Catherine et Oracio sont conseillers immobiliers et enchaînent les visites de deux biens : une grande maison bourgeoise « piscinable, vue RER », et un petit appartement moderne situé en plein triangle d'or de Bougival. Malgré des visites agitées, ils ne perdent pas de vue leur objectif : provoquer le coup de cœur chez les potentiels acheteurs, le vrai, l’unique qui leur fera oublier tous les défauts. Celui qui leur fera dire « Wahou ! »
D’où est née l’idée du film ?
C’est un projet que j’avais depuis longtemps. Il s’est longtemps appelé « Nos maisons ». Il y a des années, j’avais fait visiter l’endroit où je vivais alors et j’avais été heurté par les réactions de certains clients- un type, notamment, qui pensait à voix haute aux travaux qu’il allait effectuer en cognant sur les parois – « On va abattre ce mur »s’esclaffait-il. « Cette cloison-là, on la vire, etc. » Il remettait simplement en cause, devant moi, mon mode de vie.
C’est très révélateur, la visite d’une maison, du côté des acheteurs comme de celui des vendeurs. On entre dans l’intimité des gens. Cela peut être insupportable : parfois c’est triste et d’autres fois ça peut être bouleversant. A l’époque, j’avais trouvé que c’était un dispositif qui permettait de raconter beaucoup de choses.
L’un des fils conducteurs, ce sont ces deux conseillers immobiliers, Catherine et Oracio qu’accompagne avec zèle, Jim, leur stagiaire.
Bien qu’ils n’aient pas la même approche – l’une est une vraie professionnelle mais vient d’être frappée par la mort de son compagnon ; l’autre est arrivé dans le métier par nécessité économique- ils se retrouvent malgré eux dans une position de psys. Déjà dans LIBERTEOLERON, Jacques Monot s’adressait au vendeur de bateaux comme si c’était un médecin. Dans l’immobilier, cela va loin. Une conseillère avec qui j’ai parlé pour le film me disait que les gens se confiaient à elle d’une façon incroyable, au point de lui livrer des secrets de famille jamais révélés jusque-là. Ils lui racontent « leur projet », comme on dit maintenant. Et, comme dans le film, cela peut sceller un couple ou, au contraire, le déstabiliser complètement si les désirs divergent. Acheter une maison, un appartement, en vendre, est souvent un chamboulement où le rationnel a rarement sa place.
Tout va par paires et contraires dans le film : des paires de couples dépareillés, des biens qui n’ont rien à voir ; et même des personnages qui semblent coupés en deux.
Ce film, je l’ai écrit très vite, en un mois, en naviguant à vue et sans souci d’exhaustivité. Je n’ai pas cherché à prendre un panel d’acheteurs ou vendeurs très représentatifs et je n’étais pas non plus dans le souci d’une « arche » dramatique. Je me suis juste polarisé sur cette opposition de l’ancien et du moderne, avec, d’un côté cette très belle maison du XIXème, bruyante, pleine de fêlures ; et de l’autre, cet appartement tout blanc insonorisé, en essayant de faire en sorte que cela travaille à l’intérieur, qu’une scène ne tombe jamais dans la monosémie.
Quand Florence Muller, qui joue l’infirmière, explique au personnage de Karin Viard, que sa mère sera incapable de distinguer la télécommande de la télévision avec celle des stores électriques, Karin commence par en rire puis se rend compte que l’autre en pleure et tout cela n’est pas drôle, cela devient inconfortable, ça travaille. C’est toujours plus intéressant quand le spectateur se confronte au contradictoire. Ici, qu’il y ait des failles dans le neuf et de l’espérance dans l’ancien.
Vous écrivez toujours de cette façon, très rapidement ?
En fait, il y a toujours un temps de gestation assez lent où j’accumule des notes. Mais la phase d’écriture est souvent rapide. Je n’arrive pas à écrire un peu chaque jour, j’ai besoin d’être concentré, à cent pour cent. WAHOU ! a été une expérience particulièrement heureuse : j’étais dans l’urgence, je me suis autorisé la légèreté, une sorte de gratuité, sans chercher du sens ou de la morale. J’ai écrit dans l’ordre du film. J’entrais dans les scènes sans savoir comment je les finirai ; Les personnages s’invitaient dans mon histoire, je n’avais pas de programme. C’est une expérience que j’aimerais reproduire.
Pourquoi une telle urgence ?
Le film que je devais tourner il y a un an – et que je démarre en ce moment – a dû être reporté ; il me fallait attendre que les comédiens soient libres. J’avais du temps, Pascal Caucheteux mon producteur, m’a proposé de tourner un film « plus simple » en attendant. Je lui ai proposé plusieurs idées et nous en avons choisi une possible dans nos délais. Aubaine : j’avais à ma disposition une maison que je connaissais bien et qui allait être bientôt mise en vente. Ça a été un incroyable concours de circonstance. Et une vraie course contre la montre. Le film devait se tourner rapidement ou je perdais le principal décor.
La mise en scène est très imprégnée par cette dualité évoquée plus haut.
Pour les scènes de l’appartement, les comédiens n’avaient aucun point d’appui, ni objet ni siège pour se donner une contenance. Ils se trouvaient en carafe comme on dit. Ça me plaisait beaucoup. J’avais, du coup une bonne liberté de filmage, dans cette lumière blanche, cela me permettait de valoriser les détails – un vêtement, une scène étrange, comme celle, par exemple, où mon frère Denis traverse plutôt qu’il ne visite l’appartement avec sa mine contrariée et son silence. Cela valorise la lumière : Roschdy Zem, passe de la pénombre à la clarté en imaginant qu’il puisse être bientôt grand-père. La maison m’offrait évidemment un éventail de choix plus large : ces grandes fenêtres un peu en cinémascope, ces arrivées de jour, cet escalier… Le décor structurait nos plans. J’ai tenu à systématiser les arrivées et les sorties en filmant à chaque fois la route en longues focales, un peu comme un plateau de théâtre où les personnages arriveraient par le fond, au centre. On les voit arriver avec des véhicules différents : voitures, vélo, vélo électrique, scooter, skate. J’ai filmé cela comme des ouvertures et des fermetures, pour scander le film.
Le montage a-t-il été étape difficile ?
J’avais mal vécu l’expérience de BANCS PUBLICS, qui était, lui aussi, constitué de scènes assez indépendantes mais imbriquées tout de même. J’appréhendais d’autant cette étape que le montage de BANCS PUBLICS avait duré un an, que je m’y étais perdu en voulant tout chambouler, gommant son chapitrage, et surtout en coupant trop. A l’arrivée, le film aurait dû être plus long, assumer son déploiement et afficher sa structure. On a souvent envie de tout reconsidérer au montage pour voir si le film résiste. Et il m’est arrivé plus d’une fois de faire des circonvolutions avant de revenir à mon intuition première qui est tout simplement le scénario. Ici il est nettement plus court et j’ai ritualisé les « tournés de page » par des photos que j’ai prises des deux lieux.
Un mot sur la musique…
Le piano s’imposait pour ce film et j’en suis ravi car c’est un instrument que j’ai jusque là craint d’utiliser parce que je le trouve très vite mélancolique. Or, c’était justement cette sorte de rêverie que je recherchais pour le film ; des accords en mineur pour un film mineur. Cela a été un plaisir de retrouver Schubert et Bach.
Comédie de Bruno Podalydès. 3,5 étoiles sur AlloCiné.