Felix Grandet règne en maître dans sa modeste maison de Saumur où sa femme et sa fille Eugénie, mènent une existence sans distraction. D’une avarice extraordinaire, il ne voit pas d’un bon œil les beaux partis qui se pressent pour demander la main de sa fille. Rien ne doit entamer la fortune colossale qu’il cache à tous. L’arrivée soudaine du neveu de Grandet, un dandy parisien orphelin et ruiné, bouleverse la vie de la jeune fille. L’amour et la générosité d’Eugénie à l’égard de son cousin va plonger le Père Grandet dans une rage sans limite. Confronté à sa fille, il sera plus que jamais prêt à tout sacrifier sur l’autel du profit, même sa propre famille...
L’action d’Eugénie Grandet se déroule sous la Restauration, mais sa résonance est très actuelle ! C’est l’histoire d’une femme captive qui marche vers sa liberté...
C’est en relisant Eugénie Grandet que j’ai été frappé par sa résonance avec notre époque. L’envie de l’adapter en accentuant sa portée actuelle est ainsi née. Balzac a une façon très particulière de parler des femmes, dont on sent qu’il est profondément admiratif, et chacun de ses livres est une occasion de dénoncer leur condition. Au début du XIXe, les femmes sont littéralement asservies aux hommes, à leur volonté, prises dans un étau entre tâches peu gratifiantes et principes religieux, mariées le plus souvent contre leur gré. Quoi qu’elles fassent, elles se heurtent à la seule volonté des hommes.
Quels furent vos partis pris d’écriture ?
J’ai ciblé les scènes du livre que je voulais garder et celles que je voulais laisser de côté. J’ai dessiné un patchwork, puis je me suis mis à écrire de manière fluide et presque automatique, guidé par l’importance que je donnais à tel ou tel passage et en toute liberté. Il me fallait adapter la langue de Balzac pour un public d’aujourd’hui afin qu’elle ne paraisse pas trop désuète. C’est un travail auquel je suis habitué, car nous avions rencontré la même problématique avec Chantal Thomas pour l’adaptation de L’Échange des princesses. J’aime beaucoup la langue de cette époque, sa musique et la richesse de son vocabulaire, mais on ne peut pas en garder le côté qui, aujourd’hui, paraît désuet, d’où la nécessité d’en faire une traduction à la fois moderne et respectueuse de son histoire.
Comment avez-vous résolu la question du point de vue de la narration ?
C’était la difficulté. Chez Balzac, le récit est mené du point de vue omniscient. J’ai opté pour deux points de vue complémentaires : celui du père Grandet et celui d’Eugénie. J’ai accentué ce parti pris au montage en ôtant des scènes dans une radicalité assumée.
C’est un film plus naturaliste que romanesque...
Eugénie est amoureuse de l’amour avant même de l’avoir rencontré. Charles est un objet de sublimation. Elle est délirante, d’une certaine façon, dans sa manière de s’extraire du réel. C’est la part romanesque de cette histoire, mais ce film est surtout une étude de mœurs dans la droite lignée de ce que voulait faire Balzac.
Les hommes de cette histoire sont tous emprisonnés par les règles sociales. Paradoxalement, les femmes ont un regard plus sage sur l’existence et parviennent, elles, à s’évader par l’esprit...
Les hommes chez Balzac sont toujours empesés, prisonniers de leurs petits intérêts; les femmes sont plus dignes et souvent plus intelligentes. On en a une illustration avec Madame Grandet, jusque-là effacée et discrète et qui, sur son lit de mort, dispense une finesse d’analyse surprenante. Eugénie est confinée par son père. Quand elle demande au prêtre au début : « Est-ce pécher d’attendre un grand amour ? », avec la culpabilité afférente à la question, cela reflète l’état d’esprit des femmes de l’époque. Ce qui est intéressant dans cette histoire, c’est la façon dont Grandet use de la religion pour asseoir son pouvoir. Grandet ne croit pas en Dieu. C’est un révolutionnaire, un sans-culotte, mais il se sert de l’Église pour asservir sa femme et sa fille. Quand il réalise que sa fille ne va plus à la messe, il la traite de folle, car cette émancipation va contre son intérêt. Eugénie Grandet, c’est l’histoire d’une prise de pouvoir par la religion, par l’argent, par tous les moyens. Le père Grandet est la personnification du patriarcat, comme mode de domination masculine qui s’épanouit aux débuts du capitalisme.
Votre film donne à éprouver un rapport au temps ralenti, qui contraste grandement avec notre époque actuelle...
Je me suis battu pendant le tournage et le montage pour que ce film garde son rythme propre. Ce temps ralenti, c’est son âme. Eugénie s’ennuie profondément. Son père ne la laisse pas lire le soir ; la journée, elle fait de la couture devant une fenêtre… Cette façon d’exercer le pouvoir de Grandet, qui impose l’ennui à sa fille, est au cœur du film. Il me fallait donc faire éprouver ce temps qui s’écoule, ce qui n’a rien d’évident aujourd’hui, où les gens ont un rapport au temps tout autre.
D’où vient votre goût pour les films d’époque ?
De mon goût pour l’Histoire parce que j’ai toujours pensé qu’il était bon de savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Les films qui m’ont marqué quand j’étais jeune étaient des films en costumes ; ça allait de nanars avec Jean Marais à Barry Lyndon ! Je trouve que reconstituer l’Histoire, ce voyage dans le temps, est une des magies du cinéma, qui a son esthétique propre. C’est aussi une façon de dialoguer avec les morts, de leur donner un supplément de vie. C’est une expérience presque spirituelle. Il y a aussi une vertu éducative à cela : les reconstitutions historiques sont une belle façon d’entrer dans l’Histoire pour les jeunes générations. J’espère qu’Eugénie Grandet sera vu dans les collèges et lycées.
Votre mise en scène donne du relief aux décors, aux étoffes et aux accessoires, comme si vous cherchiez à faire éprouver ce qu’était le présent au XIXe siècle...
Je suis exigeant sur les décors et sur leur authenticité. J’ai travaillé avec la décoratrice et le directeur de la photo sur la base de tableaux de l’époque. Nous avons fait le pari de décors naturels plutôt que de travailler en studio.
Drame, historique de Marc Dugain. 3,5 étoiles sur AlloCiné. 1 nomination au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2021 (Edition 14).