Un employeur veut licencier pour inaptitude une salariée déléguée du personnel. S’agissant d’une salariée protégée, l’employeur demande l’autorisation de l’inspection du travail qui la refuse. L’employeur attend alors la fin de la période de protection de la salariée pour la licencier. Mais selon la Cour de cassation, le licenciement prononcé pour les mêmes motifs que ceux ayant motivé le refus d'autorisation du licenciement par l’administration du travail constitue un détournement de la procédure de protection.
[…]
L'association Croix Marine de la Réunion, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° V 21-21.561 contre l'arrêt rendu le 21 juin 2021 par la cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion (chambre sociale), dans le litige l'opposant à Mme [F] [I], épouse [U], domiciliée [Adresse 2], défenderesse à la cassation.
[…]
1. Selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis de la Réunion, 21 juin 2021) et les pièces de la procédure, Mme [I], épouse [U], a été engagée en qualité de chef de service par l'association Croix Marine de la Réunion le 8 avril 2013.
2. Le 25 juillet 2016, la salariée a été élue déléguée du personnel.
3. Le 17 octobre 2018, elle a été placée en arrêt de travail pour maladie d'origine non professionnelle. Lors de la visite de reprise du 27 février 2019, le médecin du travail l'a déclarée inapte à son poste de travail et a formulé une proposition d'aménagement par la transformation du poste de travail à compétence égale sur un site différent de celui de [Localité 3] et plus proche du domicile de la salariée.
4. Le 1er avril 2019, la salariée a été convoquée à un entretien préalable au licenciement. Le 3 juillet 2019, l'inspecteur du travail a refusé d'autoriser son licenciement au motif que l'employeur n'avait pas satisfait à son obligation de reclassement. Saisi d'un recours hiérarchique, le ministre du travail a confirmé ce refus par décision du 7 février 2020.
5. La protection de la salariée attachée à son mandat de délégué du personnel a expiré le 2 juin 2020.
6. Le 17 juin 2020, la salariée a été convoquée à un entretien préalable au licenciement fixé au 26 juin 2020. Par lettre du 30 juin 2020, l'employeur lui a notifié son licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.
7. Par requête reçue au greffe le 3 juillet 2020, la salariée, contestant son licenciement, a saisi en référé la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir sa réintégration.
8. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.
9. L'employeur fait grief à l'arrêt d'ordonner la réintégration de la salariée en son sein dans son dernier poste occupé ou dans un poste équivalent, dans les quinze jours de la signification de l'arrêt, alors :
« 1°/ que dès lors que la période de protection légale d'un salarié a pris fin au jour de la convocation à l'entretien préalable, l'employeur retrouve le droit de le licencier sans autorisation administrative pour inaptitude et impossibilité de reclassement, peu important l'existence d'un refus antérieur de l'autorité administrative d'autoriser un tel licenciement ; qu'en l'espèce, il était constant que la salariée n'était plus déléguée du personnel depuis les élections professionnelles organisées le 2 décembre 2019 et que la période de protection attachée à ce mandat s'était donc terminée le 2 juin 2020, soit avant sa convocation à l'entretien préalable à un éventuel licenciement de sorte que le licenciement pouvait être prononcé pour inaptitude et impossibilité de reclassement malgré les refus antérieurs de l'inspection du travail et du ministre du travail d'autoriser un tel licenciement ; qu'en énonçant, pour ordonner la réintégration de la salariée dans le dernier poste occupé ou dans un poste équivalent, que le licenciement prononcé le 30 juin 2020 portait sur les mêmes motifs que ceux ayant motivé le licenciement rejeté par le ministre du travail le 7 février 2020 à savoir inaptitude et impossibilité de reclassement, et que l'association n'avait pas tenu compte des décisions de l'inspection du travail et du ministre du travail refusant l'autorisation de licenciement qui s'imposaient à elle, et que le licenciement prononcé malgré ces décisions caractérisait un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-1 et L. 2411-5 du code du travail dans leur rédaction tant antérieure que postérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, ensemble l'article R. 1455-6 du même code ;
2°/ qu'il n'y a pas de trouble manifestement illicite lorsque le licenciement d'un ancien salarié protégé pour inaptitude et impossibilité de reclassement a été initié et prononcé après l'expiration de la période de protection, peu important l'existence d'un refus antérieur de l'autorité administrative d'autoriser un tel licenciement ; qu'en effet, afin de déterminer si le motif du licenciement est réellement identique à celui ayant donné lieu à une décision de refus, le juge doit vérifier concrètement l'identité entre la situation à la date de la décision de cette autorité et celle au jour du licenciement, notamment en termes de reclassement, appréciation qui relève du juge statuant au fond ; qu'en énonçant, pour ordonner la réintégration de la salariée dans le dernier poste occupé ou dans un poste équivalent, que le licenciement prononcé le 30 juin 2020 portait sur les mêmes motifs que ceux ayant motivé le licenciement refusé par le ministre du travail le 7 février 2020 à savoir inaptitude et impossibilité de reclassement, que l'association n'avait pas tenu compte des décisions de l'inspection du travail et du ministre du travail refusant l'autorisation de licenciement qui s'imposaient à elle, et que le licenciement prononcé malgré ces décisions caractérisait un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé les articles L. 2411-1 et L. 2411-5 du code du travail dans leur rédaction tant antérieure que postérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, ensemble l'article R. 1455-6 du même code ;
3°/ que le licenciement initié et prononcé après l'expiration de la période de protection pour un motif ayant donné lieu à une décision de refus d'autorisation du licenciement par l'autorité administrative n'est pas nul mais sans cause réelle et sérieuse, de sorte que la réintégration du salarié ne peut être ordonnée sans l'accord de l'employeur ; qu'en affirmant que le licenciement était entaché de nullité et en ordonnant, sans constater l'accord de l'employeur, la réintégration de la salariée dans le dernier poste occupé ou dans un poste équivalent, au prétexte que le licenciement portait sur les mêmes motifs que ceux ayant motivé le licenciement refusé par le ministre du travail le 7 février 2020 à savoir inaptitude et impossibilité de reclassement, que l'association n'avait pas tenu compte des décisions refusant l'autorisation de licenciement qui s'imposaient à elle, la cour d'appel a violé l'article L. 1235-3 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, les articles L. 2411-1 et L. 2411-5 du code du travail dans leur rédaction tant antérieure que postérieure à celle issue de l'ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, ensemble l'article R. 1455-6 du même code. »
10. L'arrêt constate que l'employeur a engagé la procédure de licenciement le 17 juin 2020 tandis que la période de protection avait expiré le 2 juin 2020 et retient que le licenciement prononcé le 30 juin 2020 portait sur les mêmes motifs que ceux ayant motivé le refus d'autorisation du licenciement par le ministre du travail le 7 février 2020, à savoir l'inaptitude et l'impossibilité de reclassement de la salariée, et que l'employeur n'avait pas tenu compte des deux décisions de l'autorité administrative qui s'imposaient à lui.
11. La cour d'appel, qui a ainsi fait ressortir un détournement de la procédure de protection, en a exactement déduit que le licenciement constituait un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser par la réintégration de la salariée dans son poste ou dans un poste équivalent.
12. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.
PAR CES MOTIFS, la Cour :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne l'association Croix Marine de la Réunion aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par l'association Croix Marine de la Réunion et la condamne à payer à Mme [I], épouse [U], la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-deux mars deux mille vingt-trois.
Photo : BillionPhotos.com - stock.adobe.com.
Pour vous accompagner juridiquement, des avocats :
75007 - MAÎTRE DE BOISSIEU OLIVIER https://www.droit-penal-des-affaires-paris.com