Dans un arrêt récent la Cour de cassation vient de rappeler que les difficultés économiques justifiant d’un licenciement économique doivent s’apprécier en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période.
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1. Selon l'arrêt attaqué (Poitiers, 25 juin 2020) et les productions, Mme [V] a été engagée le 6 décembre 1982 en qualité d'ouvrière en confection par la société Albert, aux droits de laquelle vient la société Children Worldwide Fashion (la société CWF), entreprise qui emploie plus de trois cents salariés. Elle occupait en dernier lieu le poste d'assistante au développement produit.
2. Le 16 juin 2017, elle a été convoquée à un entretien préalable à un éventuel licenciement économique. Le contrat de travail a été rompu, le 14 juillet 2017, à l'issue du délai de réflexion dont elle disposait après son adhésion, le 2 juillet 2017, au contrat de sécurisation professionnelle, le motif économique de la rupture lui ayant été notifié par lettre du 5 juillet 2017.
3. Contestant le bien-fondé de cette rupture, la salariée a saisi la juridiction prud'homale.
4. La salariée fait grief à l'arrêt de juger que le licenciement est fondé sur un motif économique réel et sérieux et de la débouter de ses demandes d'indemnité compensatrice de préavis, de congés payés afférents et de dommages-intérêts, alors « que constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment à des difficultés économiques caractérisées notamment par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires ; qu'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus ; que pour dire les difficultés économiques avérées, la cour d'appel a retenu qu'il était justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016 n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs ; qu'en statuant ainsi, quand il résultait de ses propres constatations qu'à la date du licenciement, notifié le 2 juillet 2017, la durée de la baisse du chiffre d'affaires de cette entreprise de plus de trois cents salariés n'égalait pas quatre trimestres consécutifs, la cour d'appel a violé l'article L. 1233-3 du code du travail. »
5. L'employeur conteste la recevabilité du moyen. Il soutient qu'il développe une thèse contraire à celle exposée devant les juges du fond puisque, d'une part, la salariée prétendait se fonder sur une comparaison entre le chiffre d'affaires de l'exercice 2017 en entier et celui de l'exercice 2016 et, d'autre part, elle n'a jamais soutenu que devaient être consécutivement en baisse les quatre trimestres précédant immédiatement le licenciement.
6. Cependant le moyen tiré de la prise en considération des quatre trimestres consécutifs précédant le licenciement se trouvait inclus dans le débat, dès lors que la salariée mentionnait dans ses écritures les dispositions de pur droit de l'article L. 1233-3 du code du travail, dans sa version applicable au litige, et que ce moyen se réfère à des considérations de fait résultant des énonciations des juges du fond.
7. Le moyen est donc recevable.
Vu l'article L. 1233-3, 1°, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
8. Aux termes de ce texte, constitue un licenciement pour motif économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification, refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail, consécutives notamment :
1° A des difficultés économiques caractérisées soit par l'évolution significative d'au moins un indicateur économique tel qu'une baisse des commandes ou du chiffre d'affaires, des pertes d'exploitation ou une dégradation de la trésorerie ou de l'excédent brut d'exploitation, soit par tout autre élément de nature à justifier de ces difficultés.
Une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires est constituée dès lors que la durée de cette baisse est, en comparaison avec la même période de l'année précédente, au moins égale à :
a) Un trimestre pour une entreprise de moins de onze salariés ;
b) Deux trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins onze salariés et de moins de cinquante salariés ;
c) Trois trimestres consécutifs pour une entreprise d'au moins cinquante salariés et de moins de trois cents salariés ;
d) Quatre trimestres consécutifs pour une entreprise de trois cents salariés et plus.
9. Selon la jurisprudence constante de la Cour de cassation, le juge doit se placer à la date du licenciement pour apprécier le motif de celui-ci (Soc., 21 novembre 1990, pourvoi n° 87-44.940, Bull. 1990, V, n° 574 ; Soc., 26 février 1992, pourvoi n° 90-41.247, Bull. 1992, V, n° 130).
10. Il en résulte que la durée d'une baisse significative des commandes ou du chiffre d'affaires, telle que définie par l'article L. 1233-3, 1°, a) à d), du code du travail, s'apprécie en comparant le niveau des commandes ou du chiffre d'affaires au cours de la période contemporaine de la notification de la rupture du contrat de travail par rapport à celui de l'année précédente à la même période.
11. Pour dire le licenciement fondé sur un motif économique réel et sérieux, l'arrêt retient qu'il convient d'apprécier les difficultés économiques justifiant les mesures de réorganisations en fonction du nombre de salariés et à la date du déclenchement de la procédure, et rappelant que la procédure de licenciement économique collectif a été engagée au second trimestre 2017, l'appréciation des difficultés économiques doit se faire au regard de l'évolution d'un des indicateurs énumérés par l'article L. 1233-3 du code du travail connus à ce moment là.
12. Il ajoute que, reprenant les données comptables relatives au chiffre d'affaires de la société, il convient de se référer à l'exercice clos 2016, seul le premier trimestre 2017 étant alors connu. Il retient encore qu'il résulte de l'attestation du commissaire aux comptes de la société CWF que le chiffre d'affaires 2016 était, à la clôture de l'exercice, en recul de 22 835 millions d'euros par rapport à 2015 en raison notamment de l'arrêt de la commercialisation de la marque Burberry lié à la perte de la licence d'exploitation, et que le premier trimestre 2017 n'affichait qu'une légère hausse de 0,50 % par rapport au premier trimestre 2016 mais restait très en deçà du chiffre d'affaires du premier trimestre 2015.
13. Il conclut qu'il est ainsi justifié du recul de quatre trimestres consécutifs de chiffre d'affaires sur l'année 2016 par rapport à l'année 2015, la modeste augmentation de 0,50 % du chiffre d'affaires du premier trimestre 2017 par rapport à celui de 2016, n'étant alors pas suffisant pour signifier une amélioration tangible des indicateurs.
14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la durée de la baisse du chiffre d'affaires, en comparaison avec la même période de l'année précédente, n'égalait pas quatre trimestres consécutifs précédant la rupture du contrat de travail pour cette entreprise de plus de trois cents salariés, la cour d'appel, qui ce faisant n'a pas caractérisé les difficultés économiques, a violé le texte susvisé.
15. La cassation prononcée sur le moyen du pourvoi incident relatif au motif économique du licenciement entraîne la cassation, par voie de conséquence, du chef de dispositif critiqué par le moyen du pourvoi principal portant sur la condamnation de l'employeur à payer à la salariée des dommages-intérêts en réparation du préjudice causé par la perte injustifiée de son emploi au titre des critères d'ordre, qui s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi principal et sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 25 juin 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier juin deux mille vingt-deux.
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