avez-vous pensé l’évolution de ce personnage au gré du récit ?
Le scénario a été écrit par la productrice du film, Alice Girard, et par Marinette Lévy. Nous ne voulions pas que Vincent fasse trop ado attardé, ce qu’on a beaucoup vu au cinéma. Nous avons voulu conserver un aspect un peu immature, sans pour autant qu’à la fin, il trouve un job et s’épanouisse dans une nouvelle vie. Je souhaitais un switch plus fin, et j’aimais l’idée que cette fausse paternité, née de son désir de séduire la maîtresse, fasse émerger une force en lui et le mette en mouvement de manière délicate.
Ce qui est frappant chez Vincent, c’est sa part d’enfance irradiante…
C’est la part qui m’intéressait le plus : tirer Vincent vers un personnage d’enfant idéaliste. Je trouvais ça plus original et touchant. Et surtout, il m’importait que Vincent mette les hommes et les femmes sur un pied d’égalité. À travers lui, j’avais aussi bizarrement le désir de remettre les hommes en odeur de sainteté.
Vincent se situe entre Tintin et Hugh Grant ! Il est à la fois enfantin et séduisant. Comment avez-vous travaillé à placer le curseur dans cet entre-deux ?
Je me suis creusé la tête pour ça ! Il était très important que Vincent ne soit pas métrosexuel, ni hyper viril ; c’est un mec d’aujourd’hui. Je voulais qu’il soit sexy, qu’on puisse tomber amoureuse de lui, alors qu’il n’a rien de ce qui définit le succès socialement.
Comment avez-vous travaillé à ces dialogues qui font mouche ?
Les dialogues sont toujours ce que je travaille le plus, avec les coauteurs et avec les acteurs. J’ai à cœur qu’ils soient naturels et sonnent juste. Avec Vincent Dedienne, nous partageons un terrain d’humour, une façon de parler et de penser. On a une sensibilité très proche et ce fut réjouissant de passer les dialogues au peigne fin avec lui. Nous nous sommes employés à trouver le ton qui correspond à chacun, ainsi qu’au personnage. J’ai aussi beaucoup travaillé les dialogues avec les enfants et avec Amour Rawyler, leur coach sur le film.
Le couple Vincent Dedienne-Camélia Jordana s’est-il imposé à vous d’emblée ?
Camélia est très connue comme chanteuse, mais je la trouve très crédible en institutrice. Elle a surtout été exposée avec son rôle dans LE BRIO, et l’on pourrait tout à fait imaginer un pont entre ces deux personnages, comme si l’étudiante était devenue enseignante... Pourquoi Camélia dans PARENTS D’ÉLÈVES ? Parce que je ne supporte plus ces personnages féminins doux, mignons, effacés, comme on en voit trop souvent dans la comédie romantique. Je voulais une fille un peu rock, qui ait des aspérités, qui soit drôle, différente. C’est pourquoi on n’a pas effacé les tatouages de Camélia. Cette maîtresse a une vraie personnalité. Camélia a du coffre, un regard très fort, une puissance en elle, un franc-parler qui transparaissent dans le rôle et que je trouve très justes. J’aimais aussi sa silhouette plantureuse et sensuelle, éloignée des stéréotypes de filles filiformes. Quant à Vincent Dedienne, je ne voulais pas non plus un comédien au physique de mannequin Instagram, surtout pas. La comédie romantique, pour moi, doit aussi être représentative de la vie ordinaire. Vincent, outre le fait qu’il est un excellent acteur, a aussi un capital sympathie très fort. Il est immédiatement attachant.
Vos personnages ont un parler très spontané. Vincent, par exemple, pense et parle vite, verbalise à outrance, fait des lapsus, dit des gros mots… Nora, aussi, dérape parfois devant les enfants. À l’autre bout du spectre du langage, il y a la petite Juliette qui ne pipe mot. Était-ce étudié et avez-vous laissé de la place à l’improvisation ?
Vincent Dedienne et Camélia Jordana ont fait beaucoup d’impros, notamment dans la scène où ils parlent d’un livre qu’ils ont lu et que Vincent fait semblant d’aimer avant d’accorder son avis à celui de Nora. Je laisse beaucoup de part à l’improvisation et ne suis pas du tout amoureuse de mes dialogues. Quant à Juliette, elle ne parle pas, car elle a peur de révéler un non-dit. Tandis que Vincent, lui, a peur de dévoiler son mensonge, mais ne fait que parler. Juliette et Vincent incarnent les deux versants du secret. Le mensonge crée le masque et donc la comédie. J’ai aussi utilisé le talent naturel de Vincent Dedienne, qui manie très bien la langue, qui sait meubler et être très drôle.
Comment avez-vous dirigé vos comédiens ?
Nous avons fait beaucoup de répétitions avec Vincent Dedienne. Camélia Jordana préfère conserver une certaine spontanéité au tournage. Camélia a une connaissance très aiguisée de sa voix et une ouïe très développée, qui font qu’elle sonne juste tout de suite. Beaucoup de gens m’ont fait remarquer que Nora parlait comme moi dans la vie. Il y a peut-être eu un effet mimétique entre nous. Ce phénomène avait déjà opéré dans CONNASSE et PLAN CŒUR. Ma manière de diriger les acteurs transmet peut-être ma petite musique personnelle ?
Comédie française de Noémie Saglio. Une nomination du Film Francophone d'Angoulême 2020 (édition 13). 3,1 étoiles sur AlloCiné.