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Les 2 Alfred


Alexandre, chômeur déclassé, a deux mois pour prouver à sa femme qu'il peut s'occuper de ses deux jeunes enfants et être autonome financièrement. Problème: The Box, la start-up très friendly qui veut l'embaucher à l'essai a pour dogme : « Pas d'enfant ! », et Séverine, sa future supérieure, est une « tueuse » au caractère éruptif. Pour obtenir ce poste, Alexandre doit donc mentir... La rencontre avec Arcimboldo, « entrepreneur de lui-même » et roi des petits boulots sur applis, aidera-t-elle cet homme vaillant et déboussolé à surmonter tous ces défis ?

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Entretien avec le réalisateur, Bruno Podalydès

D’où est née l’idée du film ?  
D’une envie assez ancienne de raconter l’histoire d’un homme obligé de cacher sa paternité pour trouver du travail. A l’époque, j’étais moi-même père de deux enfants en bas âge et j’avais senti que ce pouvait être un ressort de comédie assez fort. J’imaginais cet homme en train d’extirper de sa poche un joujou de bébé en pleine réunion, de se mettre à fredonner machinalement une comptine…des situations très drôles… Et puis Denis est devenu père à son tour et j’ai eu envie de reprendre cette idée avec lui. On a commencé à travailler en semble, à improviser quelques scènes, et puis on a dévié vers une histoire qui ne nous cor respondait plus. J’ai donc repris le scénario en me concentrant sur le monde de l’entreprise. 

Dès les premières improvisations avec Denis, vous saviez déjà que vous tiendriez tous les deux des rôles importants ?  
Oui. Sous l’impulsion de mon producteur, on a même envisagé d’interpréter deux frères. Mais j’ai préféré qu’Alexandre et Arcimboldo se rencontrent au début du film, quitte à ce qu’ils nouent entre eux plus tard une amitié quasi fraternelle. De même, j’avais déjà en tête le trio qu’ils formeraient avec Sandrine. J’avais adoré jouer avec elle dans « Comme un avion » ; Sandrine a une intelligence des situations qui permet toutes les variations. J’étais sûr que le courant passerait entre nous trois.  

Professionnellement, les personnages ont une marge de choix réduite  : être salariés, comme Sévérine et Alexandre, au prix de gros sacrifices; ou privilégier une soi-disant liberté  en se soumettant, comme Arcimboldo, aux règles de l’ubérisation.  
Ce sont trois cinquantenaires avec les trois types de conséquences que cet âge peut avoir dans le monde du travail. Le premier, Alexandre, qui travaillait dans une imprimerie, n’a plus de boulot : son métier n’a plus lieu d’être, il est complètement déclassé. Le deuxième, Ar cimboldo multiplie les petits boulots à coups d’applis. La dernière, Séverine, seule à être encore salariée comme cadre supérieure dans une start-up, est confrontée à la montée des nouvelles techniques de management et la poussée des jeunes générations. 

Et son sort n’est pas spécialement plus enviable…
Non, parce qu’elle doit s’adapter en permanence pour garder le « leadership » et faire mine de s’impliquer dans des taches et des objectifs dont au fond, elle se fiche. Sous des airs cassants, on voit qu’elle est mal à l’aise avec ce langage ; cela se manifeste par une manière maladroite de prononcer certains mots, une autorité trop appuyée… Elle s’accroche pour rester à flots ; si elle coule, c’est une catastrophe.

On comprend mal la fébrilité de cette entreprise qui évoque davantage une société de communication qu’une start-up en plein essor.
C’est une filiale de filiale avec un siège social à Londres. Malgré des apparences très cool, - « Tu fixes ton salaire, tu poses tes vacances quand tu veux » les gens sont tenus d’atteindre des objectifs opérationnels constamment réévalués à la hausse et des mises en concurrence avec d’autres entreprises qui n’ont pas forcément à voir avec la leur, c’est ce qu’on appelle «le benchmarking ». Ce sont les mêmes techniques de comparaisons chiffrées qu’on applique aujourd’hui aux hôpitaux ou à la police. Je recommande la lecture du livre : « Benchmarking: l’État sous pression statistique » d’Emmanuel Didier et Isabelle Bruno pour bien comprendre cette lame de fond qui gagne tous les secteurs économiques, y compris publics. 

Paradoxalement, le décor dans lequel évolue le trio évoque celui de Bisounours : fontaines de bonbons, chaises longues, trampolines et tables de ping-pong dans la start-up où tra vaillent Alexandre et Séverine ; voitures-jouets dans lesquelles Arcimboldo convoie  ses passagers, drones en forme de parachutes pour la livraison des colis… 
En visitant un certain nombre de start-up pour les repérages, j’ai vraiment eu l’impression de rentrer dans le monde de Pixar ; il n’y avait pas de fontaines de bonbons mais beaucoup de baby-foot, de tables de ping-pong…  Tout juste s’il n’y avait pas des piscines à boules. Ce sont des espaces régressifs, très infantilisants qui correspondent, me semble-t-il, à des buts de management très pensés qui peuvent remplacer le paternalisme d’autrefois. 

Cela donne lieu à une scène irrésistible lors de l’entretien d’embauche d’Alexandre. Ayme ric, le patron, lui donne le sentiment qu’il joue son avenir en choisissant tel ou tel bonbon dans la fontaine… Encore une technique de management ? Une méthode pour évaluer une forme d’immaturité ?
Tout peut être retourné contre vous. Alexandre choisit un carambar et, dans la suite de la scène qu’on a coupée, Aymeric lui demandait de lire la blague. C’était assez drôle parce que la blague ne le déridait pas du tout. 

A côté de la puérilité ambiante, les employés doivent constamment se colleter aux ma chines. Les réunions sont en conf’call, les Galette des Kings, ces débriefings, où l’on re quiert –tardivement- leur présence, se déroulent devant un écran-web… On a le sentiment –d’autant plus exacerbé après la période du confinement- que la fiction est déjà presque en deçà de la réalité.
Et vous avez raison. Je n’aurais jamais imaginé pouvoir filmer le « Weboot », cet écran qui se balade physiquement entre les bureaux – c’est un appareil qui a été conçu pour mener des conférences avec l’étranger et qui permet de visiter un lieu à distance. Moi, j’avais prévu un petit drone de surveillance piloté par Aymeric. C’est au cours d’une visite dans une start-up que j’ai découvert cette matérialisation d’un homme à distance, enfermé dans une machine. Le comique saute aux yeux. Mon plaisir a été de chercher comment dans le film détruire cette machine. J’ai imaginé plusieurs moyens : une chute dans un escalier, une barre qui le décapite, une noyade… et finalement, je l’ai tout simplement bloqué bêtement sur un tram poline. 

Vous semblez avoir pris beaucoup de plaisir à utiliser le charabia managérial dont se gar garisent les employés de « The box ». Et dont Arcimboldo peut, lui aussi faire usage à ses heures…
Parce que tout notre langage en est imprégné et encore plus dans les entreprises au rayon nement mondial. Au lieu de dire : « Je te fais suivre un mail », on dit : « Je te le forwarde », à cause de la fonction forward au menu de l’ordinateur. Les gens disent maintenant qu’ils sont en « mode vacances », ou en « mode travail ». Nous-mêmes commençons à nous prendre pour des machines.  

Vous prenez le parti d’en rire –et de nous faire rire- alors que le constat est quand même glaçant.  
On dit souvent qu’il n’y a plus de pilote dans l’avion mais y-a-t-il juste un cockpit ? Le philo sophe Bernard Stiegler, disparu récemment tentait de nous alerter sur ces algorithmes qui nous gouvernent, comment ils prolétarisent peu à peu notre société en assujettissant aussi les cadres à des protocoles dictés par des ordinateurs dont ces derniers n’ont pas le pou voir de modifier ni l’objectif ni la méthode. La machine impose son « process » et on la subit tous, même à un niveau hiérarchique élevé.  Cela crée des situations irrésistibles et terrible ment angoissantes.  C’est toujours assez drôle d’être dépossédé par un engin. On voit déjà ça dans « Playtime » ,de Tati: un gars pilote un ascenseur doté d’un tableau de bord auquel il ne comprend rien et l’ascenseur n’en fait qu’à sa tête. Dans « Les Deux Alfred », c’est la voiture autonome qui refuse de reconnaître Séverine, qui conduit toute seule, et décide uni latéralement d’aller se recharger en électricité. Ceux qui créent des algorithmes subissent eux-mêmes d’autres algorithmes. L’humour permet d’éviter le manichéisme, car bien sûr, on est tous impliqués dans cette dépendance, même s’il ne faut pas oublier que ce pouvoir que l’on accepte des machines fait évidemment le jeu de certains.

Comédie française de Bruno Podalydès. 3,8 étoiles sur AlloCiné.

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