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Harcèlement moral : présumer n’est pas démontrer


Un salarié saisit le Conseil des prud’hommes pour qu’il condamne son employeur à lui verser des dommages et intérêts. La Cour d’appel lui donne tort estimant que les faits rapportés ne démontraient pas de harcèlement moral. Mais la Cour de cassation n’est pas de cet avis : la Cour d’appel est censurée car elle n’a pas examiné les faits invoqués pour apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral.

Extrait de l’arrêt du 9 décembre 2020. Pourvoi n° : 19-13.470.

[...]

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Paris, 10 janvier 2019), M. Y... a été engagé le 1er novembre 2009, avec reprise d’ancienneté au 19 janvier 2000, par la société Ramp Terminal One, en qualité d’assistant avion 1.

2. Estimant faire l’objet d’actes de discrimination et de harcèlement depuis notamment sa désignation en qualité de délégué syndical et invoquant un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité, il a saisi la juridiction prud’homale de demandes de dommages-intérêts.

Examen des moyens

Sur le troisième moyen, ci -après annexé

3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen qui n’est manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le premier moyen. Enoncé du moyen

4. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour violation par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat, alors :

« 1°/ que tout salarié dispose d’un droit à la santé et au repos constitutionnellement et conventionnellement garanti ; que la méconnaissance par l’employeur des préconisations du médecin du travail qui indique l’existence d’un risque grave, spécifique et identifié, en cas de conduite d’un certain types d’engins, commet une faute qui cause nécessairement un préjudice au salarié, privé ainsi du droit constitutionnellement et conventionnellement garanti à la préservation de sa santé ; qu’en déboutant M. Y... de sa demande au motif qu’il ne justifiait pas du préjudice qui résultait du manquement de l’employeur à l’obligation de suivre les préconisations du médecin du travail lequel avait interdit son affectation à la conduite d’un engin aéroportuaire lourd, la cour d’appel a violé l’alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, l’article 151 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se référant à la Charte sociale européenne et à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail dans leur rédaction alors applicable, interprété à la lumière de l’article 5.1 de la directive 89/391 du 12 juin 1989 et de l’article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne ;

2°/ que lorsque le salarié justifie d’une dégradation de son état de santé corrélative à la violation par l’employeur de son obligation de sécurité de résultat il appartient à ce dernier d’apporter la preuve de l’absence de lien entre eux ; qu’en reprochant au salarié de ne pas avoir apporté la preuve d’un tel lien, la cour d’appel qui a inversé la charge de la preuve, a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail et 1315, devenu 1353, du code civil. »

Réponse de la Cour

5. L’existence d’un préjudice et l’évaluation de celui-ci relèvent du pouvoir souverain d’appréciation des juges du fond.

6 . La cour d’appel, dans l’exercice de son pouvoir souverain, a constaté que le salarié se bornait à une déclaration de principe d’ordre général sans caractériser l’existence d’un préjudice dont il aurait personnellement souffert.

7. Le moyen, inopérant en sa seconde branche, n’est pas fondé pour le surplus.

Mais sur le deuxième moyen, pris en sa première branche. Enoncé du moyen

8. Le salarié fait grief à l’arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral et, dans l’affirmative, il incombe à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments étrangers à tout harcèlement ; qu’en déboutant M. Y... de ses demandes aux motifs que ni le maintien d’un salarié sur son poste correspondant à ses fonctions, son expérience et ses qualifications, même au détriment des prescriptions et restrictions du médecin du travail, ni le refus de mobilité professionnelle, ni celui d’accorder des heures supplémentaires qui relèvent du pouvoir de direction de l’employeur, ni la régularisation tardive des heures de délégation du salarié après rappel à l’ordre de l’inspecteur du travail, ni la dégradation constatée de l’état de santé du salarié dont il n’est pas établi qu’elle serait en lien avec le comportement de l’employeur, n’étaient de nature à laisser supposer l’existence d’un harcèlement moral, la cour d’appel qui a en réalité fait peser sur le seul salarié la charge de la preuve du harcèlement moral, a violé l’article L. 1154-1 du code du travail. »

Réponse de la cour

Vu les articles L. 1152-1 et L. 1154-1 du code du travail, le second dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :

9. Il résulte de ces dispositions que, pour se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, il appartient au juge d’examiner l’ensemble des éléments invoqués par le salarié, en prenant en compte les documents médicaux éventuellement produits, et d’apprécier si les faits matériellement établis, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l’existence d’un harcèlement moral. Dans l’affirmative, il revient au juge d’apprécier si l’employeur prouve que les agissements invoqués ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

10. Pour rejeter les demandes formées au titre d’un harcèlement moral, l’arrêt retient que ni le maintien d’un salarié sur son poste correspondant à ses fonctions, son expérience et ses qualifications, même au détriment des prescriptions et restrictions du médecin du travail, ni le refus de mobilité professionnelle ni celui d’accorder des heures supplémentaires ne caractérisent des méthodes de gestion ayant pour objet ou pour effet de dégrader les conditions de travail du salarié susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

11. Il ajoute que les conditions d’emploi du salarié n’ont pas entraîné de dégradation de son état de santé, que les instances représentatives du personnel n’ont jamais été alertées, que la régularisation tardive des heures de délégation s’explique par le retard de transmission du salarié et par le débat qu’il y a eu entre l’employeur et le salarié sur la possibilité de les prendre durant les arrêts de travail. Il conclut que la matérialité d’éléments de faits précis et concordants qui, pris dans leur ensemble, laissent supposer l’existence d’un harcèlement, n’est pas démontrée.

12 .En statuant ainsi, alors qu’il lui appartenait d’examiner les éléments invoqués par le salarié, de dire s’ils étaient matériellement établis, et, dans l’affirmative, d’apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l’existence d’un harcèlement moral, la cour d’appel, qui a fait peser la charge de la preuve de l’existence du harcèlement moral sur le seul salarié, a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, sans qu’il soit nécessaire de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il rejette la demande de M. Y... en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, l’arrêt rendu le 10 janvier 2019 entre les parties, par la cour d’appel de Paris ;

Remet, sur ce point, l’affaire et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d’appel de Paris, autrement composée ;

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