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Obligation de vigilance de la banque


Dans cet arrêt, la Cour de cassation rappelle que l’obligation de vigilance imposée aux banques a pour finalité la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme. La Cour en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à la banque.

Extrait de l’arrêt de la Cour de cassation, civile, Chambre commerciale du 21 septembre 2022. Pourvoi n° 20-22.828

[…]

Faits et procédure

2. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 13 octobre 2020), la société Naturgie, qui était titulaire d'un compte ouvert dans les livres de la société BRED, s'est aperçue qu'entre août 2012 et juillet 2013, des virements frauduleux avaient été effectués par sa comptable vers divers comptes ouverts au nom de membres de sa famille dans les livres de la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Aquitaine (la société Crédit agricole).

3. Le 10 mars 2016, reprochant à la société Crédit agricole d'avoir manqué à ses obligations de surveillance des comptes de ses clients, la société Naturgie l'a assignée en indemnisation.

Examen du moyen du pourvoi principal

[...]

Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches. Enoncé du moyen

5. La société Naturgie fait grief à l'arrêt de rejeter toutes ses demandes formées contre la société Crédit agricole, alors :

« 2°/ que pendant toute la durée de la relation d'affaires avec son client, l'établissement bancaire teneur d'un compte doit exercer une vigilance constante et pratiquer un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu'elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu'il a de son client ; que cet établissement est tenu d'un examen renforcé de toute opération particulièrement complexe ou d'un montant inhabituellement élevé ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d'objet licite et doit, dans ce cas, se renseigner auprès de son client sur l'origine des fonds et la destination de ces sommes ainsi que sur l'objet de l'opération et l'identité de la personne qui en bénéficie ; que la banque réceptionnaire d'un virement, en tant qu'établissement teneur du compte crédité, doit respecter ces obligations générale et particulière de vigilance ; qu'en retenant néanmoins que les obligations générale et particulière de vigilance pesaient "en premier lieu" sur la banque du donneur d'ordre d'un virement et non sur la banque réceptionnaire, la cour d'appel a violé, par fausse interprétation, les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241 du code civil, ensemble les articles L. 561-6 et L. 561-10-2 du code monétaire et financier ;

3°/ qu'une disproportion entre le montant d'un virement et les entrées habituelles d'argent du titulaire du compte crédité est de nature à caractériser une opération d'un montant inhabituellement élevé, obligeant l'établissement bancaire teneur du compte crédité à respecter, en sus de l'obligation générale de vigilance exigible pendant toute la durée de la relation d'affaires avec son client, l'obligation particulière susmentionnée ; qu'en retenant néanmoins que, "même à considérer" que les obligations générale et particulière de vigilance "puisse[nt] s'appliquer" à la banque réceptionnaire, les virements en cause, bien que de montants "très supérieur[s] aux revenus habituels du ménage" aux comptes desquels ils avaient été crédités, "ne revêtaient pour autant aucun caractère suspect permettant de qualifier les opérations litigieuses d'opérations particulièrement complexes ou d'un montant inhabituellement élevé" (ibid.) et donc de rendre fautive l'absence de vigilance de la banque réceptionnaire des ordres de virements non autorisés, cependant que la constatation d'une telle disproportion de montant imposait de qualifier les ordres de virements d'opérations de montant inhabituellement élevé, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé, par refus d'application, les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241 du code civil, ensemble les articles L. 561-6 et L. 561-10-2 du code monétaire et financier ;

4°/ que ni l'obligation que fait la loi au prestataire de services de paiement du bénéficiaire d'un virement de mettre à la disposition de ce dernier le montant de l'opération sans délai après que son compte a été crédité, ni le devoir de la banque de ne pas s'immiscer dans les affaires de son client, ne dispensent ce prestataire des obligations, également prescrites par la loi et devant être respectées préalablement à tout crédit du compte du bénéficiaire, d'exercer une vigilance constante, de pratiquer un examen attentif des opérations effectuées en veillant à ce qu'elles soient cohérentes avec la connaissance actualisée qu'il a de son client et de pratiquer un examen renforcé de toute opération particulièrement complexe ou d'un montant inhabituellement élevé ; qu'en se fondant au contraire, pour exonérer de toute faute de négligence la société Crédit agricole, prestataire de services de paiement des bénéficiaires des virements non autorisés effectués à partir du compte de la société Naturgie, sur les obligations faites à cette banque de mettre le montant de ces opérations à disposition des bénéficiaires immédiatement après que son propre compte avait été crédité et de ne pas s'immiscer dans les affaires de ses clients, la cour d'appel a violé, par refus d'application, les articles 1382 et 1383, devenus 1240 et 1241 du code civil, ensemble les articles L. 561-5, L. 561-6, L. 561-8 et L. 561-10-2 du code monétaire et financier et les articles L. 133-13 et L. 133-14 du code monétaire et financier, ces deux derniers textes en leur rédaction applicable à la cause, issue de l'ordonnance n° 2009-866 du 15 juillet 2009. »

Réponse de la Cour

6. Les obligations de vigilance et de déclaration imposées aux organismes financiers en application des articles L. 561-5 à L. 561-22 du code monétaire et financier, dans leur rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2016-1635 du 1er décembre 2016, ont pour seule finalité la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement du terrorisme.

7. Il résulte de l'article L. 561-19 du code monétaire et financier que la déclaration de soupçon mentionnée à l'article L. 561-15 est confidentielle et qu'il est interdit de divulguer l'existence et le contenu d'une déclaration faite auprès du service mentionné à l'article L. 561-23, ainsi que les suites qui lui ont été réservées, au propriétaire des sommes ou à l'auteur de l'une des opérations mentionnées à l'article L. 561-15 ou à des tiers, autres que les autorités de contrôle, ordres professionnels et instances représentatives nationales visés à l'article L. 561-36. Aux termes de ce dernier article, ces autorités sont seules chargées d'assurer le contrôle des obligations de vigilance et de déclaration mentionnées ci-dessus et de sanctionner leur méconnaissance sur le fondement des règlements professionnels ou administratifs. Selon l'article L. 561-29, I, du même code, sous réserve de l'application de l'article 40 du code de procédure pénale, les informations détenues par le service mentionné à l'article L. 561-23 ne peuvent être utilisées à d'autres fins que la lutte contre le blanchiment des capitaux et le financement des activités terroristes.

8. Il s'en déduit que la victime d'agissements frauduleux ne peut se prévaloir de l'inobservation des obligations de vigilance et de déclaration précitées pour réclamer des dommages-intérêts à l'organisme financier.

9. Le moyen, pris en ses deuxième, troisième et quatrième branches, qui postule le contraire, n'est pas fondé.

PAR CES MOTIFS, sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident, qui n'est qu'éventuel, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Naturgie aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Naturgie, la condamne à payer à la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Aquitaine la somme de 3 000 euros et condamne la société Caisse régionale de crédit agricole mutuel d'Aquitaine à payer à la société Bred Banque populaire la somme de 1 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un septembre deux mille vingt-deux.

Photo :  Laurent Verdier - Pixabay.

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