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Les survivants


Samuel part s’isoler dans son chalet au coeur des Alpes italiennes. Une nuit, une jeune femme se réfugie chez lui, piégée par la neige. Elle est afghane et veut traverser la montagne pour rejoindre la France. Samuel ne veut pas d’ennuis mais, devant sa détresse, décide de l’aider. Il est alors loin de se douter qu’au-delà de l’hostilité de la nature, c’est celle des hommes qu’ils devront affronter…

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Entretien avec le réalisateur, Guillaume Renusson

Les Survivants est votre premier long métrage. D’où venez-vous, quel est votre parcours de cinéma ?
Je suis de la Sarthe. Enfant j’allais au CGR, le multiplexe de la ville. J’allais voir les grosses productions, les films évènements… C’est en grandissant que j’ai fait des découvertes personnelles, qui m’ont permis de réaliser que le cinéma pouvait être autre chose. J’ai grandi dans un rapport très fort à la salle, c’est un endroit où je me sentais protégé. Quand les lumières s’éteignaient, je ressentais un vertige. L’autre chose qui m’a marqué, c’est le moment du générique. En voyant ces successions de noms, j’ai l’impression d’avoir compris assez tôt qu’une multitude des gens travaillaient sur un même film. Je me disais qu’il y avait quelque chose de très concret derrière, ça me faisait dans le même temps fantasmer.

Quand avez-vous pensé à en faire votre métier ?
Le cinéma en tant que métier, c’était très lointain. Mon père travaillait dans les assurances, ma mère dans la banque… J’ai fait des études de lettres, de sciences politiques, et je suis arrivé à Paris en 2013 pour faire un master d’écriture audiovisuelle. J’ai alors remporté le Mobile Film Festival : BNP Paribas attribuait 15 000 € à l’heureux vainqueur et j’ai pu faire un premier court métrage produit en 2014. J’en ai fait un autre en 2015, j’ai eu la chance de voyager en festivals, de rencontrer du monde. Un jour, Laurent Grégoire a vu un de mes films et m’a proposé de rentrer dans son agence, chez Adéquat. J’ai cru halluciner. C’est lui qui m’a présenté Frédéric Jouve des Films Velvet.

Quel a été le point de départ du film ? L’imagination pure, un article de presse ou un reportage télé, des choses observées, vécues ?
Quand j’étais étudiant, j’ai accompagné une famille qui venait d’Angola, une mère et ses deux enfants. Le père était décédé. Je me suis occupé de leurs démarches administratives et j’ai accompagné les enfants en soutien scolaire. À Paris, j’étais dans une association où je faisais des courts-métrages avec des exilés. J’ai été frappé de voir que la dynamique du deuil telle qu’on la connaît s’apparentait au deuil de leur pays. Avec Clément Peny, mon co-scénariste, on a un jour imaginé une scène : un homme donnant la carte d’identité de sa femme décédée à une réfugiée pour lui permettre d’essayer de passer une frontière. Il y avait selon moi la concentration de plein d’enjeux, à la fois sociaux, politiques, intimes… Je crois que c’est pour cette scène que j’ai fait ce film, elle a toujours été là, le scénario a été construit autour d’elle.

Le début du film s’organise sur un montage alterné entre une femme migrante pourchassée (Zar Amir Ebrahimi) et Samuel (Denis Ménochet), dont on comprend vite qu’il survit à la perte de sa femme. Il part dans un chalet en haute montagne, non pour sauver une migrante mais pour s’isoler. Qu’a-t-il en tête à ce moment-là ? 
Peut-être des idées noires, suicidaires. Il a en tous cas besoin d’être seul, de faire le point, de ranger ce chalet… Dans la rencontre de ces deux personnages, Samuel est à l’arrêt dans sa vie, isolé, statique, alors que Chehreh est en fuite, en mouvement incessant, arrachée à son pays. Pour elle, c’est l’histoire d’un retour impossible, pour lui, d’un retour possible. Elle le remet en mouvement. Il la sauve, mais il est aussi sauvé par elle. D’où le titre Les Survivants. S’il annonce en partie le genre survival, il caractérise aussi les personnages : ce n’est pas tant qu’ils vont survivre, c’est qu’ils sont déjà en survie quand le film commence.

On peut se dire que Samuel aide cette femme par générosité, mais aussi plus égoïstement pour lui. Elle lui offre l’occasion d’agir, de sortir de sa dépression.
Complètement. Je voulais surtout éviter le cliché du raciste qui change d’opinion. Je souhaitais toujours rester dans cette dimension intime qui consiste à surmonter son deuil. Quand le trio menace d’embarquer cette femme, ça devient personnel pour lui, il ne peut pas la laisser partir.

Il y a d’ailleurs une scène forte à ce sujet : quand il la déshabille pour la réchauffer et la sauver, elle croit qu’il veut la violer. 
Cette scène était cruciale car c’est le moment où Samuel et Chehreh se reconnaissent dans leur drame. Les Survivants est un film de duo où l’on raconte la rencontre de deux personnages qui se méfient l’un de l’autre, obligés de s’apprivoiser mutuellement parce que traqués. Je tenais à ce que cette confiance passe par un acte et non par une discussion, dans un moment cru, brutal.

On sent votre désir de filmer la montagne, les espaces, la nature, la météo… Comment s’est passée votre collaboration avec Pierre MaïllisLaval, votre chef opérateur ? 
On a commencé à tourner en mars 2020. Le 16 mars : confinement, arrêt du tournage. Je me retrouve à dire à quarante personnes que c’est fini. On a été arrêtés dix mois. J’avais un autre chef-opérateur lors de cette première session qui n’a pas pu reprendre... Il a donc fallu repenser l’équipe image. On m’a parlé de la caméra B de Julien Poupard : Pierre. Il vient du documentaire, c’est un gars bourré d’énergie, qui a fait un super travail. On ne voit pas les dix mois d’interruption. En janvier 2021, le premier « action » de reprise était bouleversant de solidarité. Ce film s’est fait avec une très forte envie collective.

La musique, très marquante, est signée Rob.
Je savais que la musique allait porter le film et souligner son genre. Rob l’a vu sans musique et il a accepté de le faire. Notre relation de travail a été incroyable. Je trouve intéressant d’avoir de la musique électro sur les scènes de traque, c’était son idée pour moderniser le western. Mais il y a aussi de grands thèmes plus classiques, avec des cordes. La musique de film est essentielle pour moi. Mon chemin vers le cinéma est en partie passé par elle. Je suis très reconnaissant envers Rob d’avoir des thèmes de cette qualité-là. Je trouve que ça a hissé le film.

Drame de Guillaume Renusson. 7 nominations au Festival du Film Francophone d'Angoulême 2022 (édition 15). 3,6 étoiles sur AlloCiné.

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