La crise sanitaire a montré combien nous étions fragiles et dépendants. La 7e puissance économique du monde que nous sommes s’est trouvée totalement démunie. Notre incapacité à fabriquer des produits aussi simples que des masques, des cotons tiges ou des tests a contraint nos dirigeants à adopter une doctrine sanitaire de confinement total dont le coût financier va se chiffrer en centaines de milliards d’euros. Face à un libéralisme économique mondialisé, on entend aujourd'hui parler de re-localisations et même de localisme, théorie économique qui consiste à privilégier ce qui est local afin de favoriser l'économie de proximité, l'emploi local et la préservation de l'environnement via une moindre empreinte écologique liée au transport de personnes et de marchandises.
Apparu au XX siècle, le concept de localisme s'est fortement inspiré des écrits de Leopold Kohr, Ernst Friedrich Schumacher, Wendell Berry et Kirkpatrick Sale, parmi d'autres. Le député britannique du parti travailliste Alan Milburn parlait ainsi de « responsabiliser des services locaux, en déléguant plus de pouvoir aux communautés locales et, du même coup, moderniser les relations entre l'état, les citoyens et les services ».
Au cours des années 1980, une tendance localiste s'est développée aux États-Unis visant à privilégier la consommation de produits locaux. Ce mouvement naissait avec l'essor de l'agriculture biologique et le mécontentement grandissant face au développement de l'agriculture intensive utilisant des produits chimiques et pénalisant les petits exploitants agricoles. L'argument principal était donc plus écologique que protectionniste : la pollution provoquée en transportant des marchandises à l'import/export devenait préoccupante dans une économie de plus en plus mondialisée, pollution qui pouvait donc être diminuée grâce à une consommation locale.
Le localisme ouvert (ou "néo-localisme") – cosmopolite et diversifié – consiste à réorienter l'organisation de vie communautaire humaine par une gestion économique, sociale et politique de proximité. Selon ses promoteurs, c'est toute la vie qui devrait être reterritorialisée (Serge Latouche, Vivre localement) et notamment les relations interpersonnelles. Il offre une alternative à la globalisation à laquelle il attribue les conséquences suivantes : développement d'un consumérisme mondial dont l'environnement subit les conséquences, notamment en termes de consommation d'énergie fossile et de pollution liée au transport de marchandises ; tendance à la transformation des règles sociales au profit de la compétitivité ; dilution du vivre ensemble à travers des relations a-personnelles qui se développent au travers de médias planétaires et les formes de collectivités abstraites, etc.
La relocalisation de la vie est à la fois :
- économique : rapprocher l'outil de production du consommateur
- sociale : enrichir les relations humaines
- politique : mise en place d'une démocratie participative)
Elle passe notamment par une réorganisation du territoire en quartiers dits villages urbains (par exemple l'intercommunalité) qui permettrait de satisfaire localement le maximum de besoins. Cette forme de localisme n'est cependant pas présentée comme une autarcie ou autosuffisance, car certaines décisions et productions se feraient à des niveaux plus larges sur la base des institutions régionales, nationales ou internationales existantes. Le localisme n'a pas de frontières géographiques mais le principe de rapprochement maximum est la règle : par exemple passer de l'importation d'une région lointaine à la production dans une région voisine pourrait être une réponse localiste satisfaisante voire ultime pour certains biens.
D'un point de vue technique, le localisme peut par exemple s'appuyer sur une taxation variable selon l'origine des produits finis et matières premières utilisées. Moins coercitif : le principe d'étiquette carbone, étroitement lié à la notion anglo-saxonne de kilomètres alimentaires (ou food miles), peut orienter les consommateurs écoresponsables vers l'achat de produits locaux. En matière de commerce agroalimentaire, la vente directe du producteur au consommateur, telle que les AMAP en France, est perçue comme une démarche localiste. Le concept de ferme verticale apparaît également comme une solution à l'autosuffisance alimentaire urbaine. Le localisme peut aussi donner lieu à des investissements publics dans l'appareil productif local ou encore à une promotion de l'économie sociale. Le recours à la mobilité inter-entreprises sous la forme d'une bourse d'échange de postes pourrait également permettre de limiter les flux quotidiens de véhicules individuels entre plusieurs territoires urbains.
Pour arriver à des distances d'échanges suffisamment limitées, la doctrine localiste induit une réorganisation structurelle de l'appareil productif via l'implantation d'une multitude d'unités de production de taille adaptée à la communauté urbaine correspondante.
La doctrine localiste est présentée comme une orientation humaniste, dans la mesure où l'activité locale serait un moyen pour l'homme de subvenir à ses besoins et de s'épanouir parmi les siens, et non une fin visant uniquement la prospérité de personnes physiques ou morales. Les échanges de proximité favorisent l'interaction sociale, et donc les relations humaines, tout en nécessitant l'implication de tous dans l'effort collectif de production, d'où l'importance accordée à la valeur travail. Pour le philosophe français Pascal Engel, « la philosophie d'aujourd'hui doit passer par le local avant d'atteindre le global ».
Le localisme ne s'inscrit pas dans une vision "droite/gauche" de l'échiquier politique traditionnel. La doctrine localiste peut apparaître à la fois comme une autre voie et comme une synthèse des modèles politiques depuis l'ère industrielle, apportant un certain équilibre entre les bienfaits et les excès de ces modèles politiques. Notons que de par son mode qui favorise le commun on trouve peu de localistes chez les libéraux.
La doctrine localiste ne serait pas en opposition avec le capitalisme dans le sens où elle n'entend pas limiter la création de richesses, l'économie de proximité favorisant une répartition plus directe des richesses produites en s'appuyant fortement sur la participation de tous à la production (valeur du travail). Cependant le localisme n'est pas compatible avec une économie de marché globalisée et dérégulée.
Le localisme n'entrerait pas non plus en opposition avec le socialisme dans le sens où la collectivité participe étroitement à l'activité économique locale en veillant à maintenir une cohésion sociale par un écart raisonnable des revenus et limitant au maximum l'évaporation de richesses dans le circuit financier international. De plus le localisme favoriserait l'emploi donc l'insertion par l'accès à un travail suffisamment rémunérateur.
Comme il n'y a pas de limites frontalières dans la notion de plus proche origine des produits consommés, le localisme ne s'arrête pas à un territoire administratif. Par exemple, ne pouvant raisonnablement pas créer un pôle aéronautique dans chaque communauté urbaine, le localisme s'inscrit plutôt à une échelle continentale. En revanche la production agro-alimentaire d'un département devrait pouvoir subvenir en grande partie aux besoins de sa population. Par ailleurs, le localisme ne repose aucunement sur l'affirmation d'identités particulières bien que la doctrine repose sur une organisation sociale de proximité consolidant de ce fait le patrimoine culturel.
Le localisme vise à la préservation de l'écosystème dans la mesure où son objectif est de limiter au maximum l'empreinte écologique des échanges de biens, que ce soit en matière de consommation d'énergie fossile ou d'émission de CO2 qu'en matière d'usure des équipements de transport mobiles (voitures, train…) et statiques (routes, ponts…). De plus la doctrine localiste intègre l'autonomie énergétique via une politique volontariste en matière d'économies d'énergie (développement de l'habitat passif, rationalisation de l'éclairage public...) et de promotion des énergies renouvelables (panneaux solaires, éolien individuel...). L'écologiste français Nicolas Hulot déclarait ainsi à propos de la crise systémique survenue en 2008 qu'il faudra « relocaliser une partie de nos économies vers des marchés régionaux, pour rationaliser les flux énergétiques et de transports de matières ».
Selon ses promoteurs, pour passer harmonieusement d'un modèle globalisé à un modèle localiste en matière d'échanges de biens matériels, il serait nécessaire d'optimiser le codéveloppement en matière d'échanges – marchands ou non – de connaissances techniques, scientifiques, culturelles... Le codéveloppement réduit ainsi les flux de marchandises par une moindre dépendance aux importations lointaines, ouvrant à la recomposition progressive de l'espace productif de nouveaux marchés locaux par l'accroissement d'une activité redistributrice de richesses. Par ailleurs le localisme annihile le risque d'importations de produits contrefaits, permettant ainsi un développement du marché de la propriété intellectuelle industrielle.
Le localisme représente plus un standard politique adaptable à n'importe quel territoire plutôt qu'une véritable volonté de politique mondiale. Dans ce sens, des notions telles que la décroissance ou le commerce équitable ne sont pas nécessairement liées à la doctrine localiste. Le localisme entre évidemment en opposition au principe de mondialisation libérale des échanges marchands de biens matériels mais reste dans une logique de libre-échange planétaire de biens et services immatériels (recherche, culture, etc.).
Au-delà d'une simple tendance politique individuelle, l'action localiste se heurte rapidement à des règles internationales du commerce comme celles de l'OMC, par exemple, qui visent plutôt à faciliter la mondialisation des échanges, ou encore comme l'Union européenne dont la politique économique repose sur une libre circulation des biens. Cependant, compte tenu des menaces écologiques qui pèsent sur la planète et à la suite de la crise de 2008 mettant notamment en évidence l'extrême fragilité du système financier international, le principe de marché globalisé est de plus en plus controversé. L'économiste américain Paul Craig Roberts suggérait par exemple, à la suite du G20 de novembre 2008, une mesure localiste modulant l’imposition des entreprises en fonction du lieu de la création de valeur ajoutée.
Par ailleurs le localisme ne peut exister que par une politique très volontariste pour faire face aux lobbys industriels ayant tout intérêt à voir leur zone de chalandise extensible à l'échelle mondiale et cela implique également une refonte très importante de l'appareil productif existant par un éclatement en petites unités locales, d'où des investissements considérables accompagnés d'une nécessaire adaptation sur place de la main-d'œuvre et de l'ingénierie.
Dans la mesure où elle s'oppose au développement croissant des échanges commerciaux internationaux, la doctrine localiste apparaît pour certains comme un « retour en arrière ». Les partisans du localisme démontrent alors la fiabilité de ce modèle par le fait que l'organisation des sociétés était localiste depuis les origines de l'humanité jusqu'à la révolution industrielle. Or c'est justement depuis le début de l'ère industrielle qu'a été enclenché un processus accru par le phénomène de globalisation, phénomène apparu seulement depuis la deuxième moitié du XX siècle et mettant en péril le devenir de l'humanité face à des dégâts écologiques planétaires qui s'accompagnent de dégâts économiques et sociaux touchant les pays occidentaux à travers différentes crises de plus en plus rapprochées et de plus en plus violentes.
Enfin le localisme politique, qui concerne essentiellement les échanges de biens et de services, est à différencier du localisme universitaire (préférence locale dans le recrutement d'enseignants-chercheurs) ou du localisme identitaire qui repose davantage sur l'origine ethnique des individus que sur un principe neutre de localisation géographique entre l'offre et la demande.
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