Un frère et une sœur à l’orée de la cinquantaine… Alice est actrice, Louis fut professeur et poète. Alice hait son frère depuis plus de vingt ans. Ils ne se sont pas vus depuis tout ce temps – quand Louis croisait la sœur par hasard dans la rue, celle-ci ne le saluait pas et fuyait… Le frère et la sœur vont être amenés à se revoir lors du décès de leurs parents.
Peut-on imaginer que les membres de la famille Vuillard, au cœur de votre filmographie, continuent à s’aimer et se haïr dans votre dos, et se représentent à vous sous des atours nouveaux ? Effectivement, je pense que les Vuillard vivent de façon indépendante. Voilà que cette fois, ils ont frappé à ma porte avec une question très théorique : quand est-ce qu’il y a une fin à la haine, cet autre visage de l’amour ? Comment faire pour que la haine se tarisse ? Mais autant un conte de noël était construit autour de digressions, autant frère et sœur ne devait en contenir aucune et tendre vers une unique cible : la fin de la haine.
Cette séquence émotionnellement forte se tient dans un contexte on ne peut plus trivial : sur le sol du rayon produits frais d’un supermarché !
Je pensais à deux chiens qui se rencontrent sur une surface de plastique, éclairée au néon, à une heure du matin. Soudain, les têtes se cognent et, dans ce décor d’une trivialité entière, les regards se décillent. Et soudain, l’autre existe. Apparaît l’évidence de l’existence de la personne qui nous fait face, peu importe qu’on l’ait aimée ou haïe. On remet donc les provisions dans le sac et on repart : il ne s’est rien passé et il s’est tout passé. Cette illumination m’enchantait. C’était une scène très forte à tourner que nous attendions tous avec trac et impatience.
Les corps dans ce film se dérobent, chutent, sont menacés de désintégration.
Je crois que c’est ça, le cinéma, non ? Les acteurs incarnent. La violence des sentiments et des événements qui traverse le film déborde, et cela passe par le corps. Quand les acteurs m’offrent tout, et j’en suis bouleversé. Notamment quand Alice et Louis se mettent à pleurer. Cela m’évoque le beau titre d’un livre de Stanley Cavell La Protestation des larmes. Soudain le corps parle, les fluides exsudent et le personnage comme l’actrice ou l’acteur se révèlent.
Louis déplore chez Alice son « goût effarant pour la sainteté ». Son « amour du bien » le terrifie, dit-il.
Bon, Alice a merdé avec son neveu, c’est sûr. Elle en paie l’addition lorsqu’elle ouvre le médaillon de sa mère. Mais à part cela, elle a toujours voulu être du côté du bien. Louis, lui, se fout du bien et du mal. Comme nous disait Naïla Guiguet, qui fut notre regard durant toute l’écriture, on a envie de voir Alice se comporter en badass. D’où la scène de la brasserie où elle balance sa chaise. À la fin, sur le toit avec Louis, la voilà moqueuse et dure. Il fallait qu’elle cesse d’agir comme une sainte. Être soi-même, c’est déjà bien du travail ! Être du côté du côté du bien, ça me semble bien dangereux.
Comment avez-vous choisi vos acteurs ?
Comme frère et sœur est un film au long cours, j’ai pris l’habitude de ne surtout pas écrire pour des acteurs. Ça limiterait ma fantaisie. Mais quand j’ai posé le stylo, je savais que le rôle de Louis était pour Melvil Poupaud. Sa maturité m’impressionne beaucoup. J’attendais de voir Melvil dans un rôle chargé de désespoir. J’ai tout simplement pensé : il est temps. Nous nous sommes vus, Melvil me parlait de Jack Nicholson dans five easy pieces, comment ne pas faire affaire ?! Marion ? Marion… J’ai fait ce film pour Alice, pour la délivrer et je savais que Marion saurait la délivrer avec moi. S’il y a une actrice qu’on ne saurait juger, qu’on aime sans condition c’est Marion Cotillard ! Marion a cette évidence que je ne sais expliquer. Mais je l’aime sans condition. Le visage de Marion, c’est comme une carte qui nous guide, mais la carte de quoi ? Celle l’enfance, de ses terreurs, de l’émerveillement, ou d’une tristesse que je ne sais pas sonder. Racontant l’histoire d’une famille caucasienne et chrétienne, j’avais envie d’ouvrir le film. Après paterson de Jim Jarmush, où Golshifteh Farahani jouait une femme enfant, j’avais envie de la voir dans le rôle d’une femme tout court. Zwy est le meilleur ami de Louis et il est juif. Dans ce film, il n’y a pas ni digressions, ni déguisements. Et Patrick Timsit est arrivé, comme un corps étranger à mon cinéma et nous nous sommes tout simplement reconnus. Pour jouer Fidèle, qui est écrasé par son frère et sa sœur, il était difficile de trouver un acteur capable d’arriver à exister entre ces deux monstres. Celui qui y parvenait avec charme et évidence, c’était Benjamin Siksou. Cosmina Stratan dans le rôle de la fan roumaine était évidente pour moi. Allons, au delà des collines ! Max Baissette est merveilleux. Il est plus âgé que son rôle, mais il fait très jeune. Il avait et l’enfance et la maturité de Joseph. La singularité de Max m’a enchanté autant que l’envol de Louis !
Votre titre est d’une simplicité absolue.
Le film vient dire le contraire de ce qu’expriment les personnages. « Je ne suis plus ta sœur », « Je ne suis plus ton frère ». Si, vous êtes frère et sœur. Le titre file aussi droit que le récit. Alice et Louis ne veulent pas vivre avec cette idée et pourtant, à la fin, ils vivent avec. C’est aussi simple que ça.
Drame de Arnauld Desplechin. 4 étoiles sur AlloCiné. 6 nominations au Festival de Cannes 2022 (édition 75).