Été 2019. Diplômée de Sciences-Po, Madeleine part préparer les oraux de l’ENA en Corse avec son amoureux, Antoine. Au détour d’une petite route déserte, le couple se retrouve impliqué dans une altercation qui tourne au drame. Le secret qui les lie désormais pèsera lourd sur leur future carrière politique…
Y a-t-il un lien entre votre film et le roman de Charles Dickens du même titre ?
C’est ma monteuse, Isabelle Poudevigne, qui me l’a suggéré et j’ai trouvé que ce titre résumait en effet beaucoup de choses du film. Les grandes espérances ce sont celles que Madeleine place en ses idées politiques et le parcours qu’elle se construit. Celles que beaucoup de gens placent en Madeleine. Ce sont enfin celles que nous plaçons tous en une politique qui puisse nous faire accéder à un monde plus juste, plus équitable et plus fraternel.
Le chaos qui gagne vos personnages tient également au fait que leurs mères sont les grandes absentes de votre film, et que les pères y tiennent des positions problématiques. Pourquoi avoir opté pour ce contexte familial en miroir ?
En effet, les personnages des pères fonctionnent en miroir l’un de l’autre. Celui d’Antoine incarne avec un certain cynisme l’ordre établi triomphant et le mépris des faibles. Celui de Madeleine, au contraire est plus fragile et on devine qu’il n’a pas toujours été là pour sa fille. Mais lui va pallier cette défaillance et regagner l’estime et l’amour de sa fille en se portant à son secours. Quant aux mères absentes, je confesse que je n’ai pas beaucoup d’explications valables autres que scénaristiques. Il me plaisait en effet d’imaginer que ce qui avait rapproché Madeleine et Antoine, outre leurs convictions politiques, c’était aussi le fait que leurs mères soient parties.
Comment vous est venue l’idée de cet homme violent, qui évoque le forçat des Grandes espérances de Dickens, et vient entraver la route de vos personnages à la manière du fatum de tragédie antique ?
Elle m’est venue d’un incident en Corse il y a quelques années, qui ressemble à ce qui s’est passé dans le film, en beaucoup moins tragique, heureusement. L’angoisse que j’ai ressentie – extrêmement forte – m’a convaincu que je tenais là un matériau dont je pouvais faire quelque chose. A débuté dès lors, avec mon coscénariste Pierre Erwan Guillaume, toute une réflexion autour de la construction de l’histoire avec, au cœur de l’intrigue, ce fatum qui entrave puis fait dévier les trajectoires de Madeleine et d’Antoine.
Pourquoi la Corse comme toile de fond de cette histoire ?
Au-delà de la fidélité au matériau de départ et de l’amour que j’ai pour les paysages de Corse, je tenais absolument à ce que cette histoire se déroule sur une île. J’aimais l’idée qu’une mer sépare le continent du lieu du crime et que les personnages aient l’espoir que ce qui s’y est passé puisse s’oublier. Et je savais que le ciel et la mer bleus donneraient à l’histoire des allures de tragédie grecque.
Pourquoi avoir choisi Rebecca Marder et Benjamin Lavernhe, tous deux issus de la Comédie-Française, pour incarner ce couple ?
C’est ma directrice de casting, Hoang Xuan-Lan, qui m’a parlé pour la première fois de Rebecca, que je ne connaissais pas. J’ai rapidement senti en la rencontrant qu’elle saurait tirer Madeleine dans le sens de la lumière et qu’elle irait contre la mélancolie dont on parlait tout à l’heure. Il m’importait en effet de ne pas tirer le personnage vers quelque chose de naturaliste et d’un peu gris. Au contraire, je la voulais haute en couleur, surprenante, vibrante, tout en restant crédible dans ses prises de parole publiques et politiques. Rebecca a fait pour cela un vrai travail pour ralentir son débit de parole, qui est naturellement rapide, et poser sa voix et ses mots comme une authentique future énarque. Pour Benjamin, le choix a également été évident. Je savais que le côté très sympathique et accessible qu’il dégage produirait avec la trajectoire d’Antoine quelque chose d’inattendu, voire d’inquiétant, mais aussi de touchant.
Qu’est-ce qui unit le couple que forment Madeleine et Antoine selon vous ?
La politique est la première chose qui les unit. La conviction qu’ils peuvent changer les choses et qu’ils sont à l’aube d’être les acteurs de ce changement. Même si, à la vérité, c’est Madeleine qui a le plus sa foi chevillée au corps et qu’Antoine la soutient davantage qu’il ne la challenge. Ensuite je pense qu’ils se sont reconnus chacun l’un en l’autre et que Madeleine a été touchée par la fragilité d’Antoine et son envie d’échapper à l’emprise de son père et de son milieu. Antoine, quant à lui, a clairement été fasciné par la détermination de Madeleine à bouger les montagnes. Et même s’il n’a pas le même désir profond, ou le même besoin qu’elle, de changer le monde, du moins il l’a suivie dans son élan. Parce qu’il l’aime et ne veut pas la perdre.
Comment avez-vous travaillé le rythme de votre film ?
Le rythme était déjà présent dans le scénario. Il y avait peu de séquences et quasiment pas de gras. De fait, seulement deux petites scènes ont été coupées au montage. Par ailleurs, avec Julien Hirsch, le chef-opérateur, nous avons très tôt décidé de tourner le plus souvent possible en plans-séquences croisés. Ce qui donne au film ce côté fluide et délié. Et ce qui a aussi l’avantage de donner la part belle au jeu des comédiens.
Comment avez-vous écrit vos dialogues ?
En travaillant beaucoup ! J’accorde beaucoup d’importance aux dialogues et je passe énormément de temps à les réécrire et à les polir, jusqu’à ce qu’ils tombent parfaitement « en bouche » et que ça ne sente plus le papier.
Comment avez-vous travaillé la musique de votre film ?
Ce fut un vaste chantier. Et une belle rencontre avec Florencia Di Concilio, qui est une compositrice brillante et… imprévisible ! J’ai également été beaucoup aidé par Isabelle Poudevigne, la monteuse, qui a une très grande capacité – contrairement à moi – à « sentir » la musique dont le film a besoin et où il en a besoin.
Et le montage ?
Pour les raisons que je viens d’évoquer, et aussi parce que cela fait le 3ème troisième long-métrage sur lequel nous travaillons ensemble, Isabelle et moi avons « trouvé » rapidement le film dans sa forme première. Nous avons ensuite passé beaucoup de temps à l’affiner et le rythmer jusqu’à avoir cette sensation que je recherchais : celle d’une fluidité dans le récit.
Drame de Sylvain Desclous. 1 nomination au Festival du Film Francophone d'Angoulème 2022 (édition 15). 3,6 étoiles sur AlloCiné.