Un salarié et son employeur s’entendent pour une rupture conventionnelle. Mais sachant qu’un délai de 15 jours doit être respecté entre la signature et l’envoi à l’inspection du travail, l’employeur, pour gagner du temps, avait envoyé au salarié un formulaire de rupture antidaté sans organiser d’entretien préalable. Mal lui en a pris. En effet le salarié a porté l’affaire devant les prud’hommes et la Cour d’appel lui a donné raison. La rupture conventionnelle a été annulée et son licenciement a été requalifié sans cause réelle et sérieuse avec versement de dommages et intérêts à la clé.
« EXPOSE DES MOTIFS
Monsieur X Y a été embauché le 6 avril 2010 par la SARL VELRO par contrat à durée déterminée en qualité de conseiller technique cycles. La relation de travail s’est poursuivie le 2 octobre 2010 sous la forme d’un contrat à durée indéterminée.
Le 1er septembre 2012, M. X Y était muté à l’établissement secondaire du Poujol sur Orb.
Le 25 février 2013, M. X Y et son employeur concluaient une rupture conventionnelle.
Le 23 avril 2013, la SARL VELRO remettait à son salarié les documents de fin de contrat fixant la date de la rupture de celui-ci au 10 avril 2013.
Le 18 septembre 2013, M. X Y saisissait le conseil de prud’hommes de Béziers aux fins de demander notamment l’annulation de la rupture conventionnelle intervenue.
Le 24 mars 2016, le bureau de départage du conseil de prud’hommes de Béziers a jugé ainsi qu’il suit :
"Prononce la nullité de l’acte de rupture conventionnelle datée du 25 février 2013;
Dit que la rupture conventionnelle invalidée produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse;
Condamne la SARL VELRO, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. X Y Z les sommes suivantes :
- 3.300 euros au titre de l’indemnité compensatrice de préavis outre 330 au titre des congés payés afférents ;
- 900 euros au titre de l’indemnité légale de licenciement ;
- 10.000 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 2.525,52 euros d’indemnité de congés payés ;
- 1.000 euros à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail.
Condamne la SARL VELRO, prise en la personne de son représentant légal, à payer à Monsieur X Y Z la somme de 800 euros au titre de l’article 700 du code de procédure civile.
Rappelle que les condamnations à paiement de créances salariales porteront intérêt au taux légal à compter de la saisine du conseil et que les condamnations à créances indemnitaires porteront intérêt à compter du prononcé du jugement.
Dit n’y avoir lieu à exécution provisoire.
Condamne la SARL VELRO, prise en la personne de son représentant légal, aux dépens."
Le 12 avril 2016, la SARL VELRO a régulièrement interjeté appel de ce jugement.
Elle demande l’infirmation du jugement entrepris, le débouté des demandes de l’intimé, le remboursement, à titre subsidiaire, de la somme de 1.850 € versée au titre de l’indemnité de rupture conventionnelle et la condamnation de M. X Y au versement de la somme de 1.000 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile.
Elle fait valoir que le salarié a effectivement pris les congés payés demandés, qu’il s’est vu remettre un exemplaire de la rupture conventionnelle, qu’il convient de distinguer le formulaire de rupture du protocole de rupture, seul ce dernier ayant été transmis le 13 mars 2013, et que le contrat a été loyalement exécuté, ce d’autant plus qu’elle n’est pas à l’initiative de la rupture.
L’intimé demande la confirmation du jugement entrepris et la condamnation de la SARL VELRO à lui verser les sommes de 10.000 € de dommages et intérêts pour rupture abusive, 3.300 € d’indemnité légale de préavis, 330,00 € au titre des congés payés afférents, 990 € à titre d’indemnité de licenciement, 2.525,52 € à titre d’indemnité de congés payés, 1.000 € pour exécution déloyale du contrat de travail et 1.500 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile, outre la soumission de ces condamnations aux intérêts légaux.
Il expose au soutien de sa demande de nullité de la rupture intervenue, outre le fait de n’avoir reçu aucun exemplaire de la rupture conventionnelle avant l’expiration du délai de rétractation, que l’appelante a antidaté les deux documents de rupture (formulaire et protocole) le privant ainsi de son délai de rétractation et de la possibilité de demander l’homologation de la convention, que son consentement a été obtenu par fraude en ce que l’employeur lui aurait dit lui indemniser les congés payés qu’il n’avait pas pris du 28 janvier au 16 mars 2013, qu’aucun entretien préalable à la rupture ne s’est jamais tenu et que la clause n°6 insérée dans le protocole de rupture et portant renonciation des droits nés de l’exécution et la cessation du contrat de travail est non-écrite. Il expose au soutien de sa demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat que l’employeur a agi de façon déloyale en délivrant des bulletins de paie inexacts, en le contraignant à établir des documents antidatés, en engageant une procédure de rupture conventionnelle sans organiser d’entretien préalable et en insérant une clause nulle dans la convention de rupture. Il expose enfin au soutien de sa demande d’indemnité de congés payés que les congés figurant sur son bulletin de paie de mars 2013 n’ont été ni pris par lui ni indemnisés par l’employeur.
Vu l’article 455 du Code de procédure civile, pour l’exposé des moyens des parties, il sera renvoyé à leurs conclusions soutenues oralement à l’audience du 6 novembre 2019.
MOTIFS
Sur la rupture conventionnelle
Le salarié invoque une violation des articles L1237-13 et 1237-14 du code du travail suivant lesquels « La convention de rupture 'fixe la date de rupture du contrat de travail, qui ne peut intervenir avant le lendemain du jour de l’homologation. A compter de la date de sa signature par les deux parties, chacune d’entre elles dispose d’un délai de quinze jours calendaires pour exercer son droit de rétractation. Ce droit est exercé sous la forme d’une lettre adressée par tout moyen attestant de sa date de réception par l’autre partie » et « A l’issue du délai de rétractation, la partie la plus diligente adresse une demande d’homologation à l’autorité administrative, avec un exemplaire de la convention de rupture. 'L’autorité administrative dispose d’un délai d’instruction de quinze jours ouvrables, à compter de la réception de la demande, pour s’assurer du respect des conditions prévues à la présente section et de la liberté de consentement des parties. A défaut de notification dans ce délai, l’homologation est réputée acquise et l’autorité administrative est dessaisie. La validité de la convention est subordonnée à son homologation'. »
Il résulte de l’application combinée des articles L. 1237-13 et L. 1237-14 du code du travail qu’une partie à une convention de rupture ne peut valablement demander l’homologation de cette convention à l’autorité administrative avant l’expiration du délai de rétractation de quinze jours prévu par le premier de ces textes.
Il est établi que, le 13 mars 2013, le cabinet CLS CONSEILS a envoyé par courriel ayant pour objet 'Rupture conventionnelle X Y’ au gérant de la SARL VELRO le formulaire Cerfa et le protocole de rupture conventionnelle avec pour consigne de les faire dater et signer, pour le premier, et parapher et signer, pour le second, par le salarié. Le même jour, l’employeur transmettait ces documents, par courriel également, au salarié.
Il résulte de ce qui précède que les documents de rupture conventionnelle, tant le formulaire que le protocole, antidatés au 25 février 2013, n’ont pu être, en réalité, remplis et signés par le salarié que le 13 mars 2013 au plus tôt, en conséquence de quoi la demande d’homologation envoyée par l’employeur à la DIRECCTE le 18 mars 2013, dont la DIRECCTE accusait réception le 21 mars 2013, n’était pas intervenue dans le délai légal.
L’envoi de la demande d’homologation de la rupture conventionnelle à la DIRECCTE avant l’expiration du délai de rétractation fait donc obstacle à l’homologation implicite de la convention de rupture et entraîne l’annulation de cette dernière.
La rupture intervenue produit les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Au jour de la rupture du contrat de travail, M. X Y avait 3 ans d’ancienneté. Au vu du salaire moyen des trois derniers mois qu’il convient de fixer à 1.650 €, il lui sera alloué la somme de 990 € à titre d’indemnité légale de licenciement. Il a également droit à une indemnité compensatrice de préavis égale à deux mois de salaire, en conséquence de quoi il lui sera alloué 3.300 €, outre les congés payés afférents. Le jugement sera confirmé sur ces deux points.
M. X Y ne justifie pas de sa situation ensuite de la perte de son emploi et produit une simple notification de reprise de droit ARE qui ne permet pas d’établir la réalité et la durée d’une éventuelle recherche d’emploi. Il lui sera alloué 10.000 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’appelant ne contestant pas l’applicabilité de l’article L. 1235-3 du code du travail.
Le salarié devant rembourser la somme de 1.850 € (dont la perception au titre de l’indemnité de rupture conventionnelle n’est pas contestée par lui) et ce remboursement devant s’imputer par compensation sur la somme due par l’employeur, il convient, en infirmant sur ce point le jugement entrepris, de condamner la SARL VELRO au paiement d’un solde de 8.150 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur l’exécution loyale du contrat de travail
La bonne foi se présume et il appartient au salarié d’établir que l’employeur a agi de mauvaise foi dans l’exécution du contrat de travail.
Il est établi, outre la délivrance de bulletins de paie contenant des erreurs grossières, que l’employeur, dans le cadre de la procédure de rupture conventionnelle, a sciemment transmis au salarié pour paraphe, datation et signature des documents manifestement antidatés.
Ces faits établissent à l’encontre de l’employeur, des fautes caractérisant des manquements à l’obligation d’exécution de bonne foi du contrat de travail. Il sera alloué la somme de 1.000 € au salarié à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur les congés payés
Le salarié soutient, pour la période du 28 janvier au 16 mars 2013, n’avoir ni pris les 40,5 jours de congés payés dont il disposait ni été indemnisé de ceux-ci.
Les mentions des bulletins de paie ne permettent pas d’établir, à elles seules, la réalité des congés payés rémunérés pris par le salarié.
Si la cour relève effectivement que le bulletin de paie du salarié du mois de mars 2013 comporte, d’une part, des congés se rapportant aux mois de janvier et février et, d’autre part, des incohérences par rapport aux bulletins de ces mois précités en ce que le bulletin de février ne mentionne qu'1,5 jour de congés payés pris là où le bulletin de mars mentionne 22,5 jours pour février, il n’en reste pas moins que l’employeur produit une demande (acceptée) de congés payés pour la période du 28 janvier 2013 au 16 mars 2013, émanant du salarié et datée et signée par celui-ci.
Le salarié ne rapporte ni la preuve de ce que cette demande serait antidatée, comme il l’affirme, ni la preuve de ce qu’il serait revenu sur cette demande et aurait finalement travaillé, avec l’accord de son employeur, au cours de la période considérée.
Les trois attestations que le salarié verse aux débats et qui sont identiques, en ce qu’elles affirment seulement que 'M. A. X Y était présent en tant que gérant au magasin vélodorb sur la période du 28 janvier 2013 au 16 mars 2013", ne permettent pas d’établir que M. X Y a travaillé tout au long de cette période sous l’autorité de l’employeur, ce d’autant plus que la SARL VELRO soutient, sans être contredite, que le salarié avait accès à l’atelier de l’entreprise pour effectuer réparations et modifications sur son vélo personnel.
En conséquence, le salarié sera débouté de sa demande d’indemnité de congés payés et le jugement entrepris infirmé sur ce point.
Il apparaît équitable d’allouer à M. X Y la somme de 800 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la présente instance.
L’employeur qui succombe sera tenu aux dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,
Confirme le jugement déféré du conseil de prud’hommes de Béziers du 24 mars 2016 sauf en ce qu’il a condamné la SARL VELRO, prise en la personne de son représentant légal, à payer à M. X Y 10.000 € d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et 2.525,52 € d’indemnité de congés payés ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
Déboute M. X Y de sa demande d’indemnité de congés payés ;
Condamne la SARL VELRO à verser à M. X Y la somme de 8.150 € à titre d’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, après compensation entre la créance du salarié en dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse et la créance de l’employeur en restitution des sommes versées au titre de la convention de rupture annulée ;
Condamne la SARL VELRO à payer à M. X Y la somme de 800 € sur le fondement de l’article 700 du code de procédure civile pour la procédure d’appel ;
Condamne la SARL VELRO aux dépens. »
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