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Play


En 1993, Max a 13 ans quand on lui offre sa première caméra. Pendant 25 ans il ne s’arrêtera pas de filmer. La bande de potes, les amours, les succès, les échecs. Des années 90 aux années 2010, c’est le portrait de toute une génération qui se dessine à travers son objectif.

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Entretien avec Anthony Marciano

Après Les Gamins, Play apparaît comme un film très personnel, presque autobiographique. Qu'est ce qui a motivé cette démarche ?
Le grand nostalgique que je suis a eu envie de se replonger dans les souvenirs qui ont marqué ces 25 dernières années. Étant né en 1979, j’ai grandi dans un monde où le téléphone portable et internet n’existaient pas. Quand j’avais un amour de vacances, je lui écrivais des lettres et guettais le facteur en retour. J’attendais que le téléphone sonne et que ma mère décroche le combiné avant de me le passer. Sans dire que c’était mieux avant, c’est quelque chose de sentimental qui m’a donné envie de revivre ces moments et de me remettre dans l’état dans lequel j’étais à cet âge-là. Je ne voulais pas mettre en scène cette époque révolue mais la revivre ! Et la seule façon d’y arriver, c’était de fabriquer des faux rushes. J’ai eu la chance que mes producteurs aiment cette idée et m’encouragent à me lancer. Dès l’écriture, j’ai ressenti que la démarche était différente de celles de mes précédents projets : je n’écrivais pas un film pour le sortir, je n’imaginais pas un casting pour qu’il ait du succès mais je couchais spontanément sur papier ce que je voulais revivre. J’y ai déposé tous mes bagages et dit ce que j’avais à dire sur ce qui me hante : le temps qui passe, ma peur de mourir, les enfants… Finalement, cela s’apparentait plus à un accouchement.

Pensez-vous que c'est en étant le plus personnel qu'on peut toucher un plus large public ?
J’en suis persuadé. Il y a une sincérité qui ne se triche pas, qui ne se fabrique pas. Il ne s’agissait pas seulement de lister des événements des années 90 et 2000. C’est un ressenti et un point de vue, qui sont tellement personnels que j’ai le sentiment que mes autres films ne le seront jamais autant.

Vous avez retrouvé Max Boublil, co-auteur de vos précédents films, pour l'écrire. Vous ressemblez-vous tant que ça tous les deux ?
Nous avons des personnalités totalement opposées mais nous sommes nés la même année et avons grandi ensemble, à Paris, donc on partage les mêmes références. Par ailleurs, dans le travail, nous sommes complémentaires.

Comment procédez-vous ?
Ça dépend des films mais généralement je fais tout ce qui est rasoir, jusqu’à ce qu’il vienne me retrouver dans un restaurant et me dise « bon alors, on parle de quoi aujourd’hui ? ». S’ensuit un ping-pong verbal de 3-4 heures où il se révèle toujours très fort pour trouver des situations de comédie. Max a une vraie connaissance de l’humain et sait ce qui est touchant, parce qu’il est très généreux dans la vie. Évidemment, il ne sait pas s’arrêter et je dois parfois siffler l’arrêt de jeu, mais dans les 400 idées qu’il envoie à la seconde, je pioche ce qui me plait et je repars chez moi pour structurer l’ensemble et le dialoguer. Ce film nécessitait aussi une écriture à part parce que mon obsession de fabriquer du faux vrai nous obligeait à nous poser toujours les mêmes questions : « quelle raison valable a poussé quelqu’un à allumer la caméra cette fois-là ? », « qui filme ? », « comment le sait-on ? ». On n’allume jamais un caméscope pour filmer un dialogue ; les gens regardent aussi souvent la caméra. C’est presque l’inverse du cinéma. Ça rendait Max fou parfois car il avait de superbes idées de séquences et je lui disais « non », parce qu’il n’y avait aucune raison que le protagoniste allume la caméra à ce moment-là.

Max Boublil et Alice Isaaz étaient-ils au casting dès le départ ?
Dans mon idée initiale, je ne voulais pas d’acteurs connus pour rendre le propos plus crédible. Mais ce n’était pas vraiment faisable et Max s’est imposé. Pour son personnage, je suis donc parti de lui adulte. Alice est arrivée ensuite. C’est une actrice extraordinaire qui a aussi cette particularité de faire très jeune, ce qui m’arrangeait pour la faire traverser les époques. C’est important car elle incarne le grand amour de Max et cela aurait été étrange de se rendre compte que 10 ans plus tard, ce n’est plus la même comédienne.

Pour donner de la véracité au propos, la ressemblance entre les acteurs qui incarnent les mêmes personnages à des âges différents était primordiale. Comment avez-vous procédé pour le casting ?
C’était en effet la partie la plus longue du projet car il fallait retrouver les quatre mêmes copains à trois moments différents de leur vie. Six mois avant la préparation, avant même d’avoir achevé l’écriture du scénario, j’ai demandé à mes producteurs de réunir une directrice de casting et mon chef opérateur pour engager en parallèle casting et essais caméras. Il a fallu trouver dans toute la France des gens qui correspondaient physiquement mais aussi qui soient bons comédiens et qui forment, par âge, des groupes homogènes. Ça a finalement duré 9 mois : on s’est appuyé sur plusieurs directeurs de casting, on a fait du casting sauvage. On a aussi lancé un appel sur les réseaux sociaux et j’ai visionné près de 3000 essais vidéo. Je partais alors de celui ou celle que j’avais le plus aimé aux essais et dont je ne voulais pas me passer et cherchais ensuite des comédiens qui lui ressemblaient pour les autres âges.

Il n'y a pas de nostalgie sans musique. Comment avez-vous fait pour avoir tous les morceaux que vous vouliez ?
J’ai fait un marché avec mes producteurs ! Je leur ai dit que si le coût du film en lui-même serait raisonnable, il faudrait être généreux en droits musicaux. La musique représente donc le plus gros budget du film. Mais pour la nostalgie, c’était essentiel d’avoir certaines chansons. Parfois des tubes, mais souvent des titres qui ont été très joués à une époque et que l’on ne réécoute plus (« Virtual Insanity » de Jamiroquai, « Sunday Shining » de Finley Quaye, « You are my high » de Demon & Heartbreaker, etc). L’idée était encore une fois que cela remue le spectateur de manière instinctive et inattendue. D’ailleurs, réécouter ces morceaux pour préparer la BO m’a plongé dans des états assez mélancoliques.

Quel était votre souhait pour l'image et le son ?
Après six mois d’essais caméra (contrairement à quelques jours sur un tournage normal), on a trouvé une combinaison de caméras et de passages sur bande qui nous permettait à la fois d’avoir un contrôle sur ce qu’on tournait et d’obtenir un résultat strictement similaire aux caméscopes des années 90-2000. Pour les époques suivantes, il a été plus facile de simuler des images de caméscope HD ou d’iPhone. Le montage son a aussi représenté un gros travail, car je voulais qu’il y ait des mots qu’on n’entende pas, un bus qui passe à un moment important et qu’on manque des choses… Comme dans de vrais rushes.

Le risque, avec un film générationnel, c'est de ne toucher qu'une partie du public. Est-ce un pari ?
En m’appuyant sur des références très personnelles, je pensais en effet ne toucher que les gens de ma génération, ceux qui ont aujourd’hui entre 30 et 40 ans. Mais lors des projections test, j’ai découvert avec surprise que les jeunes se reconnaissaient aussi dans cette histoire. On peut toujours dire que ce qu’on a vécu est quelque chose d’unique, mais force est de constater que ça ne l’est pas tant que ça.

Comédie française de Anthony Marciano. 3,9 étoiles sur AlloCiné.       

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