Depuis des générations, les Solé passent leurs étés à cueillir des pêches dans leur exploitation à Alcarràs, un petit village de Catalogne. Mais la récolte de cette année pourrait bien être la dernière car ils sont menacés d’expulsion. Le propriétaire du terrain a de nouveaux projets : couper les pêchers et installer des panneaux solaires. Confrontée à un avenir incertain, la grande famille, habituellement si unie, se déchire et risque de perdre tout ce qui faisait sa force...
Comment vous est venue l’idée du film ?
Mes oncles cultivent des pêches à Alcarràs. Ils le faisaient auparavant avec mon grand-père, mais ce dernier est mort il y a quelques années. J’ai passé toutes les fêtes de Noël et toutes mes vacances d’été dans leur propriété. Soudain, j’ai ressenti le besoin de montrer cet endroit, cette lumière, les arbres et les champs, les gens, leurs visages, la difficulté de leur travail, la chaleur écrasante de l’été… Je trouve ce mariage tellement cinégénique ! Ma grande famille est ma toute première source d’inspiration. Elle est une source intarissable d’histoires à raconter. Nous nous réunissons très souvent avec mes grands-parents, mes parents, mes oncles et tantes, mes cousins, mes frères et sœurs…
J’ai toujours été très entourée. J’ai réalisé un film choral, car je souhaitais montrer ce que cela représente de faire partie d’une grande famille. Les répliques qui fusent, les énergies qui se confrontent, le chaos ambiant, les petits gestes qui en disent long, les émotions qui entraînent des réactions en chaîne… Les gens peuvent avoir des intérêts divergents, mais ils doivent trouver une façon de vivre ensemble.
Nos Soleils résonne comme un film militant…
Le film est une réflexion sur l’agriculture aujourd’hui. Nous sommes nombreux à penser que la terre devrait appartenir à ceux qui la cultivent. Les Solé exploitent ces champs depuis de longues années, mais ils le font sur la base d’un accord informel établi avec le propriétaire durant la guerre d’Espagne. Un accord verbal n’a pas valeur de contrat, et le nouveau propriétaire exige qu’ils partent. Combien de temps la tradition et le changement vont-ils pouvoir coexister sur ces terres ? L’histoire de la famille Solé se déroule à une époque où ce genre d’agriculture n’est plus viable. De grands groupes rachètent les terrains pour les cultiver de façon intensive, le prix bas des fruits les incite à remplacer les arbres fruitiers par des productions plus rentables, et les jeunes arboriculteurs se voient contraints d’abandonner leur maison et de chercher un autre travail. Les modèles sont en train de changer, le monde tel que nous le connaissions disparaît peu à peu, et notre film est un hommage nostalgique aux dernières familles d’agriculteurs qui résistent encore. Malgré les mauvais présages, j’espère que l’agriculture écologique marquera le début d’un avenir radieux pour ceux qui veulent continuer à cultiver la terre en petits groupes.
Le film est aussi une réflexion sur le manque de communication au sein des familles, et sur le fait que parfois, tout serait plus facile si nous disions tout haut ce que nous pensons et ressentons. Je considère souvent Nos Soleils comme un film d’action. Il n’y a ni explosions, ni fusillades, ni effets spéciaux spectaculaires, mais les personnages sont pris dans un tourbillon d’émotions qui ébranle leurs relations.
Pourquoi avez-vous choisi de travailler avec des acteurs non professionnels ?
Je recherche toujours le naturalisme chez les acteurs. Je pense que plus un acteur est proche de son personnage, plus il sera convaincant. Je voulais que mon film soit interprété par des agriculteurs qui travaillent la terre, qui comprennent ce que cela signifie de la perdre. La plupart des gens dans la région d’Alcarràs sont eux-mêmes paysans ou viennent de familles d’agriculteurs. J’étais certaine de pouvoir trouver de bons acteurs parmi eux. En plus, il y a des enfants et des adolescents dans le film, et pour moi, les enfants sont des acteurs-nés.
Sans oublier que les habitants de cette région de l’Espagne parlent un dialecte catalan très spécifique. Il n’y a pas beaucoup d’acteurs originaires de cette région, et pour la représenter fidèlement, il était crucial de respecter ce langage.
Pour trouver nos acteurs, nous avons écumé toutes les fêtes de villages (c’était avant le Covid) et invité tous les candidats potentiels à participer aux auditions. Nous avons vu plus de 9000 personnes. J’espérais engager les membres d’une même famille, mais cela ne s’est pas fait. Les membres de la famille Solé viennent de villages différents. Nous avons passé beaucoup de temps ensemble, nous avons improvisé des scènes pour nourrir leurs relations.
En quoi l’histoire de votre film est-elle universelle ?
Nous avons tous une famille, nous pouvons tous nous identifier à des histoires comme celle-ci. En fin de compte, on ne choisit pas sa famille, on en fait partie dès la naissance. C’est pourquoi les relations familiales sont tellement profondes et complexes, tellement pleines de contradictions et en même temps incontournables. De plus, l’agriculture est un sujet qui nous affecte tous ; chaque jour, nous la retrouvons dans nos assiettes. Nous devrions tous nous demander qui fabrique notre nourriture, et de quelle façon. Structurellement, le remplacement de l’agriculture traditionnelle par l’industrie agroalimentaire est un phénomène mondial.
Drame de Carla Simòn. Berlinale 2022 (édition 72) 1 prix et 8 nominations. 3,9 étoiles sur AlloCiné.