Le processus de paix

Quand on s’aime mais qu’on ne se supporte plus, qu’est-ce qu’on fait ? Marie et Simon sont profondément amoureux, malgré les disputes constantes dans leur vie de couple. Pour ne pas se séparer, ils se lancent dans une aventure un peu folle: établir une liste de règles qu’ils devront suivre coûte que coûte. Ils l’appellent la charte Universelle des droits du couple.

Entretien avec le réalisateur, Ilan Klipper

Comment et quand l’idée de ce processus de paix est-elle née ? 
D’une question simple et universelle pour quiconque est en couple : comment on fait quand on s’aime et qu’on ne se supporte plus ? Lors d’un rendez-vous au café avec Camille, avec qui j’avais déjà travaillé dans le ciel étoilé au- dessus de ma tête et funambules, elle me confie son envie d’écrire un scénario qui s’appellerait la paix. Elle voulait partir de cette idée que dans un monde déjà assez dur et où tu aspires à un peu de calme en rentrant chez toi, la guerre continue à la maison avec celui ou celle qui partage ta vie ! On était tous les deux en couple, à se poser les mêmes questions. On en a discuté toute la soirée. Puis on a commencé à se revoir régulièrement pour en parler et on s’est lancé dans l’écriture.

Vous teniez l’idée du couple à bout qui cherche une solution mais d’où l’idée de la charte vous est-elle venue ? 
Alors que nous avions commencé à écrire, on a rencontré un ami de Camille à qui on a parlé de notre travail. Il nous a alors raconté sa propre expérience de parent homosexuel: ayant fait appel à Co-parents, un site de rencontres créé au départ pour les gays et les lesbiennes et qui, progressivement, a vu apparaître de plus en plus de femmes quadragénaires en quête elles aussi d’un géniteur. Le tout sans être en couple, ni habiter ensemble. Être co-parents au sens premier du terme. Et le premier truc qu’ils font, c’est d’établir une charte pour poser les règles essentielles de l’éducation. Ça a tout de suite fait tilt en nous. On a d’ailleurs repris tel quel dans le film le moment où il nous a expliqué que la plupart des gens qui font des enfants, portés par leur histoire d’amour, ne réfléchissent pas en amont à comment ils vont les élever. Et quand l’enfant arrive, les problèmes s’accumulent car on se rend soudain concrètement compte que les deux visions sont différentes ! C’est là qu’est née l’idée que notre couple - qu’on voyait comme deux gosses hyper émotifs - essaie de rattraper le coup en tentant d’élaborer eux aussi une charte et de s’y tenir.

Ce sujet pouvait être traité par le prisme de la comédie comme par celui du drame. L’idée de passer par la comédie était-elle présente dès le départ ?
Je n’ai longtemps écrit que des drames. Jusqu’au jour où j’ai commencé à écrire un projet de comédie avec Vincent Dietschy. Celui-ci n’a pas abouti mais pendant toute la phase d’écriture, nous n’avons pas arrêté de nous marrer. Dès lors, je n’ai eu qu’une envie : écrire des comédies pour prendre du plaisir et rendre la vie encore plus joyeuse. Pas pour écrire des blagues mais des situations et des personnages qui nous font dédramatiser, nous font sourire de nos problèmes existentiels. Avec Camille, l’alliance était donc parfaite. Et l’idée de la comédie s’est d’autant plus spontanément imposée pour le processus de paix que je n’avais aucune envie de filmer des embrouilles de couple au premier degré, sans humour. Ça aurait été trop plombant.

Comment les personnages autour du couple que forment Marie et Simon se sont-ils construits ? 
Là encore, par nos échanges. En fait quand tu commences à parler du couple et que tu es « psychanalysé » comme nous le sommes Camille et moi, tu en viens forcément à parler des racines. De l’enfance, du contexte familial, de l’entourage. La mère et la sœur de Simon sont inspirées par mon environnement par exemple, des histoires que ma mère m’a racontées. Ça a d’ailleurs parlé tout de suite à Ariane Ascaride qui joue la mère de Simon. Elle avait quelque chose à dire haut et fort sur ce modèle américain puritain qui viendrait saper des années de combat féministe pour leur liberté et ne pas enfermer des choses dans des cases. Mais ce que j’ai fait avec Ariane, je l’ai fait avec tous mes comédiens : j’ai discuté avec chacun de son rôle en amont pour qu’ils puissent s’y reconnaître, y croire et le défendre.

Comment les avez- vous choisis justement ? Commençons par Damien Bonnard… 
Simon, c’est un gentil, une bonne pâte. Quelqu’un qui veut vraiment que les choses s’améliorent dans son couple et qui est prêt à faire tous les efforts possibles pour ça. Mais Marie est un ouragan qui lui crée une difficulté pour exister. Il se sent vite agressé, il garde même son casque de moto quand il rentre dans leur appartement! Parce qu’il sait que ça va être la guerre. Et, par- delà son talent, Damien possède cette bonhommie maladroite qui caractérise son personnage, avec une énergie qui contraste spontanément avec celle de Camille. Damien était donc le comédien idéal, car c’est quelqu’un qui est toujours un peu empêché, notamment dans sa manière de marmonner. C’est comme si les mots ne pouvaient pas sortir. Or Simon est un personnage qui, depuis toujours, a été empêché par sa famille.

Pourquoi avoir fait appel à Sabrina Seyvecou et Sofian Khammes pour camper la sœur et le beau-frère de Simon ? 
Ce couple forme le contrepoint de celui de Marie et Simon. Il m’a été inspiré par la scène d’ouverture de maris et femmes où le couple formé par Sidney Pollack et Judy Davis annonce à celui formé par Woody Allen et Mia Farrow qu’ils se séparent. Une nouvelle qui fait l’effet d’un coup de tonnerre tant ils semblaient unis pour toujours. La même chose se produit dans le processus de paix où un couple miroir (celui de la sœur) vient déstabiliser Marie et Simon. On s’est régalés à les écrire: ensemble, ils incarnent la pire manière dont on peut être débordé par les enfants et sombrer dans le chaos, pour finalement trouver l’apaisement et le bonheur dans la séparation. Pour les jouer, ça m’intéressait de prendre un acteur comme Sofian qu’on n’imaginerait pas forcément en ce Jérôme, hyper bien peigné, hyper gentil… tout en portant en lui une sorte de colère. Et Sabrina, que j’ai déjà souvent dirigée, est co-autrice de pas mal de ses scènes. Il y a des moments où elle se met à hurler comme une folle, qui nous ont tous surpris quand elle les a joués pour la première fois mais qui donnent une énergie folle aux scènes. L’un comme l’autre sont à la fois très forts dans leur capacité à tenir la ligne dramaturgique tout en sachant créer une forme de vie.

Avec cette fameuse scène où ils débarquent avec leurs enfants chez Simon et Marie et où instantanément le chaos surgit, comme un ouragan qui détruit tout sur son passage…
C’est pour moi une scène charnière. Elle permet la prise de conscience des héros du film. Mon fils, ma fille et mes deux neveux jouent leurs enfants. J’en voulais absolument quatre pour aller à fond dans cette sensation de chaos absolu ! Ça a été dur à jouer car le bordel qu’on voit à l’écran régnait aussi en maître sur le plateau. J’ai laissé les enfants mettre le souk, taper avec les marteaux en plastique et gueuler à leur guise et les comédiens ont donc dû hurler pour essayer de dire leurs textes. C’était quelque chose ! Mais tout est écrit, y compris pour les enfants. Car je n’aime pas l’impro. Il arrive évidemment que les comédiens fassent des propositions pendant les prises. Mais quand elles me séduisent, je ne les prends pas telles quelles. On bosse dessus ensemble pour améliorer les choses au fil des prises.

Romance, comédie dramatique de Ilan Klipper. 3,6 étoiles sur AlloCiné.