La famille Badri a fui le chaos de Beyrouth pour s’en aller vivre dans les collines qui surplombent la capitale libanaise, cultiver la terre et vivre en quasi-autarcie. Ce bonheur prend hélas fin le jour où l’on installe une décharge juste devant leur maison. Les Badri n’ont dès lors d’autre choix que d’entrer en résistance ou de quitter leur petit paradis, ce qui met à mal l’unité de la famille…
Mounia Akl, qu’est-ce qui a présidé à Costa Brava, Lebanon? La crise des déchets ?
Oui, en effet. Cette crise était déjà à l’origine de Submarine, mon premier court-métrage. Je l’ai écrit pendant les manifestations contre la crise des déchets en 2015 à Beyrouth. Ce court-métrage est un film d’anticipation où tout le pays est noyé dans les poubelles et les déchets, dans la puanteur. C’est une allégorie de la corruption et de tout ce qui ne fonctionne pas au Liban. Le film a beaucoup voyagé et j’ai continué de porter son histoire en moi. C’est pourquoi, il était naturel que je passe un peu plus de temps avec cette crise et que j’écrive un long-métrage qui exprime ma relation à mon pays. En plus, depuis toute petite, je ressens le besoin de parler de la famille, parce que les premières dix-huit années de la vie sont celles qui nous définissent. Avant de donner naissance à une nouvelle version de nous-mêmes, on devient ce que notre environnement fait de nous. Pour écrire le film, je me suis donc demandé d’une part comment décrire la structure de la société à travers la famille, d’autre part ce que l’on devient en dehors de notre famille, que ce soit en essayant de reproduire ce qu’on a vécu, ou en essayant de tout faire pour ne pas le reproduire.
Est-ce que vos personnages sont inspirés de votre propre famille ?
Il m’est évidemment difficile d’écrire quelque chose que je n’ai pas vu ou entendu, mais mes personnages appartiennent à la fiction. Le père ne ressemble pas à mon père et la mère ne ressemble pas à ma mère. Cela dit, le film se nourrit des gens dont j’ai été entouré. Chaque personnage représente quelqu’un que je connais ou que j’ai rencontré et, en même temps, une partie de moi et de mes rêves. Je le dis souvent, mais c’est vrai, je pense: chaque personnage qu’on rencontre dans un rêve incarne un mouvement intérieur. Donc, je ne dirais pas que l’un ou l’autre des personnages de la famille de Costa Brava, Lebanon est un alter ego, mais qu’ils le sont tous ensemble, quelque part, parce que chacun représente un état d’âme par lequel je suis passée.
Comment s’est imposée l’actrice Nadine Labaki ? Était-il important de choisir une célébrité pour incarner Souraya, qui est une ancienne chanteuse populaire ?
Non, ce n’était pas important, mais le fait qu’elle ait vécu sous les «spotlights» et qu’elle sache ce que cela représente de faire carrière, de voyager et de rencontrer du public, lui a servi. Parce que son personnage vit dans cette contradiction. C’est une femme et une mère connectée à la nature et à sa famille, et en même temps, elle est urbaine: elle aime les gens, le public et écrire. Mais ce qui était très intéressant, c’était de réunir des acteurs professionnels et non-professionnels, parce que ça m’a permis de créer une famille où chacun apprenait quelque chose de l’autre. Ça a créé une dynamique d’échanges. Et comme tout était préparé, écrit et retenu, sur le tournage, on a pu tout lâcher, donc improviser en partant de l’écrit. Surtout avec les enfants.
Pour quelle raison avoir choisi de confier le rôle de Rim à des jumelles ?
C’est un hasard de casting. J’ai vu énormément d’enfants et je suis tombée amoureuse d’une petite fille que j’ai vue en photo. C’est là qu’on m’a annoncé qu’elles étaient deux. Lorsqu’on les a rencontrées, elles nous ont vraiment impressionnées. Elles parlaient en même temps, se superposaient. Je n’ai rien compris à ce qu’elles racontaient, mais elles avaient une telle énergie… Elles m’ont permis de créer le personnage de Rim avec plus de dimension. Je l’ai composé en fonction des qualités de chacune. L’une avait plus de maturité et d’émotion, parce qu’elle était en lien avec son cœur, et l’autre était vraiment en harmonie avec son corps, avec l’activité physique, et très entêtée. J’ai donc pu choisir l’une ou l’autre en fonction de chaque scène.
Comment avez-vous construit les différents espaces du film ?
Comme j’ai étudié l’architecture, j’ai dessiné la maison avant les personnages. J’ai imaginé une maison qui non seulement représente la famille qui y habite, mais aussi où chaque personnage a un endroit qui le représente. La cabane, c’est le passé de Souraya. La piscine, c’est l’éveil sexuel de l’adolescente, le jardin et la boue, c’est Rim, etc. Il fallait donc créer un petit paradis terrestre avec un coin pour chacun qui, en raison de l’invasion des poubelles, se décolore et étouffe progressivement. Par exemple, avec l’équipe des effets spéciaux, on avait une feuille de continuité et on savait d’emblée quand ajouter de la poussière pour que les arbres perdent leurs couleurs. L’évolution des décors devait correspondre à l’évolution de la narration et aux états d’âmes des personnages.
Quelles ont été les conséquences des explosions du 4 août 2020 sur le film ?
Les explosions ont eu lieu juste avant le tournage et l’ont retardé. Ce que cette nouvelle réalité a imposé, c’est de changer l’époque du film pour faire écho aux explosions. Parce qu’au départ, ce devait être une dystopie, qui se déroulait en 2030, dans un futur tragique. Mais le film a été rattrapé par la réalité et je l’ai replacé au présent... Les explosions ont été un coup très dur. Nos bureaux ont été soufflés. Nous y étions. Beaucoup de membres de l’équipe ont perdu leur maison, détruite. Ça été un moment de grande confusion, mais nous avons pris ensemble la décision de rassembler nos forces et de quand même tourner le film. Et évidemment, la pandémie a aussi constitué un obstacle à braver, parce qu’on était en plein dans une nouvelle vague, vu qu’on a dû repousser le tournage. On a donc tourné en hiver un film d’été. C’était un sacré challenge, dont nous sommes très fières aujourd’hui.
Tourner le film vous a-t-il aidé à supporter le drame des explosions ?
Sûrement, parce que ça nous donné un objectif et nous permis de canaliser notre énergie, nos peines et nos confusions, dans la création. C’est sans doute pourquoi la productrice Myriam Sassine et moi sommes si fières. On ne s’est pas laissé abattre au moment où le ciel nous est tombé sur la tête. En plus, on a réussi à tourner le film en respectant un protocole écologique que nous avons mis sur pied avec des associations libanaises et arabes, pour causer le moins de pollution possible pendant le tournage. Il est aujourd’hui à disposition de toutes les maisons de production qui voudraient s’en servir.
Drame de Mounia Akl. 1 nomination au Mostra de Venise 2021 (édition 78). 3,5 étoiles sur AlloCiné.