La Cour de cassation vient de rappeler que c’est à l’employeur de prouver que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage d’un salarié lanceur d’alerte.
[…]
1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 16 septembre 2021), rendu en matière de référé, Mme [E] a été engagée, le 1er septembre 2014, par la société Thales en qualité de responsable de la transformation des infrastructures centrales. Dans le cadre d'une mobilité interne, elle a été engagée, à compter du 1er juillet 2017, par la société Thales SIX GTS France en qualité de responsable du département offres et projets export.
2. Le 24 mars 2019, la salariée a saisi le comité d'éthique du groupe pour signaler des faits susceptibles d'être qualifiés de corruption, mettant en cause l'un de ses anciens collaborateurs et son employeur. Le 7 octobre 2019, elle a informé le comité d'éthique de la situation de harcèlement dont elle estimait faire l'objet à la suite de cette alerte.
3. Le 20 février 2020, le comité d'éthique a conclu à l'absence de situation contraire aux règles et principes éthiques.
4. Par courrier du 13 mars 2020, l'employeur a convoqué la salariée à un entretien préalable puis, par courrier du 27 mai 2020, lui a notifié son licenciement.
5. Le 30 juillet 2020, la salariée a saisi la formation des référés de la juridiction prud'homale afin principalement que soit constatée la nullité de son licenciement, intervenu en violation des dispositions protectrices des lanceurs d'alerte.
6. Le syndicat SPIC UNSA (le syndicat) puis l'association Maison des lanceurs d'alerte (l'association) sont intervenus volontairement à l'instance.
7. Le Défenseur des droits a déposé des observations devant la Cour de cassation.
8. La salariée, l'association et le syndicat font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle « a dit que les pièces et moyens de droit fournis par la salariée n'ont pas permis d'établir et de démontrer un lien évident et non équivoque de cause à effet entre le fait d'avoir lancé une alerte et le licenciement pour cause réelle et sérieuse, que les représailles envers la salariée n'étaient pas davantage établies [en sorte] qu'il n'y avait pas eu violation du statut protecteur prévu par les dispositions de l'article L. 1132-3-3 du code du travail », de dire que « l'appréciation du motif de licenciement de la salariée relevait exclusivement des juges du fond » et, en conséquence, de les débouter de leurs demandes tendant, pour la salariée, à ce qu'il soit jugé que son licenciement était nul en application de l'article L. 1132-4 du code du travail, que sa réintégration soit ordonnée et que la société Thales soit condamnée au paiement des salaires qui auraient dû lui être versés entre la fin de son préavis et sa réintégration, au paiement de la prime sur l'exercice 2019 et à une somme à titre de provision sur dommages-intérêts résultant du préjudice moral lié au licenciement discriminatoire, pour le syndicat, de sa demande tendant à ce que la société Thales soit condamnée à lui verser une somme à titre de dommages-intérêts provisionnels sur le fondement de l'article L. 2132-3 du code du travail et pour l'association, de ses demandes similaires à celle de la salariée et de sa demande tendant à ce que la société Thales soit condamnée à lui verser une somme sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, alors :
« 1°/ que le juge des référés auquel il appartient, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue le licenciement d'un salarié en raison de son statut de lanceur d'alerte, doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, et dans l'affirmative, rechercher si l'employeur apporte des éléments objectifs de nature à justifier que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à l'alerte de l'intéressé ; qu'en affirmant, pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que son licenciement soit jugé nul comme résultant de l'alerte qu'elle avait émise, que l'examen de la cause réelle et sérieuse du licenciement relevait des juges du fond, après avoir pourtant considéré que la salariée avait le statut de lanceur d'alerte au sens de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, de sorte qu'il lui appartenait de rechercher si le licenciement était justifié par des éléments objectifs étrangers à cette alerte et ce faisant, reposait sur une cause réelle et sérieuse, la cour d'appel a violé l'article R. 1455-6 du code du travail, ensemble les articles L. 1132-3-3 et L. 1132-4 du code du travail ;
2°/ qu'en retenant, pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que son licenciement soit annulé comme résultant de son statut de lanceur d'alerte, que l'appréciation de la cause réelle et sérieuse de son licenciement relevait de la compétence exclusive des juges du fond, la cour d'appel, qui l'a privée d'une protection effective contre les discriminations, a violé les articles 6, § 1, 10 et 14 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble l'article R. 1455-6 du code du travail ;
3°/ qu'en application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, en cas de litige relatif à un salarié qui a lancé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressé ; qu'en l'espèce, en affirmant que "si le conseil de prud'hommes ne pouvait s'appuyer exclusivement sur les pièces produites par la salariée pour exclure l'existence d'un lien manifeste entre la qualité de lanceur d'alerte et le licenciement, la cour, sur la base des éléments objectifs produits par l'employeur, aboutit à la même conclusion", après avoir pourtant affirmé que l'examen de la cause réelle et sérieuse du licenciement relevait des juges du fond et s'être bornée à examiner les mesures de représailles antérieures au licenciement, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a derechef violé les articles L. 1132-3-3 du code du travail et R. 1455-6 du code du travail ;
4°/ qu'en application de l'article L. 1132-3-3 du code du travail, en cas de litige relatif à un salarié qui a lancé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dès lors que la personne présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'elle a signalé une alerte dans le respect des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à la partie défenderesse, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration de l'intéressé ; qu'en affirmant, pour débouter la salariée de sa demande tendant à ce que son licenciement soit annulé car résultant de son statut de lanceur d'alerte, que la lettre de licenciement ne vise que des griefs portant sur le travail de la salariée et qu'il n'existerait pas de lien manifeste entre la qualité de lanceur d'alerte et le licenciement, alors qu'il n'appartenait pas à la salariée d'établir l'existence d'un lien manifeste entre son licenciement et son signalement mais à l'employeur d'établir que le licenciement de la salariée était fondé sur des éléments objectifs étrangers à son alerte, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article R 1455-6 du code du travail. »
Vu les articles L. 1132-3-3 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2022-401 du 21 mars 2022, L. 1132-4 et R. 1455-6 du même code :
9. Selon le premier de ces textes, aucun salarié ne peut être sanctionné, licencié ou faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime dont il aurait eu connaissance dans l'exercice de ses fonctions ou pour avoir signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. En cas de litige relatif à l'application de ces dispositions, dès lors que le salarié présente des éléments de fait qui permettent de présumer qu'il a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée, il incombe à l'employeur, au vu des éléments, de prouver que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressé.
10. Aux termes du deuxième de ces textes, toute disposition ou tout acte pris à l'égard d'un salarié en méconnaissance de ces dispositions est nul.
11. Il résulte du dernier de ces textes que le juge des référés, auquel il appartient, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue la rupture d'un contrat de travail consécutive au signalement d'une alerte, doit apprécier si les éléments qui lui sont soumis permettent de présumer que le salarié a relaté ou témoigné de bonne foi de faits constitutifs d'un délit ou d'un crime, ou qu'il a signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 précitée et, dans l'affirmative, de rechercher si l'employeur rapporte la preuve que sa décision de licencier est justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de ce salarié.
12. Pour dire n'y avoir lieu à référé, l'arrêt relève qu'aucun élément ne permet de remettre en cause la bonne foi de la salariée à l'occasion des alertes données successivement à sa hiérarchie puis au comité d'éthique du groupe et en déduit, sur le fondement des articles 6 et 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, la qualité de lanceur d'alerte de l'intéressée.
13. L'arrêt retient, d'abord, que le lien entre la réelle détérioration de la relation de travail et l'alerte donnée par la salariée ne ressort pas, de façon manifeste, des évaluations professionnelles de celle-ci et que l'employeur, qui n'a pas eu la volonté d'éluder les termes de l'alerte, apporte un certain nombre d'éléments objectifs afin d'expliciter les faits présentés par la salariée comme étant constitutifs de représailles.
14. Il énonce, ensuite, après avoir constaté que la lettre de licenciement déclinait des griefs portant exclusivement sur le travail de la salariée, que l'examen du caractère réel et sérieux de tels griefs relève du juge du fond.
15. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté que la salariée présentait des éléments permettant de présumer qu'elle avait signalé une alerte dans le respect des articles 6 à 8 de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016, en sorte qu'il lui appartenait de rechercher si l'employeur rapportait la preuve que sa décision de licencier était justifiée par des éléments objectifs étrangers à la déclaration ou au témoignage de l'intéressée, la cour d'appel a violé les textes susvisés.
16. La cassation prononcée sur le premier moyen rend sans objet le second moyen, le grief de harcèlement moral ne venant à l'appui d'aucune demande distincte mais ayant été présenté comme le second fondement des demandes au titre de la nullité du licenciement.
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il rejette la demande de nullité de l'ordonnance et la fin de non recevoir, l'arrêt rendu le 16 septembre 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Versailles ;
Remet, sauf sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Versailles autrement composée ;
Condamne la société Thales six GTS France aux dépens ;
En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Thales six GTS France et la condamne à payer à Mme [E], au syndicat SPIC UNSA et à l'association Maison des lanceurs d'alerte la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille vingt-trois.
Photo : ALDECAstudio - stock.adobe.com.
Pour vous accompagner juridiquement, des avocats :
75007 - MAÎTRE DE BOISSIEU OLIVIER https://www.droit-penal-des-affaires-paris.com