Moussa a toujours été doux, altruiste et présent pour sa famille. A l’opposé de son frère Ryad présentateur télé à la grande notoriété qui se voit reprocher son égoïsme par son entourage. Seul Moussa le défend, qui éprouve pour son frère une grande admiration. Un jour Moussa chute et se cogne violemment la tête. Il souffre d’un traumatisme crânien. Méconnaissable, il parle désormais sans filtre et balance à ses proches leurs quatre vérités. Il finit ainsi par se brouiller avec tout le monde, sauf avec Ryad…
Quel a été l’élément déclencheur de l’histoire de votre film, les miens ?
L’accident arrivé à mon jeune frère. Après un choc à la tête, cet homme si gentil est devenu quelqu’un au franc-parler désinhibé et féroce. Cet événement a créé un cataclysme au sein de ma famille, qui est une famille à la fois très soudée et en proie aussi à des conflits, comme toutes les familles. Tout ce qui constitue cet accident nous a bouleversé. Quand l’un d’entre nous est touché, c’est tous les autres qui s’en trouvent affectés.
Pourquoi faire de cette histoire réelle à caractère dramatique, également une comédie ?
Ça s’est imposé naturellement. Une des personnes à qui j’ai raconté en premier l’évolution de mon frère, c’était Arnaud Desplechin. Il trouvait cela dramatique et drôle à la fois. Quand j’en parlais, les gens souriaient tout en étant affectés. La personnalité tout à coup sans filtre de mon frère, le bouleversement que ses réactions provoquent, sont tels que l’on passe sans cesse du drame à la comédie. On rit parfois, on est choqué souvent. On devait retrouver ces aspects dans le film à la manière de certaines comédies italiennes que je regardais enfant. Je me souviens des films d’Ettore Scola, ou de Vittorio De Sica, qui traitaient les événements dramatiques en déclenchant le sourire et le rire. Cette forme de distance pour aborder un sujet aussi instable m’a toujours captivé. J’ai par ailleurs beaucoup lu sur le changement de personnalité, et l’évolution du cerveau humain. C’est fascinant et parfois comique, il y a du burlesque dans les réactions nouvelles et inattendues d’un personnage qui n’est plus celui qu’on connaissait.
Vous polarisez votre histoire au cœur de la fratrie. Là aussi c’est un sujet sociétal très important, qui se retrouve dans toutes les civilisations. Qu’est-ce qui doit nous lier forcément à un frère ou une sœur ?
Il y a quelque chose d’éternel dans la façon dont, dans ma famille, on a été élevé entre frères et sœurs. Toutes les fratries ne sont pas les mêmes bien sûr. Pour celle du film, il y a une absence de trahison possible, une grande tolérance, quoi que l’autre ait fait, on lui viendra en aide. C’est très fort chez moi, chez nous. Dans tous les cas de figure je suis fasciné par les familles. Par exemple on ne se parle pas chez moi, la libération de la parole ça n’est pas vraiment un sujet. Et quand ça arrive, c’est assez théâtral, avec des egos très forts. Evoquer une fratrie, c’est revenir sur des choses essentielles comme la place de l’autre au sein de la famille, le statut qu’on lui donne. Le personnage que j’interprète est « LE frère », celui qui a réussi. Le statut que cela lui confère au sein de la fratrie, ce sont les parents qui l’ont initié. C’est intéressant à développer, à comprendre : comment il est impossible de détruire un lien dans des familles comme cela, et comment, à rebours, cette solidarité inconditionnelle entre sœurs et frères, laisse peu de place à ceux qui arrivent, aux conjoints, l’étranger. Le film soulève toutes ces questions éternelles.
Pour la jeune génération de votre film, la technologie fait aussi d’eux des êtres de leur temps. Elle est constructive et rend égocentrique à la fois.
Pour cette génération, ce qui peut paraître effrayant, c’est cet aspect chronophage et addictif, à quel point elle ne s’en passe plus. C’est un des constats du film, mais ce n’est certainement pas un procès, car si je pense à ma génération, nous c’était la télé qui nous rendait accro. Aujourd’hui c’est intéressant de voir comment pour le personnage du jeune Adil, la communication avec les autres, se fait davantage à travers un jeu vidéo de guerre, avec ceux qui partagent la même passion que la sienne et qu’au fond il ne connaît pas. Mais mon film n’est pas du tout contre la technologie obligatoirement présente dans nos vies. Je montre aussi comment cette même technologie est un outil de création éphémère. Grâce à son talent, le personnage de la nièce qui fait des vidéos avec des centaines de milliers de gens qui la suivent, a atteint rapidement et facilement le fameux quart d’heure de célébrité cher à Andy Warhol. Ce qui lui permet de continuer à s’exprimer.
Le rapport entre les générations, la vôtre et celle des enfants qui sont des jeunes adultes, est aussi montré sans esquive.
Il y a quelque chose de l’ordre de la transmission entre ces deux générations. C’est ce que je raconte à travers les séquences de déjeuners. On se retrouve tous, on échange, on apprend. Pour ma génération, il faut savoir accepter les nouveaux codes, les libertés nécessaires prises par la jeunesse. Entre nous tous, il faut trouver une harmonie. Il faut beaucoup prendre sur soi. Au final, il s’agit de se fier aux plus jeunes. Ils inspirent de l’inquiétude aux plus âgés, mais en réalité ils savent très bien où ils vont. Ce que vous avez inculqué, enseigné, est inscrit dans leur mémoire, vous leur avez donné les codes, il faut leurs faire confiance. C’est ce que je voulais que l’on sente sans avoir besoin que ce soit exprimé.
Les séquences de vos personnages au travail sont aussi vues par le prisme des émotions qui les traversent, de l’intime, plus que de la technicité professionnelle. Pour quelles raisons ? C’est une question que l’on s’est tout de suite posée avec Maïwenn : quel travail les personnages allaient-ils exercer ?
Pour moi il était très important de trouver des métiers non archétypaux. On a tout inventé sauf le travail de Moussa qui est directeur financier, c’est effectivement le métier de mon frère. Pour les jeunes personnages, j’ai cherché ce qui était le plus probable et crédible, j’hésitais entre serveur dans un restaurant un peu à la mode et réceptionniste dans un hôtel. J’ai choisi pour le personnage d’Adil, qu’il soit serveur et qu’il ait obtenu ce travail grâce à Ryad. Ça me permettait de montrer l’influence de la notoriété de mon personnage dans sa famille, mais aussi à l’extérieur. J’aime qu’on découvre qui sont les personnages quand ils ne sont pas entre membres d’une même famille. Déterminer la nature de leur profession, leur image sociale en quelques sortes n’est pas quelque chose que je prends à la légère !
Le titre les miens s’est-il imposé tout de suite ?
J’ai trouvé ce titre il y a seulement un mois ! Il me fait penser à l’affiche du film où l’on voit mon personnage qui est le seul à avoir le regard tourné vers les miens. Pour moi c’est une question de cohérence et de responsabilité, car ça n’est pas rien de raconter les siens. Ce titre est une façon de l’assumer.
Comment votre famille a-t-elle réagi face à ce projet ?
J’ai fait lire le scénario à mon jeune frère. Je ne cherchais pas son approbation, je voulais qu’il soit informé, je le savais encore très affecté. Je ne voulais pas avoir le sentiment de le trahir. Il a lu, et ne m’a rien interdit. La chose était entendue. Pour le reste de mes proches, ils ont découvert le film très récemment. C’était pour eux un moment assez magique quand ils ont compris qu’ils étaient l’objet d’un film. Je ne suis pas un enfant du sérail, rien ne me prédisposait à intégrer le milieu du cinéma. Pour ma famille, se voir représentée à travers un film c’est à la fois flatteur et perturbant. Ils ont finalement ressenti ça comme un hommage car je n’ai pas de compte à régler avec eux. J’ai senti de la fierté, mais j’ai eu quand même très peur pendant plus d’un an qu’a duré le montage, qu’ils soient perturbés, parce que je révélais beaucoup de choses personnelles qui leurs appartenaient.
Drame de Roschdy Zem. 4 nominations au Mostra de Venise 2022 (édition 79). 3,6 étoiles sur AlloCiné.