Une salariée démissionne et demande en justice à ce que sa démission soit requalifiée en prise d’acte produisant les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Elle fait en effet grief à son employeur de n’avoir pas pris toutes les précautions pour assurer sa sécurité et protéger sa santé mentale. La Cour d’appel puis la Cour de cassation lui donnent raison…
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1. Selon l'arrêt attaqué (Angers, 21 mars 2019), Mme P... a été engagée le 1er août 1984 par la société A & R Carton CDF et a démissionné le 1er août 2013.
2. Elle a saisi la juridiction prud'homale d'une demande de requalification de la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et de demandes en paiement de diverses sommes.
Examen des moyens. Sur le moyen du pourvoi principal. Enoncé du moyen
3. L'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la démission de la salariée s'analyse en une prise d'acte de la rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, et de le condamner à payer des sommes à titre d'indemnité de licenciement et d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :
« 1°/ que la démission est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail ; que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de sa démission, remet en cause celle-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de la démission qu'à la date à laquelle elle a été donnée, que celle-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'une démission ; qu'en l'espèce, les juges du fond ont constaté que par lettre du 24 juillet 2013, la salariée avait indiqué qu'elle envisageait ''une nouvelle orientation à [sa] carrière et à [sa] vie personnelle'' et sollicité pour cette raison une rupture conventionnelle afin de mettre fin à son contrat de travail ''le plus vite possible'', que lors de l'entretien organisé le 1er août 2013 pour discuter de cette demande, le directeur avait émis un avis défavorable à sa demande de rupture conventionnelle et que c'était alors qu'elle avait évoqué un prétendu harcèlement moral de son supérieur - harcèlement moral dont l'existence a été écartée par l'arrêt ; qu'il résulte également de la décision attaquée que la lettre de démission remise par la salariée l'après-midi même du 1er août 2013 ne faisait état d'aucune réserve, que Mme P... avait retrouvé un emploi quelques jours à peine après la fin de son contrat de travail et après avoir demandé à bénéficier d'un préavis le plus court possible, que l'une de ses collègues avait attesté que depuis le départ de son mari elle voulait quitter la société et que Mme P... avait attendu le 4 novembre 2014 pour saisir le conseil de prud'hommes aux fins de remettre en cause sa démission ; que pour requalifier la démission en prise d'acte de la rupture, la cour d'appel s'est bornée à énoncer que le matin même de sa démission, Mme P... avait sollicité une rupture conventionnelle et déclaré à son employeur être victime de harcèlement de la part de son supérieur depuis plusieurs mois, que sa lettre de démission faisait expressément référence à cet entretien, à sa demande de rupture conventionnelle et aux motifs de celle-ci et que la démission était dès lors équivoque puisque Mme P... imputait à son employeur des manquements à ses obligations antérieurs et contemporains à sa démission et qu'elle les avait évoqués avec celui-ci le matin même de sa démission ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, si la véritable cause de sa demande de rupture conventionnelle et de la démission ayant découlé du refus de l'employeur n'était pas la ''nouvelle orientation à [sa] carrière et à [sa] vie personnelle'' mentionnée par Mme P... dans sa lettre du 24 juillet 2013, et matérialisée par le nouvel emploi pris par celle-ci quelques jours après la fin de son contrat de travail après un préavis raccourci à sa demande, et non les prétendus faits de harcèlement moral allégués en réaction au refus par l'employeur d'une rupture conventionnelle et qui ont été jugés non établis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du code du travail ;
2°/ que la prise d'acte de la rupture n'est justifiée qu'en cas de manquement suffisamment grave qui empêche la poursuite du contrat de travail ; qu'un manquement à l'obligation de sécurité ne peut se déduire de la seule absence de réaction de l'employeur à une dégradation de l'état de santé du salarié, si cette dernière n'est pas imputable à une situation objectivement anormale ; qu'en affirmant, pour en déduire l'existence d'un manquement suffisamment grave pour entraîner la requalification de la démission en prise d'acte de rupture du contrat de travail produisant les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, que l'état de santé de Mme P... s'était dégradé suite au licenciement de son conjoint et que l'employeur informé de cette dégradation, étrangère à tout harcèlement, aurait dû prendre les mesures nécessaires pour assurer sa santé et sa sécurité, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé l'existence d'un manquement imputable à l'employeur, a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble les articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du même code ;
3°/ que la prise d'acte de la rupture n'est justifiée qu'en cas de manquement suffisamment grave qui empêche la poursuite du contrat de travail ; que lorsque les faits dénoncés par un salarié ne sont pas avérés, il ne peut être reproché à l'employeur de n'avoir pas pris de mesure pour y remédier ; qu'en l'espèce, par motifs adoptés, la cour d'appel a énoncé que l'employeur avait manqué à ses obligations en matière de santé et sécurité au travail en ne prenant pas de mesure suite aux faits dénoncés par Mme P... auprès de son supérieur hiérarchique le 15 mars 2013 ; que cependant, il résultait de ses constatations que ces faits n'étaient pas établis, à l'exception d'une réduction du nombre de ''points RH'' et de la transmission de dossiers à Mlle Y..., justifiées par l'allégement de la charge de travail dont s'était plainte Mme P..., de sorte qu'aucune mesure n'était susceptible d'être prise après le 15 mars 2013, pas même une mesure d'enquête, le supérieur hiérarchique, seul concerné par les reproches litigieux, sachant déjà qu'ils étaient injustifiés, et que l'employeur n'avait donc pas manqué à son obligation de sécurité ; qu'en jugeant le contraire, pour en déduire que la démission selon elle équivoque devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble les articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du même code ;
4°/ qu'en énonçant que l'employeur avait manqué à ses obligations en matière de santé et sécurité au travail en ne prenant pas de mesure suite aux faits dénoncés par Mme P... auprès de son supérieur hiérarchique le 15 mars 2013 quand il résultait de ses constatations que ces faits n'étaient pas établis, à l'exception d'une réduction du nombre de ''points RH'' et de la transmission de dossiers à Mlle Y..., justifiées par l'allégement de la charge de travail dont s'était plainte Mme P..., la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble les articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du même code ;
5°/ que la prise d'acte de la rupture n'est justifiée qu'en cas de manquement suffisamment grave qui empêche la poursuite du contrat de travail ; que pour juger que la démission selon elle équivoque devait produire les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a également retenu, par motifs adoptés, que l'employeur avait manqué à ses obligations en matière de santé et sécurité au travail au prétexte que lors de l'entretien du 1er août 2013 durant lequel la salariée avait fait état du prétendu harcèlement moral de son supérieur hiérarchique (M. H...), le directeur, M. M..., n'avait pas proposé à Mme P... de faire procéder à une enquête ou de prendre quelque mesure que ce soit pour déterminer si effectivement elle était victime de harcèlement et dans l'affirmative, pour y remédier ; qu'en statuant de la sorte, quand elle avait relevé que le délégué du personnel ayant assisté la salariée le 1er août 2013 avait confirmé que ''I... M... lui [avait] proposé de refaire un point avec N... H... à son retour de congé'', que la salariée avait pourtant démissionné l'après-midi même de cet entretien, ne laissant donc pas le temps à l'employeur de prendre la moindre mesure, et que les faits de harcèlement moral dénoncés par la salariée n'étaient en outre pas établis, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'existence d'un manquement suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail et a privé sa décision de base légale au regard des articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du code du travail, ensemble les articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du même code. »
Réponse de la Cour
4. En retenant que la salariée imputait à son employeur des manquements à ses obligations antérieurs et contemporains à sa démission, qu'elle avait évoqués avec lui le matin même de celle-ci, et qui rendaient celle-ci équivoque, la cour d'appel a procédé à la recherche visée à la première branche du moyen.
5. Ayant constaté que l'employeur n'avait pas pris toutes les mesures nécessaires, notamment préventives, pour assurer la sécurité et protéger la santé mentale de la salariée, la cour d'appel a pu décider que le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité était suffisamment grave pour empêcher la poursuite du contrat de travail.
6. Le moyen n'est donc pas fondé.
[…]
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE les pourvois, tant principal qu'incident ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six janvier deux mille vingt et un.
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