Dans une maison isolée au milieu d’une plaine d’Iran, un homme vit seul avec son fils alité. Un jour, le transformateur de la maison tombe en panne. Un électricien vient pour le réparer. Une pièce manque, il part à sa recherche qui sera semée de rencontres et d’obstacles…
Que signifie DERB, le titre original de votre film ?
Derb dans la langue de ma région signifie « sol dur ». Dans le film, le gagne-pain du père, c’est d’aller gratter dans le sol de la montagne pour recueillir une substance médicinale traditionnelle.
Le film se focalise sur le personnage du père et celui de l’électricien (joué par vous-même). Tous les deux sont d’une patience et d’une persévérance inouïe. Le père pour faire revenir de l’électricité chez lui doit parcourir un long chemin avant de trouver un électricien. Ensuite c’est l’électricien qui doit à son tour parcourir la plaine pour aller chercher la pièce qui lui manque pour réparer le transformateur. Chez les deux hommes on trouve la même dignité et le même sens de responsabilité.
En faisant ce film, j’ai souhaité montrer la dignité des habitants de cette région, malgré tous les problèmes et les difficultés qu’ils affrontent. Ce qui m’intéressait c’était d’approcher ces gens simples, solidaires et qui vivent dans la simplicité de la nature. Ce film est pour moi le film plus important que j’ai réalisé.
L’élément qui relie ces deux personnages, c’est l’électricité. Pourquoi avoir choisi cet élément ?
L’électricité peut être considérée comme le moyen de communiquer pour cet homme qui vit dans un endroit isolé.
Ce film met en valeur la beauté sauvage de cette région d’Iran et la vie simple de ses habitants. Le style de mise en scène me rappelle celle d’Abbas Kiarostami, proche du cinéma documentaire. Est-ce qu’on peut dire que vous êtes influencé par lui ?
J’aime beaucoup Kiarostami, dont la grande valeur artistique et le regard humaniste n’ont pas été suffisamment reconnus en Iran de son vivant. Pour moi, c’est un maître qui a des choses à dire humainement, qui montre la société iranienne avec intelligence et sans slogan. Il a un style qui lui est propre. A part lui, je voudrais signaler aussi un autre maître dans le cinéma iranien qui est Sohrab Shahid Saless (l’auteur de Un simple évènement et Nature morte) pour qui j’ai beaucoup d’estime et de respect.
Comme dans vos films précédents tels que Memiro (Immortel), vous suivez votre propre style, la simplicité, et le naturel, inspiré de la région où vous êtes né et avez vécu longtemps. Racontez-nous votre parcours.
Je suis né à Dehdasht, dans le sud-ouest de l’Iran, en 1979. J’ai étudié la mécanique automobile. À 23 ans, je suis parti à Téhéran pour étudier le cinéma. J’ai débuté ma carrière artistique en 1990 en tant qu’acteur et metteur en scène de théâtre, et en 2000 pour la télévision en tant qu’acteur, concepteur. J’ai été l’assistant de différents réalisateurs. J’ai regardé beaucoup de films, et lu aussi des livres sur le cinéma.
Mais bien avant que je réalise des films, j’avais en tête une méthode de travail cinématographique personnelle. Je voyais le cinéma dans un style tranquille, et très lent, bien sûr je n’avais pas encore vu les œuvres des cinéastes tels qu’Andreï Tarkovski, Krzysztof Kieslowski, Abbas Kiarostami, Shahid Saless, etc. Ce que j’entends par lenteur d’un film, c’est que je pense que celleci doit être au service de la vie et de son rythme. En fait, j’ai passé ma jeunesse dans une région rurale. Le mode de vie des gens de ce lieu où j’ai grandi et aussi les effets de l’environnement sur leur travail, m’ont imprégné et m’ont donné plus tard cette nostalgie de l’adolescence. Ceux-ci font partie intégrante de moi.
Pratiquement tous les titres de vos films sont en langue locale. Pourquoi ? Ils n’ont pas d’équivalent en persan ?
Je préfère choisir les titres en Lori (la langue de sa région, NDT), je veux mettre l’accent sur la préservation de son authenticité, de la culture, de la langue de cette région. À mon avis il faut respecter son existence. Pour le choix des endroits de tournage, je fais de même. Je choisis les lieux où se déroulent vraiment les histoires que je raconte. Comme ça, tout est cohérent.
On peut dire que cela porte une signature dans vos films. Le thème principal de MEMIRO est la mort, au contraire dans DERB, la vie, l’énergie et de l’espoir sont au cœur du film, n’est-ce pas ?
Je ne suis pas tout à fait d’accord. DERB parle à la fois de la mort et de la vie.
Mais dans DERB, il y a beaucoup plus de vie car le personnage principal, qui est handicapé, part seul chercher de la lumière, (électricité), de l’énergie, symbole de vie, pour continuer à vivre, et il traverse de nombreux chemins avec beaucoup de persévérance. Deux des personnages du film sont physiquement handicapés, l’un est paraplégique et un autre est aveugle. Mais l’aveugle veut absolument se déplacer pour apporter des fleurs à son amoureuse dans la plaine. Ces deux-là manifestent beaucoup plus d’espoir pour la vie que les personnes qui sont en bonne santé physique.
Je préfère faire des films moins sur les adversités que sur les aspects positifs de la vie. Je n’avais pas pensé aux éléments que vous avez mentionnés. Quant à savoir d’où je puise l’inspiration pour les « idées » de mes films, je préfère parler de « mes souvenirs » plutôt que d’utiliser le mot « idée ». Je m’en inspire. Par exemple pour DERB, j’avais rencontré un homme, un agent du service de l’électricité, Il s’appelait M. Eskandari et j’avais déjà entendu parler de lui. Il aidait avec une immense générosité les habitants dans les régions reculées. Il allait au-delà de son travail officiel et obligatoire ! Il consacrait beaucoup son temps aux gens par ses propres moyens sans demander de salaire supplémentaire.
Étant donné que tous vos films ont un rythme très lent, vous arrive-t-il parfois de vous se soucier de la réception du public de cette méthode de filmer ou non ? Vous demandez-vous si le public va vous suivre ou non ?
Je travaille depuis de nombreuses années sur l’affinité de la forme et du fond, c’est le fond qui fait que la forme émerge. Je pense que DERB est plus rythmé, avec plus de narration, et différent de mes films précédents. Mais je voudrais ajouter que je ne change pas de voie en allant au travail, car cela signifierait que je me suis trompé de chemin.
Drame de Hadi Mohaghegh. 4 étoiles sur AlloCiné.