Victor Joseph Prévost, surnommé Le boucher de la Chapelle ou Le bel homme, né à Mormant (Seine-et-Marne) le 11 décembre 1836 et mort guillotiné à Paris le 19 janvier 1880, est un ancien boucher de forte stature, devenu successivement cuirassier, cent-garde puis gardien de la paix à la préfecture de police de Paris. Alors qu'il exerce cette activité, il commet au moins deux assassinats qu'il tenta de dissimuler en dépeçant ses victimes.
Du fait de sa profession de policier dans le quartier où il a commis ses crimes, de son passé militaire dans un corps d'élite renommé et du traitement qu'il a infligé aux corps de ses victimes, l'affaire a un grand retentissement à l'époque : « Depuis le procès de la bande Abadie, aucune affaire criminelle n'avait en effet intéressé autant le public. »
Victor Joseph Prévost nait à Mormant (Seine-et-Marne) le 11 décembre 1836. Son père, Pierre, est postillon et sa mère, née Barbe Griette, sans profession. Il a deux frères aînés : Léon plus âgé de quatre ans et Adolphe de deux ans. Dès sa naissance, il est affligé d'une insatiable voracité, particularité héritée de son père qu'il conservera sa vie durant.
À quatorze ans, ses parents le placent comme apprenti chez un fabricant de treillages de la rue Saint-Jacques à Paris. Dès cet instant déjà, des gamines précoces tournent autour de lui. Il y est très mal traité, couche sur un lit sans matelas et doit fournir le même travail qu'un adulte. Son patron le brutalise et, pour le punir de sa boulimie, imposée par la forte constitution de Victor mais qu'il prend pour de la gourmandise, il diminue sa portion quotidienne de nourriture. Alors qu'affamé, il vole le morceau de pain du contremaître, celui-ci le surprend et le punit en le fouettant avec le fouet réservé au chien de garde. Le soir même, alors qu'il aide son bourreau à poser des grillages au-dessus d'une courette, il le fait basculer à travers un châssis dont les morceaux de verre lui labourent mains et visage. À partir de ce moment, il n'a plus qu'une seule idée en tête : échapper à ce calvaire.
Victor est en fait d'un naturel gentil et prévenant. Lorsqu'au jardin du Luxembourg il voit un grand garçon enlever un accordéon à un plus petit, il lui reprend le jouet pour le restituer au gosse. Conscient de sa force, il n'hésite jamais à aider à pousser les voitures à bras que beaucoup ont du mal à faire monter la rude pente de la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève. Un jour où il fait une course pour son patron place Maubert, il voit la voiture d'un laitier renverser un garçon de son âge porteur d'un clayon rempli de viande. Tandis que le laitier s'enfuit, il aide la jeune victime à se relever et, constatant qu'il n'est plus en état de reprendre son service, il charge sans effort sur sa tête la lourde pièce de viande de 250 livres et va la livrer à son destinataire, un boucher tenant boutique rue Mouffetard. L'incident donne une idée de sa force herculéenne alors qu'il n'est encore qu'adolescent.
Il existe des versions différentes de ce qui se passa ensuite. Pour Ernest Raynaud, il est brusquement pris de passion pour l'univers sanglant qu'il découvre alors : les commis sont en train de découper les bêtes qui viennent d'être abattues et c'est une débauche de chairs découpées et de sang. Il est fasciné et ne peut s'empêcher de participer au carnage : il s'empare d'un couteau et, bien que novice, s'attaque à décortiquer un cuissot de veau. Pour Gustave Macé, les choses se passent plus simplement. La livraison d'un confrère qu'apporte Victor au boucher provient de vaches tuberculeuses interdites à la vente. Si la police était intervenue après l'accident il risquait de gros problèmes. Par ailleurs il est séduit par le gentillesse et la force du jeune homme. Quoi qu'il en soit, le boucher est ravi lorsque le jeune Victor lui demande de l'embaucher. Patrons boucher et grillager se rencontrent le soir même et s'accordent sur un échange d'apprentis.
Dès le lendemain Victor commence son apprentissage de boucher. Dans la boucherie, maîtres et commis sont de gros mangeurs et viande, pain, vin, voire liqueurs sont disponibles à discrétion, ce qui convient parfaitement à son appétit d'ogre. La tâche est rude, les garçons bouchers assurant le transit de lourdes charges entre les Halles de Paris ou les abattoirs privés et les étals des détaillants, parfois sur de longues distances, mais la force ne lui manque pas. Il apprend vite l'abattage des animaux, et devient expert en dépeçage et en désossage. Il aime l'odeur du sang et semble éprouver une réelle jouissance à manipuler la viande. Dans la boutique, on parle le Louchébem et les mœurs sont très libres : la caissière est la maîtresse du patron ventripotent et la domestique celle de l'étalier. Toutes deux ne résistent pas longtemps à l'attirance pour le bel apprenti. Il s'ensuit des jalousies violentes qui provoquent le licenciement de Victor. Peu de temps après, il retrouve du travail dans un établissement de la rue Saint-Honoré en qualité de deuxième garçon d'étal. À peine arrivé, il collectionne à nouveau les succès féminins ce qui lui vaut le surnom de « beau vainqueur » parmi ses collègues. En fait c'est plutôt lui qui succombe aux assauts des bonnes du quartier qu'il ne fait rien pour provoquer.
Le 10 septembre 1879 vers huit heures du soir, madame Thiéry, une habitante du quartier désert à cette heure, aperçoit à l'angle de la rue de la Chapelle et de la rue du Pré maudit la haute silhouette d'un homme vêtu d'une blouse de conducteur de bestiaux et coiffé d'une casquette de soie, penché sur le ruisseau qui passe là. Intriguée, elle le surveille de loin et finit par le voir s'éloigner vers le boulevard Ney. Madame Thiéry s'approche prudemment de l'endroit qu'il a abandonné et y découvre, à moitié coincé dans une bouche d'égout, un paquet contenant de la viande fraîchement coupée. À ce moment survient un gardien de la paix du nom de Hardy, à qui elle montre sa découverte. Ils décident immédiatement d'aller porter le paquet au commissariat, mais prennent au passage l'avis d'un boucher et d'un pharmacien qui s'accordent à reconnaître un fragment de bras humain écorché. Des recherches sont aussitôt entreprises et permettent de retrouver soixante-dix-sept débris supplémentaires, dont trois sont récupérés à un chiffonnier qui s'apprêtait à les vendre pour être consommés... D'autres débris, dont une main et « les parties sexuelles d'une personne ayant appartenu au sexe masculin. » sont retrouvés dans le fossé des fortifications proche de la Poterne des Poissonniers. À la morgue de Paris, où les morceaux du cadavre sont transférés, l'on s'efforce de reconstituer le corps de la victime en assemblant, au fur et à mesure de leur découverte les sinistres restes. En définitive, seule la tête reste manquante, ainsi qu'un morceau qu'on ne retrouvera jamais car un miséreux « l'ayant ramassé soigneusement empaqueté comme un morceau de veau tombé du filet d'une ménagère, l'a fait cuire dans sa baraque et s'en est régalé en famille ».
Dès le lendemain matin, madame Thiéry se rend au commissariat de police pour y faire sa déposition. Invitée à décrire le suspect, elle indique qu'elle ne le connait pas mais, qu'à la lueur d'un bec de gaz, elle lui a trouvé une ressemblance avec le gardien de la paix bien connu dans le voisinage sous le sobriquet de « Bel homme ». Madame Thiéry en est d'autant convaincue qu'il a été son voisin rue des Roses en 1877. Suspecter Prévost semble invraisemblable au commissaire Lefébure, mais il le convoque pour le mettre en présence de son accusatrice. Prévost nie sa présence sur les lieux la veille au soir et ajoute « L'impasse du Pré-maudit ? Je ne sais même pas où elle se trouve ! ». Le commissaire le reprend aussitôt : « Vous venez de commettre un premier mensonge, vous connaissez l'endroit pour y avoir arrêté des malfaiteurs l'année dernière. Quel était votre emploi du temps hier soir ? ». Embarrassé, Prévost répond qu'il était chez lui suite à une indisposition. Second mensonge car la veille à 21 heures, vêtu d'une blouse et portant un panier recouvert d'une toile, il a rencontré un collègue à qui il a dit qu'il était fatigué car il venait d'aider un ami à déménager. Accablé, Prévost ne dit rien. Lorsque le commissaire lui demande « où est la tête », il répond « chez moi, dans un chaudron. ». La victime est un certain Lenoble, un bijoutier. Acculé, Prévost passe aux aveux :
« Depuis un certain temps je connaissais M. Lenoble, auquel j'avais manifesté l'intention d'acheter une chaîne en or payable par acomptes. Nous avons pris rendez-vous et hier, à midi, il était dans ma chambre, rue Riquet, n 75. Sur mon lit, il étala ses marchandises et moyennant le prix débattu et fixé à 240 francs, il me confia sa plus belle chaîne et son plus beau médaillon. J'ai profité du moment où il libellait les billets payables par termes mensuels et que je devais lui signer pour l'assommer avec une boule de tender. Un premier coup vigoureux, lancé à deux mains l'abattit ; le second coup défonça le crâne: le troisième était inutile. Il ne fit aucun mouvement, ne poussa pas un cri, seul un léger filet rouge se montra entre ses lèvres. J'ouvris la gorge et sous la plaie béante j'ai placé le vase nécessaire à recevoir le sang. Il sortit en glouglous à des intervalles espacés. Je déshabillais ensuite ma victime, je l'étendis sur une malle et je l'écorchais entièrement afin d'empêcher la reconnaissance des chairs. À trois heures j'ai commencé le dépeçage du cadavre et à cinq heures ma besogne était terminée. Les cabinets d'aisance contiennent la partie liquide et c'est dans les égouts et les terrains vagues, les fossés des fortifications que j'ai semé les parties solides. Ma tournée faite, j'ai soupé, et à dix heures je me suis couché. Ce matin j'ai repris mon service en laissant chez moi la tête de Lenoble, sa boite à bijoux et ses vêtements. »
Sa culpabilité ayant été établie, Prévost est d'abord expédié au dépôt avant d'être incarcéré à la prison Mazas pour attendre son procès.
Alexandre Lenoble était un courtier en bijoux de 38 ans, récemment établi à son compte. Il laisse derrière lui une veuve et deux enfants âgés de onze et six ans. Le couteau de boucher utilisé par Prévost pour dépecer sa victime est conservé au Musée de la préfecture de police à Paris.
Prévost a une maîtresse du nom d'Adèle Blondin. Elle avait été assez longuement la gouvernante d'un riche vieillard qui, pour la remercier, lui avait légué la somme de 30 000 francs. Elle aide parfois financièrement une sœur très pauvre mais, se montrant économe, elle vit d'un revenu mensuel de 1 500 francs provenant de son capital placé en rente d'état. Elle envisage d'acheter un fonds de commerce et a commencé dans ce but à réaliser quelques milliers de francs de valeurs. Méfiante, elle porte généralement sur elle ses valeurs, son argent et ses principaux bijoux. Le dimanche 27 février 1876, elle se rend pour déjeuner chez Prévost qui habite à l'époque au 22 rue de l'Évangile, en face du commissariat où il travaille. Sa logeuse la voit partir, parée de ses bijoux et enroulée dans un châle écossais.
Faire le rapprochement est évident ! Les objets, bijoux et vêtements de la disparue étaient connus, en particulier son châle écossais, et sont retrouvés chez Prévost. Dans un premier temps il avait prétendu qu'elle avait oublié son parapluie mais emmené son châle. Mis en présence des preuves accablantes il commence par nier en prétendant avec aplomb qu'il s'agit de cadeaux reçus de la disparue et qu'il s'était trompé en affirmant qu'elle avait emmené son châle. Amené dans son logement du n 22 de la rue de l’Évangile où Adèle Blondin a été vue pour la dernière fois, la découverte de gouttelettes de sang l'amène à confesser son crime :
« C'est moi qui ait tué la fille Blondin. Je l'ai étranglée d'abord avec mes deux mains. Elle était étendue, ivre, sur ce lit. C'était le dimanche-gras 27 février 1876, à deux heures de l'après-midi. Je voulais m'en débarrasser, c'était un crampon. J'avais d'autres vues et elle me gênait. Je l'ai ensuite découpée comme Lenoble ; mais elle m'a beaucoup moins impressionné que lui en faisant ce travail. J'ai jeté les morceaux dans les égouts. Quant à la tête, vous la trouverez aux fortifications, où elle est enterrée près du bureau de l'octroi. Ses bijoux je les ai donnés ou vendus. [...] Elle n'avait sur elle que 1 500 francs, pas plus, je vous l'affirme. »
L'après-midi, Prévost guide les enquêteurs à l'endroit où il a enterré la tête. Rapidement, un cantonnier y exhume le crâne fragmenté de la malheureuse victime.
Son procès se tient devant la cour d'assise de la Seine présidée par M. Hardouin accompagné de deux assesseurs le 8 décembre 1879. À onze heures et quart l'accusé est introduit par huit gardes. Prévost est défendu par son avocat, maître Bouchot, le procureur général est M. Lefebvre de Biefville. Pendant la lecture de l'acte d'accusation qui détaille la préparation et le déroulement de ses deux crimes, il se tient droit et reste calme mais on sent son découragement. Il répond ensuite aux questions du président qui lui fait confirmer les faits et préciser certains détails. C'est ensuite l'appel à la barre des témoins qui confirment leurs dépositions faites pendant l'instruction. Suivent le réquisitoire, pendant lequel Prévost semble cette fois accuser le coup, puis la plaidoirie de son avocat.
Après un résumé des débats réalisé par le président, les jurés se réunissent pour délibérer et répondent affirmativement à toutes les questions posées en seulement vingt minutes. La cour se retire ensuite pour établir son verdict avant de prononcer, sans surprise, la condamnation à mort de Victor Prévost pour crimes d'assassinats avec préméditation. À l'énoncé de la sentence, il ne manifeste aucune émotion.
Dès le lendemain de son procès, le 9 décembre dans l'après-midi, il est transféré à la prison de la Grande Roquette, lieu unique de détention et d'exécution des condamnés à mort de la capitale depuis 1851. Dès le 13 décembre il reçoit la visite de l'abbé Crozes, aumônier de la prison et, à partir de ce moment, marque un intérêt certain pour la pratique de la religion. Le lendemain il demande à assister à la messe puis, le 11 janvier suivant, il exprime à l'abbé son souhait de faire sa première communion qu'il n'avait pu faire dans son enfance, sacrement qu'il reçoit le 16 janvier à sept heures du matin dans la chapelle de la prison. Au soir de la cérémonie, il écrit une dernière lettre à son frère Adolphe dans laquelle il reconnait ses torts, exprime son repentir et demande « mille fois pardon ».
Le 26 décembre 1879, son pourvoi est rejeté par la chambre criminelle de la Cour de cassation. Dès le lendemain, son avocat lui fait signer son recours en grâce. Le président de la République Jules Grévy, en général assez peu réticent à accorder la grâce aux condamnés à mort, ne peut que suivre les recommandations de la commission des grâces qui conclut que la justice doit suivre son cours du fait du caractère particulièrement sordide des deux crimes et de la profession de Prévost. Le président s'en justifie ainsi à l'avocat du condamné : « Mon prédécesseur, le maréchal Mac Mahon n'hésita point. Sébastien Billoir, ancien soldat, décoré de la médaille militaire, pensionné de l’État avait forfait à l'honneur. Il devait mourir et il signa sa condamnation. L'ex cent-garde médaillé, devenu gardien de la paix a, par son double crime, surpassé cet homme. Il me paraît dès à présent difficile qu'il ne subisse le même sort. ». La grâce formellement rejetée, le dimanche 18 janvier, Louis Deibler, récemment nommé exécuteur en chef le 15 mai 1879, est convoqué au parquet du procureur de la République et on lui délivre l'ultime réquisition : « Ordre est donné à monsieur l'exécuteur en chef des arrêts criminels de se saisir du nommé Victor Prévost condamné à la peine de mort par la cour d'Assises de la Seine, le 8 décembre 1879, et de procéder à son exécution en place publique le lundi 19 janvier 1880, à sept heures du matin. ».
À la date et à l'heure prévues, Prévost est exécuté en public devant la prison, par un froid glacial de -5 °C. Il a précédemment neigé et deux énormes tumulus de neige encadrent la place plongée dans une quasi obscurité. Depuis six heures du matin une centaine de gardes républicains, cinquante cavaliers et trois cents gardiens de la paix ont investi la place pour contenir à distance les curieux venus assister au supplice. Averti à six heures trente que son exécution allait avoir lieu, Prévost demande à passer une chemise blanche, ce qui lui est refusé, et à garder ses pantoufles car les bottines lui font mal aux pieds. Il se plie docilement aux procédures préparatoires à son exécution et marche dignement jusqu'à l'échafaud. Entre son identification et son exécution, il ne se sera écoulé qu'un peu plus de quatre mois.
Pour le bourreau Louis Deibler, c'est la première exécution parisienne car il n'a encore tranché des têtes qu'en province. Pour ses premières exécutions, il s'était fait assister de son premier adjoint désigné, Alphonse-Léon Berger, mais il se dispense de le convoquer pour l'exécution de Prévost, ce qui est à l'origine d'une brouille durable entre les deux hommes.
Texte et photo sous licence CC BY-SA 3.0. Contributeurs, ici