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L'innocent


Quand Abel apprend que sa mère Sylvie, la soixantaine, est sur le point de se marier avec un homme en prison, il panique. Épaulé par Clémence, sa meilleure amie, il va tout faire pour essayer de la protéger. Mais la rencontre avec Michel, son nouveau beau-père, pourrait bien offrir à Abel de nouvelles perspectives…

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Entretien avec le réalisateur, Louis Garrel.

Est-il exact que le projet de L’Innocent, qui est votre quatrième film, était prévu initialement pour succéder à votre premier film, Les Deux Amis ? 
Oui et avec la même productrice, Anne-Dominique Toussaint. Mais comme le scénario de L’Innocent a mis du temps à mûrir, je me suis permis de faire une digression avec L’Homme Fidèle et La Croisade. J’ai commencé l’écriture seul puis j’ai découvert les romans de Tanguy Viel, écrivain de romans policiers existentiels qui aime s’emparer du genre pour raconter des choses intimes. Au départ je cherchais un auteur de romans policiers façon roman de gare, dans lequel le genre policier soit comme un jeu. On a mis du temps à trouver une structure pour le récit, un scénario n’est pas un roman, c’est fait pour être bougé. Puis est arrivée Naïla Guiguet, avec qui j’ai travaillé sur La Croisade, qui est brillante et talentueuse. Tout ce temps a été très bénéfique pour le scénario. Contrairement à L’Homme Fidèle et à La Croisade, c’était un projet sans Jean-Claude Carrière, mais je lui ai fait lire. Il m’a suggéré deux ou trois choses dont une que j’ai mise dans le film : le petit chat qui lèche ma chaussure et mange le caviar quand je suis au cimetière. Il avait aussi des idées de scénariste très visuelles.

Vous souhaitiez écrire une comédie policière ? 
Je voulais une histoire de famille et une affaire criminelle, un délit. Tout de suite, il y avait l’idée de la mère qui se marie en prison. C’est la mère qui, par l’amour, fait entrer dans une famille complètement « légaliste » un élément transgressif.

Dans la structure du récit, on peut distinguer deux parties. D’abord le fils qui veut protéger sa mère et enquête sur son beau-père, soit la partie filature. Ensuite, le fils qui devient ami du beau-père et fait alliance avec lui. 
Je ne voulais pas que cela soit une chronique familiale, intimiste, en mode mineur, mais tenais à un récit plus construit, plus assumé. Comme le film a un socle autobiographique, je ne pouvais pas me permettre d’en faire une chronique pour rendre cela encore plus transparent. Je préfère prendre des éléments biographiques pour les mettre dans un film qui joue avec le genre au cinéma, y compris celui de la comédie. Pour éviter le pathos de la dimension tragique. La relation d’une mère à son fils est une chose difficile à traiter au cinéma. On bascule facilement dans le viscéral. Plus on a l’esprit léger, mieux le film et le spectateur se portent. Il y a en effet deux parties. L’une est une chronique amusée et amusante et la deuxième bascule dans le film d’action. Avec en prime, lors de la scène du restaurant routier, l’envie de tricoter une scène de marivaudage dans une scène de braquage, où il se joue une chose très intime du sentiment amoureux. Du coup, il a fallu que je fasse une mise en scène très précise.

Votre personnage se méfie de celui incarné par Roschdy Zem. Pourtant il se projette sincèrement dans leur projet de magasin de fleurs avec sa mère, quand elle a plutôt tendance a se replier dans son passé. 
C’est amusant de voir un type qui, en sortant de prison, s’intéresse au langage des fleurs et a l’air très motivé ! En écrivant le scénario, on voulait que ce projet de magasin de fleurs fasse un peu rêver. Raison pour laquelle on a déréalisé le magasin, qui n’est pas naturaliste et a presque un côté comédie musicale, comme dans la scène d’inauguration. Avec le décorateur, Jean Rabasse, on a pensé à des murs roses. Il me posait beaucoup de questions sur le personnage de la mère pour imaginer le décor dans lequel elle aimerait vivre. Au début, il la voyait comme une post-hippie, alors que non, pas du tout. Je connais ma mère, ce n’est pas du tout une néo-hippie ! Je lui ai dit que si on veut mettre au mur des photos de gens qu’elle aime, il en faut une de Jean Genet et à côté des choses complètement kitsch, des chanteurs de variétés. Il faut les deux, ce qui la rend particulière.

Il y a une très belle scène, filmée en panoramique et en longue focale, entre vous et Noémie Merlant, quand elle vous insulte, dans un champ, sur fond d’herbe verte.
J’ai tourné la première fois la scène sur les quais de Lyon avec un steadycam et cela ne fonctionnait pas, malgré les 28 prises. Alors qu’on tournait en pleine campagne, le chef-opérateur Julien Poupard m’a sorti un objectif de 1000 millimètres. Il était prévu pour les scènes de filature. Il faisait très froid, l’objectif avait de la buée et on a tourné comme cela, d’où l’aspect brumeux, grisâtre. J’ai demandé à Noémie Merlant d’improviser sur la scène déjà tournée. Du coup, le plan a une vie propre. Albert Serra filme souvent ses personnages de très loin, ce qui est plus agréable pour des acteurs non professionnels quand ils ne sentent pas la caméra, la pression de l’équipe autour.

Qui est l’innocent du titre ? 
Au départ, c’est le personnage de Roschdy Zem et ensuite, c’est le mien. D’une certaine manière, quand on commet un délit pour des raisons nobles, on est un peu innocent. Ce qui, j’en conviens, n’est pas très moral au regard de la loi. C’est la fameuse phrase prononcée dans La Règle du Jeu de Jean Renoir, « Ce qui est terrible sur cette terre, c’est que tout le monde a ses raisons ». J’ai hésité au début à donner au personnage du beau-père un passé criminel avant de renoncer très vite. J’avais d’ailleurs un conseiller technique pour tout cela.

Le dernier plan du film est très beau ... 
L’aquarium… Le caviar chez les pingouins, ce qui est plausible, pour la bonne conservation du produit, et insolite. C’est un peu la leçon Hitchcock, le sens du raccourci visuel, installer une situation à partir d’une image qu’on saisit sans avoir à fournir d’explication. 

Un autre projet après celui-ci ? 
Rien de très défini. Juste sur la politique sur plusieurs générations et entre deux frères. J’ai déjà un titre, Le Disciple.

Comédie de Louis Garrel. 1 nomination au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2022 (édition 15). 1 nomination au Festival de Cannes 2022 (édition 75). 4,1 étoiles sur AlloCiné.

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