Un société licencie un salarié en arrêt maladie pour cause d'absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif. La salarié conteste aux prud'hommes ce licenciement arguant du fait qu'il avait été placardisé et que cela constituait un harcèlement moral de type bore-out. Le conseil des prud'hommes puis la Cour d'appel constatent que l’employeur échoue à démontrer que les agissements dénoncés étaient étrangers à tout harcèlement moral, lequel est par conséquent établi. Le licenciement est par voie de conséquence déclaré nul et l'employeur condamné à payer diverses sommes.
[...]
FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur E X, né en 1972, a été engagé par la SA Interparfums selon un contrat de travail à durée indéterminée, à compter du 1er décembre 2006, en qualité de responsable des services généraux.
Les relations contractuelles entre les parties étaient soumises à la convention collective nationale de Commerces de gros.
En dernier lieu, la rémunération mensuelle brute moyenne de Monsieur X s’élevait à la somme de 4.050 €.
Monsieur X a été en arrêt de travail pour maladie à compter du 16 mars 2014, il n’a plus repris ses fonctions.
Par lettre recommandée avec accusé de réception, datée du 17 septembre 2014, Monsieur X a été convoqué à un entretien préalable fixé au 26 septembre 2014 et licencié pour absence prolongée désorganisant l’entreprise et nécessitant son remplacement définitif par lettre datée du 30 septembre 2014 dans les termes suivants :
« Pendant votre absence, nous avons demandé à plusieurs de nos services de s’occuper des missions qui vous étaient confiées.
Cette solution temporaire, compte tenu de l’importance de vos fonctions, ne peut plus durer car votre absence prolongée a provoqué d’importantes perturbations auxquelles nous devons mettre un terme.
Nous devons donc procéder à votre remplacement définitif à votre poste ».
À la date du licenciement, Monsieur X avait une ancienneté de 7 ans et 10 mois.
La SA Interparfums occupait à titre habituel plus de 50 salariés lors de la rupture des relations contractuelles.
Contestant la légitimité de son licenciement et réclamant diverses indemnités, outre des dommages et intérêts pour harcèlement moral, Monsieur E X a saisi, le 28 octobre 2014, le conseil de prud’hommes de Paris qui, par jugement du 16 mars 2018 a statué comme suit :
- Condamne la SA Interparfums à payer à Monsieur E X les sommes suivantes :
* 10.000 € à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,
* 8.050 € à titre d’indemnité compensatrice de préavis, outre 805 € au titre des congés payés y afférents,
* 30.000 € à titre d’indemnité pour licenciement nul,
* 2.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile,
- Rappelle que les condamnations de nature contractuelle et/ou conventionnelle produisent intérêts à compter de la réception par l’employeur de la convocation devant le bureau de conciliation et celles de nature indemnitaire à compter de la présente décision,
- Ordonne l’exécution provisoire,
- Déboute Monsieur E X du surplus de ses demandes,
- Condamne la SA Interparfums aux entiers dépens de l’instance.
Cette décision a été frappée d’appel par la société Interparfums le 4 avril 2018 et par M. X le 16 avril 2018.
Par ordonnance du 13 juin 2019, le conseiller chargé de la mise en état a prononcé la jonction des deux procédures et précisé qu’elles se poursuivront sous le numéro 18/05421.
Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 4 janvier 2019, Monsieur X demande à la cour de :
- dire et juger, au besoin constater, Monsieur X recevable et bien fondé en ses demandes ;
l’y recevant,
- confirmer le jugement en ce qu’il a caractérisé le harcèlement subi par le salarié et ordonné la nullité du licenciement ;
- infirmer le jugement déféré pour le surplus ;
statuant à nouveau,
- condamner l’employeur dans les termes suivants :
* indemnité compensatrice de préavis : 8.050 €
* congés payés y afférents : 805 €
* dommages et intérêts pour nullité du licenciement : 200.000 €
à titre subsidiaire, indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 200.000 €
* dommages et intérêts pour harcèlement moral: 150.000€
* article 700 CPC: 4.500 €
* exécution provisoire
* dépens de première instance et d’appel dont le recouvrement sera effectué par l’AARPI JRF AVOCATS, représentée par Maître Stéphane FERTIER, conformément aux dispositions de l’article 699 du CPC.
Par conclusions régulièrement notifiées à la cour par voie électronique le 16 octobre 2018, la SA Parfums demande à la cour de :
- constater l’absence de tout fait de harcèlement moral défini par l’article L 1152-1 du code du travail à l’encontre de Monsieur X par la société Interparfums ;
- constater l’absence de toute présomption de faits de harcèlement moral à l’encontre de Monsieur X par la société Interparfums ;
en conséquence :
- infirmer le jugement du conseil de prud’hommes du 16 mars 2018 en toutes ses dispositions ;
- dire le licenciement de Monsieur X du 30 septembre 2014 fondé sur une cause réelle et sérieuse conformément à l’article 1232-1 du code du travail ;
- condamner Monsieur X à payer la somme de 5.000 € au titre de l’article 700 du code de procédure civile ;
- condamner Monsieur X aux entiers dépens.
L’ordonnance de clôture a été prononcée le et l’affaire plaidée à l’audience du 28 février 2020.
Pour un exposé complet des faits et de la procédure, la cour renvoie expressément au jugement déféré et aux écritures des parties ainsi que cela est prescrit à l’article 455 du Code de procédure civile.
SUR CE , LA COUR :
En application de l’article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
Enfin, en vertu de l’article L. 1154-1 du même code, dans sa rédaction applicable au litige, lorsque survient un litige relatif au harcèlement moral, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l’existence d’un harcèlement et au vu de ces éléments il appartient à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
En l’espèce, pour confirmation du jugement déféré, M. X soutient avoir subi, à compter de 2010, des faits de harcèlement moral de la part de son employeur, qu’il reprend par référence à la motivation du jugement déféré qui a retenu les faits suivants :
- une pratique de mise à l’écart à son égard caractérisée par le fait d’avoir été maintenu pendant les dernières années de sa relation de travail sans se voir confier de réelles tâches correspondant à sa qualification et à ses fonctions contractuelles ;
- le fait d’avoir été affecté à des travaux subalternes relevant de fonctions d’homme à tout faire ou de concierge privé au service des dirigeants de l’entreprise ;
- la dégradation de ses conditions de travail, de son avenir professionnel et de sa santé du fait de ces agissements.
Il ajoute dans ses écritures d’appel :
- le bore-out (opposé du burn-out) auquel il a été confronté faute de tâches à accomplir ;
- les pressions de son employeur dont il a fait l’objet pour qu’il prenne du « médiator » afin qu’il perde du poids et précisant qu’il s’en est fait prescrire de peur de perdre son emploi ;
- le fait que le harcèlement s’est poursuivi après la rupture du contrat et après le jugement rendu puisque l’employeur dans la presse ou les réseaux sociaux l’accusé d’être un maitre-chanteur ou un imposteur.
S’agissant de la prise du médiator médicament « coupe-faim » désormais contesté, s’il justifie s’en être fait prescrire en entre 2007 et 2009, (avant la période de harcèlement invoqué) et s’ il produit à cet égard des attestations de proches qui rapportent que c’est sur les conseils de l’assistante du PDG qui n’appréciait pas sa prise de poids, qu’il a pris ce médicament malgré la peur qu’il en avait, la cour relève que les attestations produites ne font que rapporter des propos dont les auteurs n’ont pas été personnellement témoins et que les pressions invoquées de ce chef ne sont pas établies.
En revanche, sa mise à l’écart lors de la mise en place de la plate-forme logistique de la société Interparfums à Criqueboeuf en 2010 est attestée par un témoin M. Y (pièce 40, salarié).
Il est également versé aux débats des attestations de salariés qui attestent de sa mise à l’écart évoquant des pratiques qu’il aurait dénoncées mais que M. X n’a pas développées ni reprises dans ses écritures, Mme Z rapportant notamment qu’ « Il [M. X] me demandait très régulièrement si je n’avais pas du travail à lui confier pour qu’il se sente utile et utilise ses compétences comme on aurait du les utiliser. Il a été mis à l’écart, utilisé et mis dans un placard pour qu’on l’empêche de mettre son nez dans la gestion des dépenses liées aux événements et aux voyages »(pièce 15, salarié). Il est produit également une attestation de M. G A, ancien salarié, qui témoigne qu’au cours des deux dernières des six années de collaboration, il a vu « E X sombrer petit à petit dans un état dépressif, au fur et à mesure qu’il se trouvait placardisé » évoquant lui aussi que ce dernier aurait été isolé pour avoir voulu dénoncer un abus de biens sociaux, qu’il s’est dès lors vu retirer « ces fonctions de coordinateur [d’événements et voyages] et qu’il n’a plus eu la possibilité d’organiser les séminaires des différents départements »(pièce 17, salarié).
Il est versé également au dossier différents échanges de mails dont il ressort que dès 2008/2009, M. X a été chargé d’effectuer des menus dépannages ou courses pour le compte des dirigeants de l’entreprise, ce dont il s’est acquitté alors sans le contester et que cette pratique est également évoquée par M. A dans son témoignage, évoquant que M. X en était réduit « sur ses heures de bureau à configurer l’Ipad du PDG, à s’occuper de la réparation de la centrale vapeur ou se rendait à son domicile pour accueillir le plombier ».
Sur les répercussions sur son état de santé, M. X soutient que ces agissements répétés, ce vide ont dégradé ses conditions de travail et sa santé et qu’ils ont été à l’origine de sa crise d’épilepsie à bord de son véhicule le 16 mars 2014 et de son état de profonde dépression. Il se prévaut de certificats médicaux attestant de sa dépression et de son épilepsie partielle secondairement généralisée. (Dr B, neurologue à l’hôpital de la Salpétrière à Paris,le 8 avril 2015, pièce 26 salarié) et d’un document de son psychanalyste daté du 27 avril 2016 attestant avoir reçu et suivre l’appelant dans le cadre de séances de thérapie de soutien, rendue nécessaire en complément d’un traitement médicamenteux par le choc de sa première crise épileptique puis de son licenciement brutal. Il produit aussi de nombreuses attestations de proches qui témoignent de la dégradation progressive de son état de santé en lien avec sa situation au travail. Ainsi M. H I, un ami, rapporte « qu’ il [M. X] en avait marre de ne rien faire à part des formations sans évolution. Il ne servait que de bouche-trou et cette situation le rendait très dépressif à tel point qu’il parlait de plus en plus de se suicider »pièce 43, salarié. Mme J K confirme également que M. X lui avait confié avoir des idées suicidaires, qu’il se sentait méprisé par la direction notamment après sa reprise de poids après qu’il ait arrêté de prendre du médiator et qu’il était angoissé par le fait que les différentes assistantes de direction reprenaient son travail et ne « lui en léguaient plus »(pièce 61, salarié).
La cour retient de cette chronologie et de ces données circonstanciées que M. X établit la matérialité des faits précis et concordants à l’appui d’un harcèlement répété et que pris dans leur ensemble, ces faits permettent de présumer un harcèlement moral.
Il incombe dès lors à l’employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d’un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
L’employeur réplique qu’il conteste l’existence d’un quelconque harcèlement moral, relevant que M. X est passé d’un épuisement au travail à un ennui au travail en peu de mois et qu’il n’a jamais contesté sa situation ni oralement ni par écrit avant sa saisine du conseil de prud’hommes.
L’absence de plainte du salarié ne suffit toutefois pas à établir que les faits qu’il dénonce ne sont pas avérés, d’autant qu’il ressort des échanges de courriels avec Mme C, assistante de direction du PDG M. D, que cette dernière en juin 2014, évoque le mal-être de M. X, en précisant que les collègues et amis ne sont pas là pour « le laisser s’y enfoncer » et lui conseille afin d’aller mieux de s’ouvrir à d’autres perspectives, ce qui tend à établir que son état était connu alors même qu’il ressort du dossier médical de l’intéressé qu’il n’a pas été vu par la médecine du travail entre 2012 et 2016.
S’agissant de la matérialité des tâches confiées à M. X, l’employeur rappelle que la fonction principale de l’appelant était d’être responsable des services généraux et qu’à titre accessoire il était coordinateur « Evénements et voyage » de l’entreprise à compter du 25 avril 2012 (pièce 4, employeur).
La cour relève toutefois que l’employeur peine à démontrer la matérialité des tâches ainsi confiées, puisqu’il se borne à invoquer un rôle de validation de 231 factures par ce dernier entre le 1er janvier 2012 et le 16 mars 2014 et un rôle d’interface en cas de problème technique entre la société et le prestataire compétent, sans préciser de quels chantiers M. X aurait eu précisément la charge ou produire les factures ainsi validées.
L’employeur ne conteste pas les opérations de maintenance au domicile du PDG de la société en maintenant que celles-ci étaient toutefois rarissimes et il attribue l’origine des difficultés professionnelles de M. X, au fait que celui-ci a en vain souhaité voir ses responsabilités évoluer vers un poste de RSE, responsable sociétal de l’entreprise, pour lequel M. D lui a opposé une fin de non-recevoir.
A cet égard, la cour relève que s’il est avéré que M. X a été affecté par le refus de ce projet qui lui tenait à coeur, il ressort du dossier que Mme C dans le courriel précité, lui précisait « C’est un manque d’activité professionnelle qui visiblement a causé cet accident [la crise d’épilepsie de mars 2014], je ne comprends pas pourquoi tu t’acharnes dans cette voie. Tu sais mieux que quiconque que ta proposition ne changera rien à ta charge de travail. Encore une fois profite du temps qui t’est donné pour refaire ton CV(…) » faisant clairement référence à ce projet refusé et à la situation sans issue de l’intéressé après lui avoir conseillé de s’ouvrir à d’autres perspectives.
Le manque d’activité et l’ennui de M. X sont également confirmés par les attestations de salariés qu’il produit, et dont l’absence de valeur probante ne peut être déduit du seul fait que leurs auteurs ont été en litige avec l’employeur.
Au vu des diverses attestations produites et des données médicales versées au dossier, la cour retient contrairement à ce que soutient l’employeur, que les conditions de travail de M. X sont en lien avec la dégradation de sa situation de santé, l’état dépressif éventuel préexistant du salarié n’étant pas de nature à dispenser l’employeur de sa responsabilité d’autant qu’il n’a pas veillé à ce que ce dernier bénéficie de visites périodiques auprès de la médecine du travail, ainsi que celle-ci le déplore dans le dossier médical produit par l’appelant (pièce 33, salarié).
Il convient de déduire de l’ensemble qui précède que l’employeur échoue à démontrer que les agissements dénoncés étaient étrangers à tout harcèlement moral, lequel est par conséquent établi.
En revanche, l’appréciation du préjudice subi par M. X, de ce chef, par les premiers juges apparaît excessive et il sera plus justement évalué, par infirmation du jugement déféré, à la somme de 5.000 euros de dommages-intérêts.
L’article L.1152-3 du code du travail prévoit que toute rupture du contrat de travail intervenue en méconnaissance des dispositions des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 est nulle.
Lorsque l’absence prolongée d’un salarié est la conséquence d’une altération de son état de santé consécutive au harcèlement moral dont il a été l’objet, l’employeur ne peut, pour le licencier, se prévaloir du fait qu’une telle absence perturbe le fonctionnement de l’entreprise. Le licenciement est dès lors nul.
M. X peut prétendre à une indemnité réparant l’intégralité du préjudice né du caractère illicite de la rupture et au moins égale à celle prévue par l’article L. 1235-3 du code du travail, dans sa rédaction alors applicable ainsi qu’à une indemnité compensatrice de préavis, puisque son inexécution est imputable à l’employeur.
Il est alloué à M. X par confirmation du jugement déféré un montant de 8.050€ au titre de l’indemnité compensatrice de préavis majorée de 805 euros de congés payés afférents.
En revanche, compte tenu notamment de l’effectif de l’entreprise, des circonstances de la rupture, du montant de la rémunération versée à M. X, de son âge, de son ancienneté, de sa capacité à trouver un nouvel emploi eu égard à sa formation et à son expérience professionnelle et des conséquences du licenciement à son égard, tels qu’ils résultent des pièces et des explications fournies, la cour est en mesure, par infirmation du jugement déféré, de lui allouer la somme de 35.000 € à titre de dommages et intérêts au titre du licenciement nul.
La solution donnée au litige ne justifie pas de faire application de l’article 700 du Code de procédure civile au profit de l’une quelconque des parties et impose de dire que chacune des parties supportera ses propres dépens.
PAR CES MOTIFS
CONFIRME le jugement déféré sauf en ce qui concerne les montant accordés en réparation du harcèlement moral subi et au titre de la nullité du licenciement.
Et statuant à nouveau dans cette limite et y ajoutant :
CONDAMNE la SA Interparfums à payer à M. E X les sommes suivantes :
- 5.000 euros de dommages-intérêts pour harcèlement moral.
- 35.000 euros de dommages-intérêts au titre du licenciement nul.
DIT n’y avoir lieu à application de l’article 700 du Code de procédure civile au profit de l’une quelconque des parties.
CONDAMNE chacune des parties à supporter ses propres dépens d’appel.
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