Un acteur en galère accepte pour boucler ses fins de mois d’animer un atelier théâtre en prison. surpris par les talents de comédien des détenus, il se met en tête de monter avec eux une pièce sur la scène d’un vrai théâtre. Commence alors une formidable aventure humaine. Inspiré d’une histoire vraie.
Comment est né Un triomphe ?
Il y a quelques années Marc Bordure, mon producteur, m’avait fait découvrir un documentaire relatant l’histoire d’un metteur en scène, Jan Jönson, qui avait monté En attendant Godot avec des détenus dans une prison en Suède. Le spectacle avait eu un tel succès qu’ils étaient partis en tournée, jusqu’au dénouement assez ébouriffant au théâtre Royal de Göteborg. Il m’avait dit : «cette histoire est pour toi»... J’ai commencé à réfléchir à une transposition française et contemporaine de l’histoire. La pièce de Beckett me semblait d’emblée un peu aride, alors est-ce qu’il ne fallait pas plutôt déplacer l’action vers un autre domaine ? La musique ? Le chant ? La danse... ? Ou pourquoi pas mettre en scène des femmes détenues... ? En tout cas il fallait tout réinventer parce que le milieu carcéral suédois des années 80 était très éloigné des prisons françaises d’aujourd’hui. Et je me suis aperçu que pour écrire sur ce sujet il fallait déjà anticiper le casting et la réalisation, imaginer un mode de travail pour tourner les répétitions en laissant une part d’improvisation... En tant que simple scénariste, je bloquais un peu et après avoir pas mal tourné autour du pot, le projet est un peu tombé en sommeil... Marc m’a seulement dit : «prends ton temps, je le garde pour toi...»Je suis revenu à la charge auprès de lui en 2016, après avoir réalisé Cessez-le-feu, mon premier long métrage, mais cette fois en tant qu’auteur et réalisateur. J’avais eu le temps de réfléchir, et je lui ai proposé de repartir sur le projet en restant beaucoup plus fidèle au fait divers dont il s’inspirait.
Qu’est-ce qui vous plaisait dans cette histoire ?
Je n’ai pas envie de faire un cinéma désespérant, même quand il traite d’une réalité sombre. Tant qu’il y a de l’humain, un rayon de lumière est toujours envisageable. Avec Marc, et Robert Guédiguian qui nous avait rejoint, nous sentions tout le potentiel émotionnel, comique et dramatique de cette bande de détenus «à des années lumières de Beckett» comme le dit Étienne dans le film, mais au fond beaucoup plus proches qu’on ne pouvait l’imaginer de l’univers d’En attendant Godot. C’est vrai que la pièce résonne de façon incroyable pour des prisonniers. Le vide, l’absence, l’attente, la vacuité totale, le désœuvrement, c’est leur quotidien et dans la vraie histoire les détenus avaient vraiment été touchés par ce texte universel. C’est aussi la pièce de théâtre contemporain la plus célèbre et dont le titre mondialement connu résume à lui seul l’intrigue simplissime. Cela me facilitait la tâche pour n’en montrer que des fragments au cours du film, en répétition ou en représentation, sans perdre le spectateur. J’aimais aussi la personnalité de Jan Jönson, que j’ai rencontré. C’est un personnage passionné, obsessionnel, hanté par cette expérience qui a complètement changé sa vie. Il est devenu ami avec Samuel Beckett, il a remonté plus tard En attendant Godot aux Etats-Unis, à la prison de San Quentin en Californie.
Quel a été le processus d’écriture ?
L’univers carcéral est un véritable nid à clichés et moi, comme beaucoup, j’étais tributaire de plein d’idées reçues. J’ai donc commencé par une approche documentaire. Comme de mon passé de comédien j’ai gardé pas mal de relations dans le milieu de la scène, j’ai pu très vite entrer en contact avec des intervenants théâtre en prison et recueillir un peu de leur expérience. Olivier Foubert, comédien, (le régisseur de l’Odéon dans le film), qui anime depuis pas mal d’années des ateliers théâtre à la prison de Fleury-Mérogis m’a ainsi permis de venir comme intervenant animer un petit atelier vidéo à Fleury. L’expérience m’a nourri sur un plan pratique, j’ai vu comment on circule dans une prison et les profils des détenus, le type de relation que l’intervenant construit avec eux. J’ai pu alors me mettre à l’écriture avec Thierry de Carbonnnières, mon co-scénariste. Et puis j’ai rencontré Irène Muscari, coordinatrice culturelle du Centre Pénitentiaire de Meaux, qui y développe des projets très ambitieux. J’étais allé voir un spectacle au Théâtre Paris-Villette, Iliade, monté par Luca Giacomoni, auquel participaient des détenus de Meaux. Elle nous a reçus, Thierry et moi, et nous a fait visiter le centre pénitentiaire, on a sympathisé. L’année suivante elle mettait en route un projet d’opéra hip-hop, danse, boxe, destiné à la MC93 de Bobigny, conduit par Hervé Sika et Mohamed Rouabhi, en partenariat avec l’Orchestre de chambre de Paris. Je lui ai proposé de faire un documentaire sur ce travail et j’ai suivi, un jour par semaine pendant six mois, la création de Douze cordes, qui s’est joué en mai 2019. Tourner trente jours au cœur d’une prison, c’était une opportunité exceptionnelle, un poste d’observation unique.
Qu’est-ce que cela vous a apporté pour le script ?
Ce travail d’immersion m’a permis de revisiter le scénario que nous avions déjà écrit, et d’y insuffler toute la vérité des détenus que j’avais sous les yeux : leur parler, leur humour, leurs doutes, leurs peurs, leur violence sous-jacente, leur rapport avec le metteur en scène, avec les surveillants... J’ai pu les voir se transformer progressivement, se révéler. Jouer à la MC93, c’était énorme pour eux. Ils n’auraient pas pu l’imaginer, ce sont des gens qui ne vont jamais au théâtre, très peu au cinéma. Dans le spectacle, il y avait aussi une chanteuse lyrique avec le quintette de l’Orchestre de chambre de Paris, c’était la première fois qu’ils entendaient du Bach et du Schubert... Je me suis aussi enrichi d’histoires que des intervenants m’avaient racontées, je cherchais dès le début quel type d’accident pouvait contrarier ce parcours triomphal. On m’a parlé de ce caïd qui avait décidé de jouer dans une pièce pour que son fils le voie. Le soir de la représentation, son fils n’était pas là, et il a refusé de jouer. Dans le film, c’est ce qui arrive à Kamel, j’en ai fait un personnage ambigu, dont on questionne les motivations, mais ce projet, il le fait vraiment pour son fils. Il y avait aussi cet autre détenu qui au beau milieu de la pièce est sorti de scène parce qu’il avait peur, comme Jordan le soir de la première.
Dans le personnage d’Etienne, vous avez mis un peu de votre passé d’acteur ?
Bien sûr, ce vécu d’acteur, le mien comme celui de Thierry de Carbonnières, acteur lui aussi et copain de promo de la Rue Blanche, a nourri le personnage de l’intérieur, dans ses désirs, ses espoirs et ses frustrations. Thierry, qui a connu ces galères, en a même tiré plusieurs livres ! On a tous, nous, comédiens «de base» comme le dit Étienne dans le film, connu les passages à vide et les boulots alimentaires. Avant d’accéder à la notoriété, Kad lui-même est passé par là et le personnage lui a été d’emblée familier.
Kad Merad était-il déjà associé au projet ?
En fait, on l’a attendu plus d’un an parce qu’il tourne beaucoup et qu’il n’était pas libre mais j’étais convaincu que c’était le bon choix. C’est ce qui m’a permis entre temps de me lancer dans le projet documentaire autour de Douze cordes. Sa prestation dans Baron noir m’avait impressionné. C’est un acteur instinctif, puissant, subtil, avec une palette de jeu incroyable. En plus, il est généreux, partageur, il aime que les gens soient heureux autour de lui. Il a parfaitement compris le personnage d’Etienne : un comédien pas très docile, rugueux, forte tête, sevré de scène et de reconnaissance, qui fait cela parce qu’il n’a pas le choix. Le rêve des comédiens, ce n’est pas forcément d’aller travailler en prison, même si cela peut être passionnant. Quand je suivais Hervé Sika au travail, il se montrait très exigeant avec ses acteurs, parfois dur, sans concession. Il en va de même pour Étienne, c’est un artiste exigeant qui ne joue pas à l’animateur socio-culturel et c’est comme ça qu’il gagne leur confiance et leur respect. Si l’on fait du théâtre, on en fait vraiment. Les détenus testent beaucoup, souvent sur le mode de l’humour. Ils sont attachants mais ils ne sont pas là par hasard. Les incidents sont rares mais il y a de l’instabilité chez eux, un rapport de force peut s’instaurer. Etienne comprend qu’il peut vite perdre la main mais il s’impose par son autorité et sa passion. Inconsciemment, sa quête de reconnaissance croise celle des détenus, il fait sa «réinsertion», comme lui dit Nina, sa fille, sur un mode un peu vache. C’est un personnage dont on ne sait pas tout de suite si on va l’aimer ou pas mais qui nous touche, d’autant que Kad Merad lui apporte toute son humanité. Etienne est pudique, il ne montre pas ses sentiments. Mais aux saluts, il est fier de ses comédiens et fier de lui.
Et les autres acteurs ?
Transposés dans une réalité française contemporaine, les personnages du film sont totalement différents de leurs modèles suédois. Ils sont le reflet de la diversité de notre population carcérale. La rencontre avec leurs interprètes a été miraculeuse. Ils forment une bande formidable : Sofian Khammes, Pierre Lottin, David Ayala, Wabinlé Nabié, Lamine Cissokho et aussi Saïd Benchnafa, le détenu que Kamel vient remplacer. Face à eux, j’aimais l’idée de prendre deux grands acteurs, des virtuoses. Marina Hands campe une directrice épatante, inattendue et pourtant très crédible, en partie inspirée d’une directrice du Centre pénitentiaire de Nantes que Thierry m’avait fait rencontrer : une ancienne avocate, une personne atypique, très axée sur la réinsertion par la culture. Pour le personnage joué par Laurent Stocker, je voulais que l’on comprenne qu’Etienne et lui sont presque des duettistes, deux tempéraments qui se sont bien entendus, le petit nerveux, le grand un peu empoté. Des directeurs de théâtre comme Stéphane, les comédiens en ont tous connus, mais à la fin il est véritablement touché par ce qu’a fait Etienne.
Comédie de Emmanuel Courcol. 1 prix et 3 nominations au Festival du Film Francophone d'Angoulème (Edition 13).