Une société (mandant) signe un contrat d’agence commerciale avec une autre société (mandataire) en précisant qu’il est conclu en considération de la personne de son dirigeant (intuitu personae). La société mandataire change de dirigeant sans en informer le mandant. Ce dernier résilie, pour faute grave, le contrat d’agence commerciale du mandataire qui conteste en justice cette résiliation. La Cour de cassation donne finalement raison au mandant estimant que le mandataire a manqué à son obligation de loyauté.
[…]
1. Selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 janvier 2020), la société Bystronic France (la société Bystronic) ayant résilié pour faute grave le contrat d'agence commerciale conclu avec la Société d'études et de ventes de machines outils (la société SEVMO), cette dernière, aux droits de laquelle est venue la société de Représentation de machines-outils (la société REPMO), contestant avoir commis une telle faute, l'a assignée en paiement des indemnités de cessation de contrat et de préavis.
2. La société Bystronic fait grief à l'arrêt de dire qu'aucune faute grave n'est démontrée à l'encontre de la société SEVMO, de la condamner à régler à la société REPMO certaines sommes à titre d'indemnités de cessation de contrat et de préavis, alors « que le contrat d'agence commerciale, conclu en considération de la personne de l'agent, ne peut être transmis qu'avec l'accord du mandant ; que dès lors, commet une faute grave, par manquement à son devoir d'information et de loyauté, la société mandataire qui n'informe pas son mandant que son dirigeant personne physique, en considération de qui le contrat d'agence a été conclu, a cessé ses fonctions et a été remplacé par une autre personne ; qu'en retenant, pour dire que la société SEVMO n'avait commis aucune faute grave en n'informant pas la société Bystronic que son dirigeant avait cessé ses fonctions et été remplacé par une autre personne, que la société Bystronic n'établissait aucune atteinte à la finalité commune du mandat résultant de ce changement de direction et de contrôle, la cour d'appel, qui a constaté que ce contrat avait été conclu en considération de la personne de ce dirigeant, que les parties avaient convenu que tout changement de direction serait préalablement soumis à l'agrément du mandant et érigé tout manquement à cette obligation en faute grave, n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a violé les articles L. 134-1, L. 134-4, L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce. »
Vu les articles L. 134-12 et L. 134-13 du code de commerce :
3. Il résulte de ces textes que la faute grave, qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, exclut le bénéfice d'une indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale.
4. Pour exclure la faute grave de la société SEVMO et condamner la société Bystronic au paiement d'indemnités de cessation de contrat et de préavis, après avoir constaté que l'article 11 du contrat d'agence commerciale stipulait que le contrat étant conclu en considération de la personne de M. [J], principal animateur de la société SEVMO, tout changement conduisant à la perte par ce dernier, soit de la direction effective et permanente de la société, soit du contrôle majoritaire de celle-ci, devait être soumis à l'agrément du mandant dans un délai raisonnable, avant la survenance du changement, et que le non-respect de cette obligation serait assimilé à une faute grave de l'agent, ouvrant droit à la résiliation du mandat, l'arrêt retient que cette clause vise à garantir l'effectivité du caractère intuitu personae du contrat et permettre la résiliation de ce contrat en cas de changement de direction ou de contrôle de la société mandataire mais qu'il n'est pas démontré qu'une atteinte à la finalité commune du mandat a résulté du changement de direction ou de contrôle de la société SEVMO et qu'il n'est ni établi ni même invoqué que la société REPMO, qui a le contrôle majoritaire de la société SEVMO, exerce une activité concurrente de la société Bystronic.
5. En statuant ainsi, après avoir constaté que le contrat avait été conclu en considération de la personne de M. [J] et que la société SEVMO n'avait informé la société Bystronic d'un changement de direction au profit de la société REPMO que près d'un mois après celui-ci, ce dont il résulte qu'elle a manqué à son obligation de soumettre à l'agrément préalable de son mandant le changement entraînant la perte de contrôle majoritaire de M. [J], alors que le manquement à l'obligation de loyauté, essentielle au mandat d'intérêt commun, constitue une faute grave, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés.
Vu l'article 624 du code de procédure civile :
6. La cassation prononcée sur le premier moyen du chef de la condamnation au paiement d'indemnités de cessation de contrat et de préavis entraîne, par voie de conséquence, la cassation de la disposition critiquée par le second qui, rejetant la demande de restitution des sommes versées en exécution du jugement de première instance au motif que les sommes allouées par la cour d'appel étaient d'un montant supérieur à celui des sommes allouées par les premier juges, s'y rattache par un lien de dépendance nécessaire.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il dit qu'aucune faute grave n'est démontrée à l'encontre de la société SEVMO, qu'il condamne la société Bystronic France à payer à la société REPMO la somme de 441 979 euros à titre d'indemnité de cessation du contrat d'agence commerciale, qu'il condamne la société Bystronic France à payer à la société REPMO la somme de 110 495 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, qu'il déboute la société Bystronic France de sa demande de restitution des sommes qu'elle a versées en vertu du jugement assorti de l'exécution provisoire et qu'il statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 janvier 2020, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ;
Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société de Représentation de machines-outils, venant aux droits de la Société d'études et de ventes de machines-outils (SEVMO), aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société de Représentation de machines-outils et la condamne à payer à la société Bystronic France la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille vingt-deux.
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