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Les promesses


Maire d’une ville du 93, Clémence livre avec Yazid, son directeur de cabinet, une bataille acharnée pour sauver le quartier des Bernardins, une cité minée  par l’insalubrité et les « marchands de sommeil ». Ce sera son dernier combat, avant de passer la main à la prochaine élection.  Mais quand Clémence est approchée pour devenir ministre, son ambition remet en cause tous ses plans.  Clémence peut-elle abandonner sa ville, ses proches, et renoncer à ses promesses ?...

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Entretien avec le réalisateur, Thomas Kruithof

Dans les promesses, vous explorez à nouveau une « mécanique de l’ombre », celle des tractations politiques, au niveau local et national… 
De l’espionnage à la politique, j’aime bien, sans doute, montrer la cuisine des choses ! Après l’élection présidentielle de 2017, j’avais envie de m’intéresser au courage politique et il m’a semblé que c’était à l’échelon local qu’on pouvait encore y croire, même si à l’arrivée le film traverse toutes les strates de l’échiquier politique. J’ai rencontré Jean-Baptiste Delafon, le co-créateur de Baron noir, qui lui-même travaillait sur un portrait de maire de banlieue, il avait déjà rassemblé de la documentation, on a continué à rencontrer des maires, des acteurs du secteur associatif, ça s’est enrichi au fur et à mesure… J’ai trouvé qu’il y avait une matière humaine et sociale passionnante et viscérale autour du problème des copropriétés dégradées et des marchands de sommeil. Ce qu’il y a de commun avec mon premier film, c’est le rapport de l’individu face au système. Dans la mécanique de l’ombre, c’était plus ouvertement kafkaïen, mais là, au sein de cette cartographie de la vie politique, on perçoit qu’il y a différents échelons de décision, et que les individus doivent se débrouiller avec… Le maire occupe une place à part dans ce système : il fait la liaison entre le peuple et l’Etat. Il connait les prénoms et les noms de ses administrés et en même temps, il est exposé à l’état central. Il subit une froideur, un dédain venant d’au-dessus, et une colère, une impatience et une perte de confiance venant d’en dessous. Les gens pensent souvent qu’il a plus de pouvoir qu’il n’en a vraiment.

Comment s’est déroulée l’écriture du scénario ?
Il y a eu de nombreuses versions, l’écriture a pris presque trois ans. J’admire ceux qui arrivent à aller plus vite ! C’était un travail d’exploration, enrichi et remis en question au fil de nos rencontres. Avec, dès le départ, un récit centré sur la relation entre Clémence, la maire, et Yazid, son directeur de cabinet. Ils constituent un vrai duo : c’est une amitié professionnelle forte avec une admiration mutuelle, des frontières pas forcément nettes entre l’intimité et le travail, et un rapport personnel à l’engagement politique. Ils sont aussi à un moment différent de leur carrière. Ils sont le réacteur humain du film.

Le personnage de Clémence s’inspire-t-il de maires que vous avez croisés ? 
Pas directement. En banlieue parisienne, on a rencontré beaucoup de maires avec des personnalités et des couleurs politiques différentes qui menaient le même combat pour sauver des cités dégradées, que ce soit à Grigny, à Clichy-sous-Bois, où l’on a tourné, ou à Chanteloup-les-Vignes, etc. On a attrapé des fragments de vie, des petites scènes qui nous ont inspirés. Toujours ce double rapport avec les citoyens et avec les instances au-dessus d’eux… Même le maire d’une ville de 50  000 habitants reçoit chaque semaine des citoyens, écoute leurs doléances, c’est un métier de terrain. En banlieue, les lignes politiques ont bougé, il y a une variété de tendances mais un consensus sur l’action à mener en ce qui concerne l’habitat insalubre. Les maires de banlieue se sont d’ailleurs beaucoup associés pour rendre leurs combats médiatiques, dénoncer le manque de ressources, les inégalités territoriales, etc.

C’est pour cela que l’on ignore à quel parti Clémence appartient… ? 
Tout à fait : on laisse de côté l’idéologie pour se concentrer sur l’action concrète, le combat quotidien des protagonistes. D’ailleurs, c’est un film sur la politique mais où l’on parle plus d’argent que d’idées… Plus largement, les «  back stories » des personnages m’ennuient. Je trouve plus intéressant de donner quelques pistes, à chacun de se faire son idée. On comprend en voyant sa maison qu’elle vit là depuis longtemps, on apprend aussi qu’elle a été médecin. Médecin, comme professeur ou directeur d’école, est un métier qui produit beaucoup de maires. Son engagement professionnel dans la vie locale s’est transformé peu à peu. Et on ne parle jamais du père de son fils... Plutôt que de raconter les histoires passées, je voulais qu’on soit d’emblée avec les personnages, je voulais faire l’exposition en marchant. En découvrant le problème qu’ils ont à résoudre, on comprend par de petits indices qui ils sont, d’où ils viennent, un peu comme dans la vie quand on rencontre quelqu’un.

Les promesses est l’un des rares films où l’on voit à l’œuvre ce qu’est l’action politique : convaincre l’État de réhabiliter une cité insalubre… 
La plupart des films et des séries politiques ne s’intéressent qu’à la conquête du pouvoir. Je voulais qu’il y ait un objet concret d’action politique, qui donne un poids aux décisions à prendre, et qui puisse être mis en balance avec l’ambition, le courage, la volonté, les peurs des personnages. Ce qui est très difficile, dans les films sur la politique, c’est la représentation du peuple. Là je voulais que l’on voie des habitants engagés, actifs, au service de la défense de leurs intérêts. Les villes de banlieue sont les plus jeunes de France et la plupart des films qui s’y tournent parlent de cette jeunesse. Nous, on savait qu’on parlerait moins des jeunes que de leurs parents ou grands-parents. Contrairement aux idées reçues, ces cités ne sont pas toutes des HLM, il y a des copropriétés  : au début des années 60, elles semblaient représenter une bonne solution pour qu’une nouvelle classe moyenne accède à la propriété. Par exemple Grigny 2, qui est aujourd’hui la copropriété dégradée la plus grande d’Europe, avait été bâti pour loger le personnel travaillant à Orly. Mais ces ensembles d’immeubles sont trop grands, souvent construits avec des matériaux de qualité médiocre, et puis l’ascenseur social est tombé en panne, la paupérisation s’est installée, et les copropriétés ont commencé à faire faillite. Aujourd’hui y prospèrent les marchands de sommeil, qui rançonnent les populations en difficulté, notamment les demandeurs d’asile, pour qui ces pièces insalubres sont la seule solution de logement. Mais il y a aussi des « historiques » : on leur a permis de devenir propriétaires, ils y ont souvent mis toutes leurs économies et aujourd’hui que leur retraite approche leur appartement ne vaut plus rien, tandis que les charges ont augmenté vertigineusement. Ils se battent pour leur logement et le logement, c’est le sujet viscéral de la politique locale.

Vous saviez que ce serait un film très dialogué. Sur quoi avez-vous fondé votre mise en scène ?
L’action en politique, c’est convaincre. Donc oui, c’est un film où la parole est très présente, sans jamais être une garantie de s’imposer : on peut avoir de bons arguments, être du côté de la justice et perdre le combat. Ce n’est pas un concours d’éloquence. Et pourtant j’ai toujours pensé que je n’allais pas faire un film statique mais un film porté par le mouvement des personnages, leur vivacité, leur intelligence en action. C’est cette énergie transmise par les comédiens qui a défini la scénographie, et qui nous emmène d’un plan à l’autre. Et au-delà des mots, quelque chose se déploie, qui a à voir avec l’intime des personnages, leur volonté, leur colère, leurs doutes. C’est ce que je voulais saisir dans la mise en scène.

Comment avez-vous eu l’idée de ce duo inédit : Isabelle Huppert et Reda Kateb ?Parfois, au cours de l’écriture, pour donner une couleur à un personnage, on lance un nom d’acteur, et puis généralement on continue de creuser le personnage en oubliant l’acteur auquel on a pensé. Avec Jean-Baptiste Delafon, on s’est dit au tout début que Clémence, ce serait Isabelle Huppert, et Yazid, Reda Kateb… Il y avait quelque chose qui me paraissait correspondre dans leur style de jeu, une capacité à garder du mystère, une subtilité. Car ce sont des personnages qui ne racontent jamais leur vie, qui gardent leurs émotions pour eux. Et l’admiration que peut avoir Yazid pour Clémence, c’est celle de tout acteur pour Isabelle Huppert, même un acteur du rang de Reda Kateb. Les deux ont aimé le scénario, se sont rencontrés et j’ai senti tout de suite une chimie entre eux, j’aimais la musique de leurs deux voix. Je les avais longtemps imaginés physiquement : un film avec un Reda très élégant, le visage un peu lissé, placide, et puis Isabelle, la tension, l’autorité qui se dégagent d’elle, dans sa silhouette et son tempo de marche.

Drame de Thomas Kruithof. 3 nominations au Mostra de Venise 2021 (Edition 78). 3,7 étoiles sur AlloCiné.

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