Depuis 2014, en France, la Justice Restaurative propose à des personnes victimes et auteurs d’infraction de dialoguer dans des dispositifs sécurisés, encadrés par des professionnels et des bénévoles comme Judith, Fanny ou Michel.
Nassim, Issa, et Thomas, condamnés pour vols avec violence, Grégoire, Nawelle et Sabine, victimes de homejacking, de braquages et de vol à l'arraché, mais aussi Chloé, victime de viols incestueux, s’engagent tous dans des mesures de Justice Restaurative.
Sur leur parcours, il y a de la colère et de l’espoir, des silences et des mots, des alliances et des déchirements, des prises de conscience et de la confiance retrouvée… Et au bout du chemin, parfois, la réparation...
Créée en 2014, la justice restaurative est un domaine encore peu connu en France. D’où est née l’idée de lui consacrer un film ?
Après Pupille, je cherchais un nouveau projet et j’ai entamé des recherches sur deux sujets qui m’intéressaient : le fonctionnement du cerveau et le milieu de la justice. J’ai toujours été passionnée par les faits divers, les procès, les grandes figures du banditisme, les ténors du barreau… Un jour, je suis tombée par hasard sur un podcast autour de la justice restaurative. Ça m’a intriguée, puis captivée : ce qui m’intéressait dans ce processus était précisément ce qui motivait mes recherches sur le cerveau : la réparation.
Quel rapport entre les deux ?
Le lien. La justice restaurative offre à des personnes ayant été victimes d’agression et à ceux qui les ont commises la possibilité de se rencontrer, de se parler et de se réparer. Face-à-face, des victimes et des auteurs d’infraction vont pouvoir échanger leurs ressentis, leurs émotions et tisser un nouveau rapport où l’empathie peut parfois prendre le pas sur la peur. Cette réparation par le collectif et la recréation du lien a beaucoup de points communs avec la plasticité du cerveau qui lui permet de se réparer en recréant des connexions.
On sent que vous consacrez énormément de temps à vous documenter avant de vous lancer dans l’écriture…
Dans Pupille comme dans ce film, j’éclaire un endroit du réel peu connu qui propose des outils porteurs d’espoir. Pour autant, je ne fais pas ces films pour parler de l’adoption ou de la justice restaurative. Ce ne sont pas des documentaires. Le fond me touche, mais c’est d’abord le cinéma qui m’importe. Ce sujet, je le choisis car je pressens que je vais pouvoir y planter des graines de romanesque et qu’il va m’offrir la possibilité de faire un bon film. Au cours de mes recherches, un des interlocuteurs que j’ai rencontré m’a dit : « L’objectif de la justice restaurative, c’est la libération des émotions par la parole ». C’est cette libération que j’ai voulu mettre en scène.
Avez-vous assisté à ces rencontres entre victimes et agresseurs ?
Non. Ce serait contraire au principe de base de cette pratique qui invite les agresseurs à se raconter en toute liberté. Ils savent que le cadre dans lequel ils vont s’exprimer est sécurisé et que rien de ce qu’ils diront ne sera répété. Il arrive d’ailleurs que certains dévoilent des faits qu’ils n’ont jamais révélés. Les seules choses auxquelles j’ai assisté et qui étaient hyper intéressantes sont les formations. J’en ai suivi trois : la formation d’animateurs que font Fanny (Suliane Brahim) et Michel (Jean-Pierre Darroussin) dans le film - j’ai vraiment éprouvé de l’intérieur la première scène du film en jouant tour à tour des auteurs et des victimes face à des apprentis animateurs - ; celle de médiateur, la fonction qu’occupe Judith (Elodie Bouchez) ; et une troisième formation par Zoom au Québec. En fait, quand je prépare un film, je n’assiste à rien. Par contre, je demande aux gens de raconter leur expérience, j’additionne des récits de vie qui me permettent de comprendre très rigoureusement les «règles du jeu» et puis, après, de jouer : je rebondis sur ce qui m’inspire, je fusionne des témoignages, j’invente, je vais piocher dans ma propre vie… J’acquiers un étayage documentaire solide qui libère mon imaginaire. Noémie Micoulet, de l’Institut Français pour la Justice Restaurative, m’a beaucoup aidée à recueillir ces témoignages.
La préparation de ces rencontres semble très longue.
Elle l’est. Elle peut prendre des mois, chaque participant est préparé en amont en tête-à-tête par les animateurs, jusqu’à ce qu’ils soient prêts. Le film raconte d’ailleurs la préparation d’un auteur, Nassim (Dali Benssalah) et d’une victime, Chloé (Adèle Exarchopoulos) mais dans un autre dispositif…
La scène entre Chloé et son frère est aussi bouleversante qu’elle est intrigante…
C’est la scène climax du film. Je la voulais ainsi. Elle devait être réparatrice pour la victime et l’être aussi pour le frère. Je ne sais pas ce que ce garçon va devenir mais il a compris des choses. Lui aussi va peut-être se mettre à bouger. Il y a un petit espoir.
Revenons à l’écriture du scénario. Comment rend-t-on cette dynamique ?
C’est un dynamisme psychologique, émotionnel, qui ne peut pas passer par le dynamisme du corps – la plupart du temps, les personnages sont assis – mais qui passe par les visages et la voix. Je ne vais pas mentir : c’est ce que je préfère filmer. Le plus difficile pour moi était de tisser les deux histoires que raconte le film : celle de Chloé et celle à l’intérieur du cercle où se développent six autres histoires. C’est un jeu de l’oie.
Très vite, on sent des débuts d’empathie, voire de sympathie entre les gens.
Oui, il se produit des rapprochements inimaginables dans ces rencontres -le mot « rencontre » revient tout le temps lorsqu’on s’intéresse à la justice-, que ce soit entre victimes et détenus, entre encadrants. Je trouve cette camaraderie très touchante ; c’est ce qu’on retrouve dans tous les groupes qui font des choses fortes ensemble.
Parlez-nous de la phase de préparation…
Jusqu’à récemment, on appelait cette phase atelier de préparation. On l’appelle maintenant atelier de communication. Au fond, cela ressemble énormément au travail que je fais sur mes scénarios. Les gens qui en sont en charge explorent ce que les victimes et les auteurs ont vécu, comment ils l’ont vécu puis ils font de la place à l’autre : « Qu’a-t-il vécu lui aussi ? » Ensuite, ils scénarisent : « Et si l’agresseur dit cela à la victime ? Et s’il arrive comme ci ? Et si les premières ressentent de la colère ? »… Eux aussi racontent des histoires. Ce qu’ils font ressemble beaucoup au cinéma.
Quel est exactement le rôle des bénévoles interprétés par Anne Benoît et Pascal Sangla ?
Ils font partie des membres de la communauté et interviennent peu pendant les débats. Mais ils écoutent, ils soutiennent, de manière inconditionnelle… Et ce sont eux qui gèrent les pauses. Ils sont là pour accueillir, apporter un peu de convivialité. Et sans même s’en rendre compte, les auteurs et les victimes partagent un café, fument ensemble… Les membres de la communauté doivent faire en sorte que le lien continue de se tisser durant ces moments-là tout en empêchant les participants de revenir sur les discussions de fond qui ont lieu et qui doivent rester dans le cercle. Leur rôle est de lancer des sujets de conversation anodins sur le temps, le ciel, la nouvelle zone piétonne ; du rien, quoi. J’adore ! Ça fait partie de la mayonnaise, ça donne des moments légers comme ce dialogue autour de la chemise de Thomas qui n’a aucun intérêt.
Comment êtes-vous sur un plateau ?
J’adore être sur un plateau, c’est un état très joyeux pour moi, je suis très concentrée mais je m’efforce d’être tout le temps dans une énergie positive parce que cela donne le « la » à l’équipe. Je fais peu de prises. S’il m’arrive d’en faire plus de six ou sept, c’est que l’on cherche et que l’on n’a pas encore trouvé ou que l’on a un problème technique. C’est gai de faire du cinéma !
Parlez-nous du montage.
On était à trois caméras dans la salle de rencontre, à deux autrement, ça multiplie la matière ; il y en avait beaucoup, donc le montage a été long. Pas compliqué, mais long. Il faut être à chaque fois au bon endroit dans l’écoute, accélérer aussi le débit des acteurs- ce qui nous semble être le bon rythme au tournage se révèle souvent trop lent. Et il faut dynamiser, tailler notre sculpture, nous n’avons pas bouleversé la structure du scénario mais nous avons beaucoup coupé, des scènes, des bouts de scènes… En échanges constants, dans la dernière phase, avec mes deux producteurs Hugo Sélignac et Alain Attal qui ont un regard très affûté sur le montage et l’écriture d’un film en général. Ça a vraiment été un travail d’orfèvre ; ce que Pierre Jolivet appelle la cuisson-réduction.
Drame de Jeanne Herry. 4,1 étoiles sur AlloCiné.