L'enfant rêvé

Depuis l’enfance, François a consacré sa vie au bois. Celui des arbres des forêts du Jura, qu’il connait mieux que personne. Il dirige la scierie familiale avec sa femme Noémie, et tous deux rêvent d’avoir un enfant sans y parvenir. C’est alors que François rencontre Patricia, qui vient de s’installer dans la région. Commence une liaison passionnelle. Très vite, Patricia tombe enceinte. François vacille...

Entretien avec le réalisateur, Raphaël Jacoulot.

Quel a été le point de départ de L’ENFANT RÊVÉ ?
J’avais envie d’écrire un film sur la quête de paternité. Je l’ai nourri d’éléments personnels : j’ai moi-même des enfants et j’ai grandi dans un milieu proche de celui représenté dans le film, je suis fils d’agriculteurs, un métier où les enjeux de succession, de transmission sont importants. J’étais le fils aîné mais ce sont mes frères qui ont repris l’exploitation. J’ai observé la reprise qui était compliquée, et je me suis inspiré de leur expérience. On voit d’ailleurs l’un de mes frères dans le film parmi les ouvriers de la scierie. J’ai tourné L’enfant rêvé dans ma région d’origine, la FrancheComté, tout près du village où j’ai grandi. Ce tournage a été l’occasion de m’adresser à ma famille à travers ce récit de fiction, quelque chose s’est dénoué, me confronter à tout cela m’a fait beaucoup de bien.

Le personnage de François, joué par Jalil Lespert, a-t-il guidé l’écriture ?
La construction du récit est un cheminement long, mené avec les scénaristes, et dans une réflexion permanente avec mes producteurs Miléna Poylo et Gilles Sacuto, qui ont porté le film avec force. Ce qui me guide avant tout, c’est le personnage. C’est comme un miroir, il m’anime et je me projette en lui. C’était une écriture particulière pour moi, j’étais moi-même confronté dans ma vie, au moment où j’écrivais, à la difficulté de faire un choix. Je devais prendre une décision importante, que j’avais du mal à prendre, et écrire m’a permis de cheminer dans ma propre vie.

Pour François, la famille est toxique…
Son désir d’enfant, son rêve, est positif. Ce qui est toxique, c’est qu’on ne lui a jamais laissé le choix de sa vie et lui-même ne s’est jamais véritablement interrogé. Il ne s’est jamais demandé s’il avait envie de reprendre la scierie. Depuis l’enfance, il parcourt la forêt avec son père, il n’en garde que de bons souvenirs, et il en rêve pour son propre fils. C’est là où il se trompe, c’est dur de ne pas projeter ses propres désirs sur ses enfants. Sa difficulté d’avoir un enfant et de poursuivre la lignée familiale le confronte à cette question du choix. Le parcours d’adoption m’intéressait pour cela : François est obligé de poser des mots sur son désir d’enfant ce que, dans la vie, on fait rarement. Il est obligé de s’interroger sur son origine, son père, ce qu’il veut transmettre, ce qu’est une famille. Des questions que je me posais moi.

Dès l’ouverture on peut voir le parcours de l’arbre, puis le débitage du tronc en planches. De quoi est-ce le symbole ?
Le motif de l’arbre, enraciné ou déraciné, parcourt entièrement le film et raconte l’histoire de François. Cet arbre que l’on extrait de la forêt pour le débiter dans la scierie, c’est le parcours tragique du personnage. On pressent le drame à venir, le danger, dès la transformation et l’agression exercée sur ce tronc, sur l’écorce, on sent que la violence va surgir. Et l’apparition de la femme dans la scierie, le personnage de Patricia, contient la promesse du récit à venir : un homme et une femme vont se rencontrer…

Ce premier plan de forêt est plastiquement très fort et montre l’importance de la nature dans le film…
La présence de la nature vient de mon enfance. J’ai grandi dans un univers où la nature est domestiquée et transformée, c’était le travail de mes parents. Dans le film, les plans de nature expriment le ressenti de François, ce qu’il n’arrive pas à exprimer. La forêt est l’endroit où il se sent le mieux, rassemblé, l’endroit où il donne rendez-vous à Patricia et où il va se réfugier avec son enfant. J’ai voulu la filmer comme un lieu magique, mystérieux, majestueux, inquiétant. J’aime l’atmosphère qui s’en dégage, c’est un milieu fort et fragile, traversé par la lumière et par le vent... Dès l’ouverture du film, on découvre cette forêt en vue aérienne – et le film s’achève aussi par un plan aérien qui ouvre sur une forêt plus dégagée. Avec Céline Bozon qui signe l’image, nous avons travaillé sur des recherches plastiques, de matière et de couleur. Cela me plaisait, comme pour COUP DE CHAUD, de tourner un film noir en plein soleil, avec des éléments lumineux, colorés, comme ce camion rouge du premier plan. Mais le film s’assombrit progressivement, les saisons changent, comme l’état des personnages, vers le drame. Tout converge vers une nuit dépouillée, éclairée aux bougies. J’ai eu envie d’être peintre avant de faire du cinéma, je conserve cette approche picturale du plan et d’un film dans son ensemble. Et aussi dans ma relation au geste artistique : l’expérience solitaire me fascine et m’angoisse. Je conserve un peu de cette expérience dans le cinéma : je suis toujours dans une quête intime et solitaire. Mais je suis obligé de transmettre mon désir à mon équipe et de m’ouvrir aux autres.

François est-il lui-même domestiqué, comme cette nature ?
On l’a conformé dans un rôle, qu’il occupe tant bien que mal. On lui a donné le costume de l’entrepreneur, même si Noémie le porte mieux que lui, c’est elle qui fait en sorte que l’entreprise fonctionne et cela va devenir un piège. François préfère le travail dans la forêt, proche des arbres. C’est un personnage complexe, il pourrait être un bon fils, un bon entrepreneur, peut-être un bon père, et en même temps il a un autre visage, plus tourmenté, plus animal, plus violent. Il est contenu dans un rôle dans lequel il ne parvient pas à rester, et cela va finir par exploser d’une manière violente et désordonnée.

Comment avez-vous choisi vos acteurs ?
On ne parle pas assez des directeurs de casting. J’ai travaillé avec Brigitte Moidon, qui m’a parlé de Jalil Lespert dès le début, comme elle m’avait parlé très tôt de Karim Leklou pour mon film précédent. Elle a des intuitions extrêmement fortes de la relation entre un personnage et un acteur et je l’écoute énormément. Jalil est impressionnant dans le film, viscéral, organique, avec une présence forte et émouvante. Il est arrivé très tôt sur le projet, dès l’une des premières versions du scénario. Il a été extrêmement fidèle, on s’est beaucoup vus, c’est un grand travailleur. On a parlé du personnage, de sa psychologie, il a appris les gestes, a manipulé des scies et des lames, a rencontré des gens qui travaillaient dans ce milieu. Les acteurs adorent ce moment de documentation, qui nourrit leur travail. Le père, joué par Jean-Marie Winling, a fait de même, le neveu aussi. Sur le plateau, Jalil s’est isolé dans une forme d’introspection pour atteindre ce personnage mutique, tout en intériorité. Je suis très attentif à la place laissée à l’acteur, à l’espace qu’on lui donne. J’investis cet espace avec passion, j’essaye de trouver la nuance la plus juste, je suis dans une obsession de la justesse. Je pense que la vérité d’un film n’advient que si l’on atteint cette justesse-là avec les acteurs, dans la construction de leurs personnages. Le plus difficile c’est toujours de trouver le moment où l’acteur va s’abandonner dans le jeu, cette espèce de bascule étrange, ce passage de l’acteur au personnage. C’est passionnant. Parfois, les acteurs sont dans une forme de résistance parce que ce n’est pas simple, il y a beaucoup de peur à se dévoiler devant une équipe. C’est toujours un pari pour moi de trouver ce qui va faire tomber les résistances.

Et les actrices ?
Mélanie Doutey et Jalil Lespert avaient déjà joué ensemble, ils ont une approche assez similaire du jeu. Il y a une grande complicité entre eux qui a nourri l’entente presque fraternelle du couple qu’ils avaient à jouer. Mélanie est une comédienne très précise, une vraie tragédienne, puissante dans les émotions et impressionnante de technique. Je suis très heureux de la voir dans ce rôle, elle a construit un personnage fort. Louise Bourgoin est une comédienne très émouvante. Elle était véritablement enceinte, on a tourné le film en deux périodes pour s’adapter aux étapes de sa propre grossesse. Les frontières entre la réalité et la fiction étaient poreuses, je lui suis reconnaissant d’avoir interprété ce rôle, j’y vois une forme de don. Cela a traversé son jeu de manière très touchante. Je la trouve formidable.

La musique participe au lyrisme du film…
Elle est une ligne constitutive du projet, qui existait dans ma tête dès l’écriture et que l’on a travaillé dès le début du montage. Elle a été composée par André Dziezuk qui a déjà travaillé sur mes films précédents. La musique permet d’entrer pleinement dans la fiction, et d’affirmer le lyrisme, le romanesque, et le tragique. Elle apporte une tension sourde. Mes personnages parlent peu, ils ont du mal à exprimer leur ressenti, et la musique devient leur voix, le violoncelle est la voix de François.

Romance, drame français de Raphaël Jacoulot. 3 étoiles sur AlloCiné.