Dans un arrêt récent, la Cour de cassation reproche à la Cour d’appel d’avoir écarté des éléments de preuve présentés par un salarié sans avoir vérifié si ces éléments étaient étrangers à tout harcèlement moral.
[…]
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 2 décembre 2020), M. [I] a été engagé le 28 octobre 2003 par un contrat à durée indéterminée en qualité de professeur vacataire, puis de professeur permanent, par l'association Institut supérieur de commerce Paris. Le 29 avril 2016, il a été licencié pour cause réelle et sérieuse.
2. Estimant ce licenciement nul comme résultant d'un harcèlement moral et sollicitant le paiement de diverses indemnités, il a saisi la juridiction prud'homale.
3. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande de dommages-intérêts en réparation des préjudices physique et moral subis pendant l'exécution du contrat de travail, alors « que dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'au titre du harcèlement moral qu'il dénonçait, le salarié faisait notamment état de ce qu'il avait été déchargé de la responsabilité d'un laboratoire de recherches, de ce que son bureau lui avait été retiré en sorte qu'il avait été contraint de travailler chez lui et que les tickets restaurant lui avaient été supprimés ; qu'en écartant le harcèlement moral après avoir constaté que ces faits laissaient présumer son existence, cependant qu'il lui appartenait de dire si l'employeur établissait que ses décisions étaient justifiées par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement moral, la cour d'appel a violé l'article L. 1154-1 du code du travail. »
Vu l'article L. 1152-1 et l'article L. 1154-1 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2016-1088 du 8 août 2016 :
4. Aux termes du premier texte visé, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
5. Il résulte du second de ces textes que lorsque survient un litige, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
6. Pour rejeter la demande, l'arrêt, après avoir constaté que le traitement défavorable subi depuis plusieurs années en matière salariale et au regard de ses responsabilités contractuelles et les vexations subies en février et mars 2016 invoqués par le salarié faisaient présumer l'existence d'un harcèlement moral, retient que l'employeur justifie par des éléments objectifs le versement de la prime en 2015, qu'il n'avait pas l'obligation d'accueillir la demande de travail à temps plein et que le refus du colloque a été expliqué de façon claire, que le changement de tutorat a été fait à la demande de l'étudiant ayant relaté dans une lettre détaillée les difficultés rencontrées avec le salarié, qu'une enquête interne, qui a été communiquée à la délégation unique du personnel, a été réalisée par le directeur général adjoint, sans conclure à l'existence d'un harcèlement moral, et que son supérieur hiérarchique relatait dans une lettre les difficultés rencontrées avec le salarié sur le non-respect des règles et procédures internes ainsi que sur la remise en cause par celui-ci de ses qualités de manager.
7. En statuant ainsi, sans examiner si les autres éléments invoqués par le salarié, et notamment la décharge de la responsabilité d'un laboratoire de recherches, le retrait de son bureau et la suppression des tickets restaurants, qu'elle avait retenus comme faisant présumer l'existence d'un harcèlement moral, étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
8. Le salarié fait grief à l'arrêt de le débouter de ses demandes au titre de la nullité du licenciement et tendant à ordonner sa réintégration, et au paiement de rappels de salaire et de dommages-intérêts, alors « qu'est nul le licenciement du salarié licencié pour avoir subi des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir dénoncé de tels agissements, peu important que la lettre de licenciement énonce des griefs supplémentaires que le juge doit s'abstenir d'examiner ; qu'en retenant que la lettre de licenciement énonce d'autres griefs indépendants du harcèlement moral dénoncé pour écarter la nullité du licenciement dont elle a par ailleurs constaté qu'il était également fondé ''sur les accusations de harcèlement moral de la part du salarié et ses conséquences sur les collègues concernées'', la cour d'appel a violé l'article L. 1152-3 du code du travail. »
Vu les articles L. 1152-2 et L. 1152-3 du code du travail :
9. Selon le premier texte visé, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, notamment en matière de rémunération, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat, pour avoir subi ou refusé de subir des agissements répétés de harcèlement moral ou pour avoir témoigné de tels agissements ou les avoir relatés.
10. Aux termes du second texte visé, toute rupture de contrat de travail intervenue en méconnaissance des articles L. 1152-1 et L. 1152-2 du code du travail, toute disposition ou tout acte contraire est nul.
11. Il s'en déduit que le salarié qui relate des faits de harcèlement moral ne peut être licencié pour ce motif, sauf mauvaise foi, laquelle ne peut résulter de la seule circonstance que les faits dénoncés ne sont pas établis.
12. Pour débouter le salarié de sa demande de nullité du licenciement et des demandes qui en sont la conséquence, l'arrêt retient que le licenciement n'est pas intervenu pour la dénonciation d'un harcèlement moral mais en raison du non-respect des règles de fonctionnement interne et des difficultés relationnelles du salarié avec ses collègues et ses supérieurs hiérarchiques confinant à l'insubordination.
13. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que la lettre de licenciement rappelait les accusations de harcèlement moral de la part du salarié et ses conséquences sur les collègues concernés, et que, sauf mauvaise foi, le grief tiré de la relation des agissements de harcèlement moral par le salarié emporte à lui seul la nullité du licenciement, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris autrement composée ;
Condamne l'association ISC Paris aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association ISC Paris et la condamne à payer à M. [I] la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six juillet deux mille vingt-deux.
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