À la suite de morts suspectes, Inès Léraud, jeune journaliste, décide de s’installer en Bretagne pour enquêter sur le phénomène des algues vertes. À travers ses rencontres, elle découvre la fabrique du silence qui entoure ce désastre écologique et social. Face aux pressions, parviendra-t-elle à faire triompher la vérité ?
La genèse du film
Inès Léraud : Dès la parution de la BD Les Algues vertes, on a eu de nombreuses propositions d’adaptation. L’album a très bien marché, il s’est vendu plus de 130 000 exemplaires, et a fait l’objet de plusieurs traductions à travers le monde. Comme j’avais fait des études de cinéma à Louis Lumière, on m’a souvent proposé d’adapter cette enquête en documentaire. Mais pour moi, seule la fiction était en capacité de bien raconter cette enquête. Contrairement au documentaire qui, à travers des témoignages de protagonistes réels, nous aurait permis de raconter uniquement « ce qu’il s’était passé » le cinéma de fiction, comme la bande-dessinée, permettent de faire vivre le récit au présent, en reconstituant précisément le déroulement des évènements : les accidents, les morts, les réactions des autorités. Or le dossier des algues vertes, crucial et stupéfiant, méritait à mes yeux d’être adapté et diffusé avec cette capacité de résonance qu’a le cinéma de fiction.
Pierre Jolivet : Marc-Antoine Robert et Xavier Rigault, les producteurs avec qui je travaille depuis plusieurs années, m’ont conseillé de lire la BD écrite par Inès. Et effectivement, à la lecture, ça m’a tout de suite plu : le propos est très puissant, l’enquête pointe beaucoup d’éléments, j’ai découvert à quel point il régnait une omerta incroyable derrière cet enjeu de santé publique. Un bon ingrédient pour imaginer un film de cinéma qui reposerait sur deux axes : l’aventure personnelle d’Inès et la découverte hallucinante de cette omerta.
Du roman graphique au film
PJ : Ce qui m’intéressait, c’était aussi tout ce qui se passe derrière la BD, ce qu’elle ne montre pas, c’est-à-dire les conditions de fabrication de cette information, les coulisses. Dans la propre histoire d’Inès, il y a un vrai tournant au moment du décès de Jean-René Auffray, ce joggeur que l’on retrouve mort dans une vasière remplie d’algues vertes, dans la baie de Saint-Brieuc en septembre 2016. A ce moment-là, son travail prend une autre dimension, elle tente de devenir lanceuse d’alerte sur une affaire en cours. De spectatrice, elle devient actrice, elle peut influer sur la réalité. Et c’est ça qui m’a offert la charpente possible d’un récit cinématographique. Mais je sais qu’au départ, Inès était plutôt circonspecte par rapport à cette idée : en tant que journaliste d’investigation, elle a du mal à se voir comme l’héroïne d’un film.
IL : C’est vrai qu’au départ, je n’étais pas forcément prête à ce qu’on s’inspire de ma vie, c’est assez effrayant de se dire que des éléments de son existence vont être figés à tout jamais dans un film. Pierre a su établir de la confiance en me faisant parler pendant des heures de mon expérience de terrain. On a fait plusieurs séances, à Paris, en Bretagne, parfois en visio. Puis on a écrit en mode ping-pong. Il m’envoyait chaque jour quelques pages, que je réécrivais et développais, je reproposais des dialogues à ma façon, et il gardait ce qui lui allait… J’aime beaucoup le cinéma décalé d’Alain Guiraudie, son intérêt pour les zones rurales. Sa façon de trouver de l’insolite et de l’originalité dans des territoires oubliés m’a inspirée durant l’écriture. A vrai dire, je crois que j’ai réussi à écrire sur à peu près tout sauf sur moi-même ! Pierre a dû échanger avec mes proches pour trouver comment dessiner mon personnage, car j’avais du mal, bien malgré moi, à me définir et à me caractériser.
Le casting
PJ : Je connaissais Céline Sallette depuis longtemps, mais je venais de la revoir dans la série Infinity, dans laquelle je l’avais trouvée formidable. J’adore sa présence, la façon dont elle occupe l’espace avec son corps. Cela m’a donné très envie de la filmer. Par chance, elle a tout de suite accroché au scénario, et la rencontre avec Inès s’est très bien passée.
IL : Malgré nos expériences de vie très différentes, on s’est tout de suite comprises, ça a été très fluide entre nous. Nous avons passé plus de 3h ensemble. A l’époque, elle était blonde platine et portait des santiags, j’ai adoré l’idée que le personnage d’Inès ait cette allure rock’n roll… Qu’elle n’a donc pas été ma déception de la voir se teindre en brune pour le tournage !
Le tournage
IL : Je ne m’attendais pas à autant de difficultés. L’histoire des algues vertes appartient à tout le monde, et il est scandaleux qu’elle ne puisse pas être relatée de façon fidèle, dans les décors réels, à cause d’élu.es qui refusent de voir cette réalité en face. Il a fallu mener un vrai combat pour que certains obstacles soient levés. Pendant le tournage, j’ai donc passé presque tout mon temps à parlementer avec des élu.es et avec la presse, pour rouvrir un certain nombre de portes. Cela s’est fait avec l’aide de beaucoup d’habitants et d’élu.es, et au final, ça plutôt bien marché !
PJ : Inès a été très précieuse sur le tournage, elle était beaucoup plus que notre conseillère technique. Elle était comme un « passeport », étant donné qu’elle est très respectée par tous ceux avec qui elle a travaillé. Pour elle, c’était assez étrange : tourner dans la vraie maison où elle a vécu avec sa compagne, avec de vrais dialogues qu’elles ont pu avoir… Plein de fois, elle m’a raconté que c’était une expérience très particulière.
Un film engagé ? La fin d’un monde…
IL : J’espère que le film pourra contribuer à une connaissance plus large du phénomène des algues vertes, et du fonctionnement de l’agriculture industrielle. Dans cette histoire, les agricultrices et agriculteurs ne sont que des pions, au détriment desquels d’immenses richesses se créent, dans leur dos. Je voudrais que le plus possible d’entre elles et eux voient ce film !
PJ : Le grand « avantage » des algues vertes, c’est que c’est particulièrement visible – contrairement à la pollution de l’air ou à l’émission de gaz à effet de serre, par exemple. C’est d’ailleurs tout l’enjeu de la première scène du film, je cherchais un générique qui frappe d’entrée, avec un long cadrage sur ces étendues d’algues vertes. Histoire de nous rappeler que c’est bien là, juste devant nos yeux, que c’est organique. Et c’est ce qui fait d’autant plus la force du sujet : en face de quelque chose qui se voit, il y a une omerta pour faire comme si ça n’existait pas…
Drame, thriller de Pierre Jolivet. 1 nomination au Festival du Cinéma et Musique de Film de la Baule 2023 (édition 9). ,6 étoiles sur AlloCiné.