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On est fait pour s'entendre


Antoine semble n’écouter rien ni personne : ses élèves (qui lui réclament plus d’attention), ses collègues (qui n’aiment pas son manque de concentration), ses amours (qui lui reprochent son manque d’empathie) ... Et pour cause : Antoine est encore jeune mais a perdu beaucoup d’audition. Sa nouvelle voisine Claire, venue s’installer temporairement chez sa sœur avec sa fille après la perte de son mari, rêve de calme et de tranquillité. Pas d’un voisin aussi bruyant qu’Antoine, avec sa musique à fond et son réveil qui sonne sans fin. Et pourtant, Claire et Antoine sont faits pour s’entendre !

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Entretien avec le réalisateur, Pascal Elbé

Comment vous vient l’idée de faire On est fait pour s’entendre ?
Il y avait d’abord l’envie, après être passé par le drame et le polar, de renouer avec mes premiers amours et d’écrire une comédie... Et le sujet ? Ce sont mes enfants qui m’ont dit qu’il était sous mon nez : la malentendance, ma malentendance. Je n’avais jamais pensé qu’un élément de ma vie pourrait un jour donner un film. J’ai été d’abord hésitant. C’est la lecture du livre de David Lodge – La vie en sourdine – qui a fini par me convaincre que cela avait du sens : j’étais impressionné de voir comment Lodge avait réussi à bien faire comprendre ce que l’on peut ressentir quand on est malentendant. Toute la gageure consistait donc à trouver une histoire qui ne conduise pas à ne faire qu’un état des lieux clinique de la vie d’un malentendant. Là est la force de La vie en sourdine : c’est un roman qui rend compte de cette situation que je connais bien, mais qui parvient, à partir d’elle, à construire un récit universel. Mon histoire a pris la tournure d’une comédie romantique. Quoique... « Romantique », je ne sais pas trop ce que ça veut dire à nos âges. C’est l’histoire d’une rencontre. Mon film est une comédie de rencontres...

Mais l’enjeu consistait d’abord à traiter votre handicap sur le ton de la comédie. Ça allait de soi ?
Les situations dans lesquelles un sourdingue peut se retrouver sont parfois tellement ahurissantes, que je ne pouvais pas penser à l’idée de ce film sous une autre forme. Faire rire avec la malentendance ? Aucun problème avec ça ! Ce handicap-là a d’ailleurs toujours été considéré – déjà dans le théâtre antique – comme une matière de comédie. Un mec qui n’entend pas – Quoi ? Comment ? Le Monsieur te dit... – c’est quelque chose de drôle. On est moins enclin à se moquer d’un aveugle...

Comme dans cette scène où, après que le personnage a fait son coming out, tout le monde le regarde sans faire toute une histoire de ce qu’il vient de leur annoncer... 
Exactement. Il pensait faire une confession qui aurait un effet extraordinaire ; on lui répond tout de suite : « Je préfère vous savoir malentendant que dépressif. ». Et tout le monde passe vite à autre chose. Il est coupé dans son élan d’un aveu qui lui coûtait beaucoup, dont il s’est fait toute une histoire et il se rend compte que personne ne s’y attarde. La malentendance n’est pas un si gros handicap pour qu’il puisse prendre toute la place dans l’histoire. Le centre de celle-ci devait être la rencontre avec le duo que forment les personnages joués par Sandrine Kiberlain et sa fille dans le film...

Précisons que cette petite fille vient de perdre son père et qu’elle ne prononce plus un mot depuis qu’elle est orpheline... 
Oui, et d’ailleurs c’est une situation qui me faisait rire : faire se rencontrer un type sourd avec une gamine qui décide de rester muette...

La malentendance se prête à la mécanique comique. Les situations sont innombrables où se révèle un écart parfois burlesque entre le personnage qui ne perçoit pas le monde et le monde qui, lui, croit qu’il le perçoit...
Oui, il peut y avoir beaucoup de drôlerie dans cet écart. Il y a des situations complètement folles et ubuesques qui me sont arrivées parce que je n’avais tout simplement pas entendu quelque chose que j’aurais dû entendre.

Le fait de vivre dans un quiproquo permanent... 
C’est un peu ça. D’ailleurs, au début, le film s’appelait « Les malentendus ». Ce handicap est très ingrat parce que c’est agaçant de faire en permanence répéter à son interlocuteur ce qu’il vient de dire. Donc, vient le moment où l’on en a marre de demander et où l’on baisse les bras. On fait alors semblant de comprendre ce qui se passe. Il faut donner le change. Ou pas : on décide de ne plus participer. On s’exclue. Et parfois, on passe pour un con. Car il faut bien le reconnaître, on tape souvent à côté et on a l’air d’être complètement à l’ouest.

C’est la scène très drôle avec Sandrine Kiberlain au restaurant.
Voilà, c’est ma vie... Si les situations créées sont souvent drôles, il faut quand même tout de suite rappeler à quel point c’est épuisant. La malentendance, au quotidien, c’est un peu un travail d’équilibriste où vous faites le funambule avec ce que vous percevez et ce que vous ne percevez pas. C’est dur à vivre. On essaye de ne pas passer pour un rabat-joie, pour un type hautain. Il faut parfois beaucoup plus de volonté qu’un autre pour s’accrocher, pour rester intéressé par ce que l’on vous raconte. Évidemment, on peut décrocher très vite. Je ne suis pas passionné par le babillage permanent de ce que j’entends aujourd’hui, entre la télévision et le bavardage moyen des gens. Donc, parfois, mon handicap est très pratique. C’est une façon de se cloisonner. Et c’était intéressant de traiter ce thème dans une période où la communication est devenue si compliquée, à une époque où tout le monde est constamment accroché à son smartphone. On communique très peu, on se connecte, mais on communique peu. Un malentendant comme moi peut facilement se replier sur lui-même et « fuir la compagnie des humains » comme le dit David Lodge. Je ne le fais pas, parce que j’ai besoin du contact. Peut- être plus qu’un autre.

Le film commence avec l’idée du déni. Ensuite, votre personnage passe par l’étape de la honte et de la dissimulation. L’obligation dans laquelle il se trouve de devoir faire semblant. Et toutes ces étapes créent des situations comiques. 
Il fallait parler de ces différentes étapes qui vont du déni à l’acceptation. C’est intéressant dramaturgiquement mais surtout, c’est la chronologie réelle de la malentendance. Jusqu’au moment où l’on est appareillé et où le cerveau met quelques semaines à filtrer tous les sons. Il peut y avoir un phénomène de rejet. Il y a beaucoup de gens qui décrochent alors qu’il faut laisser le cerveau s’habituer. Donc, il y a une longue étape d’acceptation, j’allais dire mécaniquement.

Comédie, romance de Pascal Elbé. 1 nomination au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2021 (Edition 14).

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