Un corps retrouvé sur une plage, un employé de sauna, un douanier peu scrupuleux, un prêteur sur gage et une hôtesse de bar qui n’auraient jamais dû se croiser. Mais le sort en a décidé autrement en plaçant sur leur route un sac rempli de billets, qui bouleversera leur destin. Arnaques, trahisons et meurtres : tous les coups sont permis pour qui rêve de nouveaux départs…
LUCKY STRIKE est basé sur un roman japonais avec une ambiance japonaise très spécifique. Qu'est-ce qui vous a attiré dans ce livre ?
Dans le roman, j'ai été fasciné par l’histoire de toutes ces personnes à ce point liées entre elles par l’argent : le livre, à travers cette multitude de personnages, se déroule au moment où la forte croissance économique s’arrête net au Japon et décrit finalement les méfaits du capitalisme. Comme cette situation se reproduit actuellement de manière identique dans la société coréenne, j'ai pensé que cette histoire pouvait aussi intéresser ce public
Vous utilisez une structure composée de chapitres : c’est pour garder un lien avec la littérature ou c’est une façon supplémentaire de tromper le public, puisqu'elle établit un rythme chronologique alors que l'intrigue est, elle, déstructurée ?
Le récit est assez complexe, j'ai donc utilisé ce dispositif pour donner des repères, pour que le public puisse plus facilement suivre les évènements. Cela atténue la confusion qu'il pourrait ressentir au fil de la découverte des nombreux personnages. Avec cette structure, j’ai aussi voulu créer un effet rythmique au montage
Si nous avions raconté cette histoire de manière linéaire, l’intrigue aurait été trop prévisible, donc ennuyeuse. J'ai voulu la rendre imprévisible tout en laissant au spectateur le plaisir d'assembler dans sa tête les différentes parties du puzzle, avec toutes les astuces narratives que permettent ce genre de récits "dans le désordre".
C’est le personnage de Yeon-Hee, la tenacière de bar (interprétée par JEON Do-Yeon) qui, vers le milieu de l’histoire, vient à la rencontre d’autres personnages principaux (Mi-ran la femme battue, Tae-young le fonctionnaire de l’immigration, Joong-man l’employé du sauna). C'était amusant de créer une nouvelle tension en faisant entrer ce personnage fort dans les différents univers des autres protagonistes. Sans compter ce que ça amenait au principe de puzzle dont je vous parlais.
Et en partageant le film en deux parties avec l'apparition de Yeon-hee, je pouvais concentrer la première moitié autour du processus qui amène chaque protagoniste à s’avilir par appât du gain, et la seconde à montrer comment ils en arrivent à devenir des monstres, encore plus vicieux.
LUCKY STRIKE combine des éléments de film noir et de comédie grinçante. Comment ces genres peuvent se renforcer mutuellement ?
Dans ce film, les événements se compliquent de manière exponentielle, et plus quelqu'un tente de résoudre les problèmes, plus ils empirent. La maladresse générale des principaux protagonistes quand ils se retrouvent impliqués dans des crimes ajoute effectivement un élément de comédie grinçante.
Personnellement, j’aime beaucoup cette interaction entre la tension et l'humour, et je pense que cette combinaison de registres est idéale : le contraste accentue la gamme des émotions que traversent le public. Avec ce va-et-vient entre comique et suspense, non seulement elles deviennent plus fortes, mais je trouve aussi que ça renforce la cruauté des situations.
L'une des composantes majeures des films noirs est la stylisation visuelle. Pourriez-vous nous parler de votre travail avec le directeur de la photographie, KIM Tae-Sung ?
Le concept général était d’employer une lumière différente pour chaque personnage : Yeon-hee en blanc, Tae-young en bleu, Jin-tae (le jeune clandestin chinois) en violet, Mi-ran en orange, etc... Je voulais aussi que chaque logement puisse immédiatement représenter le personnage qui y habite. À travers l'éclairage conçu dans cet espace, je voulais montrer les différentes psychologies. Mais comme malgré tout, je pense que tout vient des personnages, une fois ce cadre visuel défini et posé, je me suis donc surtout concentré sur les situations et leurs émotions.
Revenons au personnage de Yeon-Hee : votre objectif était-il de déconstruire le mythe de la "femme fatale" ?
Bien que ce film n’ait pas une approche sur des problématiques de genre, j’avais aussi le désir de faire un film avec des personnages féminins forts.
D’habitude, dans les films noirs, les hommes sauvages et violents ont tendance à être mis en avant, tandis que l’image de la femme est souvent représentée par celle d’une "femme fatale" séduisant les hommes. Je voulais briser ce préjugé avec le personnage d'Yeon-hee, qui s’attaque en fait à tout le monde, sans distinction. Je voulais en faire un personnage implacable, comme le requintaureau, qui mange même ses frères et sœurs : puisque la plupart des films noirs parlent du monde des hommes, j’ai pensé que ce serait amusant que ce soit une femme puissante qui contrôle cet univers masculin.
Les films noirs traitent aussi fréquemment de personnages liés au monde criminel. Ici, ce sont des gens plus "ordinaires". Si on ajoute à cela l'idée d'un film de groupe, cela signifie-t-il que vous avez essayé d'embrasser un portrait plus global de la société ?
Exactement : dans le film, j’ai toujours souhaité évoquer notre société en l’abordant par le prisme de l’histoire des gens ordinaires. C'est même l'une des raisons pour laquelle j’ai changé le personnage de Tae-young, inspecteur de police dans le roman, en un agent du bureau de l’immigration. À travers sa fonction et celles des autres personnages, je voulais montrer les méfaits du capitalisme et de l’appât du gain dans le quotidien de ces personnes a priori "banales", et, pour une fois, pas dans celui de ceux qui ont le pouvoir ou des criminels. Ça me semblait aussi un peu plus inattendu, plus à même de faire réfléchir les spectateurs.
Dans quelle mesure le choix de Pyeongtaek comme décor de cette histoire était lié à l'idée de représenter une certaine catégorie sociale ?
La ville de Pyeongtaek se situe à 70 km de Séoul et offre vraiment des espaces très intéressants. Bien qu’il s’agisse d’un port immense, avec le trafic et l’animation qui va avec, on y trouve aussi des petits quartiers très humains, des habitations individuelles en périphérie.
C’est une ville où beaucoup de choses un peu inhabituelles se mélangent : la base militaire américaine, le port vers la Chine, le centre-ville rempli d'enseignes au néon, la campagne avec vue sur la mer. Je trouvais que ce mélange diversifié correspondait vraiment bien au film.
Et surtout, c’est une ville portuaire. Pour ce film qui met en scène les destins croisés de personnages ordinaires contraints à se compromettre pour tenter de survivre, ça avait un sens. En effet, un port permet d’entrer et sortir discrètement et facilement du pays, ce qui en faisait un décor idéal pour toute cette histoire.
Parlons du casting. Comme il s'agit d'une histoire de groupe, comment s’est-il déroulé ?
Le personnage de Yeon-Hee étant fondamental à l'intrigue, c’est donc le premier rôle que nous avons casté. Une fois JEON Do-Yeon sélectionnée, le reste s'est déroulé plus facilement. D'autant plus qu'en Corée du Sud, c’est une actrice qui inspire confiance autant au public qu’aux acteurs. Cela a eu un impact majeur sur le déroulement du casting.
JEON Do-Yeon, JUNG Woo-Sung, BAE Sung-Woo sont des acteurs coréens célèbres, pour ne pas dire des stars de cinéma. C’est votre premier long métrage. Comment était-ce de travailler avec des vétérans ?
Ce n'est pas facile pour un nouveau réalisateur de travailler avec d'aussi grands acteurs. Au début, je n’arrivais même pas à croire que je dirigeais des comédiens dont j’étais fan. Mais rapidement, le fait de travailler avec des acteurs aussi confirmés, c’était plutôt confortable. Vous n'avez pas besoin de dire à Messi ou Ronaldo comment faire une passe… Il suffisait de parler de la tactique globale. Ce sont des pros qui savaient exactement ce qu’ils devaient faire.
Et j’ai vraiment pu m’appuyer sur l’ensemble de ce casting très chevronné, en particulier pour les seconds rôles. C’est particulièrement grâce à eux que j’ai pu décrire la manière dont les histoires de tous ces personnages allaient se connecter les unes avec les autres : la relation entre Joongman et Tae-Young est aussi liée à la femme de Joong-man, l’histoire de Tae-Young et Mi-Ran est aussi liée à Carpe…
Thriller, drame sud coréen de Yong-hoon Kim. 3,6 étoiles sur AlloCiné.