Paris, 1985. Vanessa a treize ans lorsqu'elle rencontre Gabriel Matzneff, écrivain quinquagénaire de renom. La jeune adolescente devient l'amante et la muse de cet homme célébré par le monde culturel et politique. Se perdant dans la relation, elle subit de plus en plus violemment l’emprise destructrice que ce prédateur exerce sur elle.
Mon agent et moi étions en train de dîner quand il m’a annoncé qu’il m’avait proposée pour passer le casting du Consentement. Je n’avais encore jamais lu le récit de Vanessa Springora, mais quand il m’en a parlé, j’ai tout de suite senti quelque chose de très fort grandir en moi. Je me suis donc ruée dans une librairie le lendemain matin pour me le procurer. J’ai dû le lire en plusieurs fois, reprendre mon souffle. Mais je ne pouvais pas m’empêcher de continuer ma lecture, tant j’étais bouleversée par les mots choisis de Vanessa Springora. Dans le même temps, j’étais glacée par ce que je lisais. J’ai relu son récit plusieurs fois et j’ai écouté ses interviews, tout en gardant une forme de pudeur et de distance précautionneuse. J’ai préparé le casting de la même façon, minutieusement, j’en respectais chaque virgule. Je comprenais la chance que j’avais de passer l’essai pour ce rôle, tenter de porter cette voix. Bénédicte Guiho, la directrice de casting, était très bienveillante. Ce fut un moment fort, suspendu. Le temps a passé, puis j’ai rencontré Vanessa Filho, après avoir lu son scénario et regardé GUEULE D’ANGE, qui a résonné en moi. Ce fut une rencontre déterminante, un profond coup de cœur professionnel et humain. J’étais intimidée devant autant de passion, d’assiduité extrême, intimidée par sa profondeur, son immense sensibilité et son courage. J’ai éprouvé une vraie nécessité de tourner ce film.
C’était la première fois que je découvrais un scénario en sachant que c’était moi qui étais choisie. Je me suis alors plongée dans chaque scène, chaque mot, dans une subjectivité totale. J’ai été renversée par l’intelligence de l’écriture, la fidélité au texte de Vanessa Springora et des émotions qui en découlaient. Je sentais grandir une immense responsabilité, peut-être était-ce aussi de la peur. Je ne voulais faire ni plus ni moins que ce que Vanessa Springora avait vécu. La palette d’émotions dans ce script était infinie, ce qui était parfois enivrant. Mais j’y ai tout de suite trouvé mon évidence.
Avec Le Consentement, je me suis retrouvée face à quelque chose de beaucoup plus fort et grand que moi. J’ai alors décidé d’abandonner mes repères pour jouer Vanessa. J’éprouvais également le besoin de me placer dans une bulle et de me concentrer uniquement sur le texte, des mois en amont du tournage. Je ne me suis entourée que de mon compagnon, ma meilleure amie et de Vanessa Filho pendant ce temps de préparation, durant lequel j’ai donc travaillé sur le scénario ainsi que sur le texte de Vanessa Springora, que je ne cessais de lire. Les réponses à toutes les questions que je me posais se trouvaient dans ces écrits. Je me suis nourrie de tout, de son enfance à son âge adulte, étape par étape.
Nous nous sommes vues la première fois deux mois avant le tournage. C’était un choc émotionnel, j’ai le sentiment que nous nous sommes tout de suite reconnues. J’étais bouleversée, immédiatement renversée par qui elle était. Nous étions si émues... Vanessa m’a parlé de la confiance qu’elle avait en moi et je lui en suis très reconnaissante. Elle m’a, ce jour-là, donné le courage nécessaire pour que j’ose me lancer. Nous nous sommes revues plusieurs fois par la suite, mais je ne lui ai jamais posé de questions. Nous avons échangé sur quantité d’autres sujets ; elle m’a proposé de l’appeler pendant le tournage si j’en ressentais le besoin. Sa grande bienveillance m’a aidée tout du long à porter son histoire, sa voix.
J’ai travaillé Vanessa à 13 ans de manière progressive. On la découvre lors du dîner où elle rencontre Gabriel Matzneff et c’est sous son regard insistant que chaque pore de sa peau s’éveille alors. Mon interprétation a été pensée comme des feux intérieurs qui s’allument, l’émoi qui grandit, le trouble aussi. Car soudainement, quelqu’un lui dit qu’elle existe, qu’elle peut être femme. J’ai travaillé Vanessa en retrait, alerte et observatrice, en découverte permanente de détails, de mots. La littérature est son refuge. Elle a grandi dans le milieu littéraire et vit ça comme une réelle passion, une chance. Ainsi, un écrivain occupe-t-il la place suprême à ses yeux. Vanessa est alors désormais traversée par un fleuve d’émotions, qui la submerge et l’engloutit.
C’était une question fondamentale, qui s’est posée tout de suite. En répétant mon texte le jour du casting, devant la salle, je me suis surprise à marcher d’une manière flottante sur les pavés, à petit-à-petit me ronger les ongles, sentir mon corps se raidir, mais mes épaules se courber, mes cheveux se placer devant mes yeux comme pour créer une distance. Sur le tournage, dès qu’il fallait que je joue Vanessa à 13 ans, mon regard changeait, s’apaisait. Il a évolué au fil de l’histoire, mais à cet âge-là, c’est comme si Vanessa voyait par l’arrière de ses yeux, ce qui rendait son regard indirect, comme placé derrière un voile. Je me suis aussi rappelé l’époque de mon enfance où certaines dimensions me semblaient plus vastes qu’aujourd’hui. J’ai donc travaillé sur ces variations de perception des échelles, qui diffèrent à mesure que Vanessa grandit.
Sa pose de voix diffère de la mienne. Le temps qu’elle prend entre ce qu’elle reçoit et exprime est pensé, lourd, important. Un léger voile de conscience s’installe dans sa voix, elle sait ce qu’elle exprime lorsqu’elle prend la parole et connaît son adresse. Lorsqu’elle parle à sa mère, son timbre est plus grave, les liaisons sont écorchées, rendant le tout plus nerveux, par opposition à ses échanges avec Matzneff, où elle chercherait presque à être à la hauteur de son interlocuteur. Face à lui, qui est très littéraire, se produit en Vanessa une sorte d’élévation inconsciente, qui modifie la structure de son langage et, donc, de ma voix.
Vanessa chuchotait à mon oreille. Nous nous comprenions souvent par des mouvements, avec peu de mots, comme si elle me confiait des secrets. Sa direction était très intime et sensible, le tout dans un respect des libertés que je me permettais sans doute aussi de prendre. Pour quelques scènes d’errance, je portais une oreillette. Vanessa m’y diffusait du Chopin et me guidait pardessus d’une voix très douce, instinctive. J’avais une confiance aveugle en elle, et n’ai jamais été mise en danger. Sa connaissance implacable du sujet et des émotions qui y étaient associées m’a portée.
Je faisais en sorte de souffler entre les prises. Je riais, je partageais des moments forts avec tous les membres de l’équipe. Néanmoins, il est arrivé que je fasse des cauchemars lors du tournage et que je ressente physiquement des douleurs similaires à celles de mon personnage, comme si mon corps ne comprenait pas le côté artificiel et composé du choc qu’il subissait. Ce fut donc parfois éprouvant, mais lorsque j’ai joué la dernière scène du tournage, j’ai pu faire mes adieux à ce personnage que j’ai tant aimé et j’ai su retrouver tout de suite la joie que je retenais un peu pendant ces mois de travail.
J’aime énormément Jean-Paul. Je n’avais pas peur de nos scènes communes, tant sa bienveillance, son respect et son investissement sur le plateau étaient grands. Nous avons évidemment défini les limites de nos gestes pendant les scènes d’intimité. Je pense que nos consciences respectives des enjeux de ce film et de notre travail nous ont permis de chercher à faire de notre mieux, ensemble. Laetitia est extraordinaire et a été d’une grande bienveillance envers moi. Vanessa Filho nous a fait travailler le rapport mère-fille par le corps, la danse notamment, ce qui nous a permis de nous sentir connectées à des endroits précis. Nous avons pris le temps pendant nos scènes, dans nos silences et fulgurances, d’aller chercher les justes émotions le plus loin possible. Quant à Jean, j’ai été épatée par son jeu. Il a incarné Youri avec un tel élan protecteur que je me suis sentie parfaitement à ma place à ses côtés.
Pour préparer et découper ces scènes en détail, nous nous sommes vus avec Vanessa Filho, Jean-Paul Rouve et Guillaume Schiffman, le chef-opérateur qui m’a tant aidée et protégée. La première scène d’intimité que nous avons tournée était avec Jean Chevalier et j’ai plongé tête baissée dans l’intime pour oublier ce regard extérieur d’autojugement que l’on peut avoir quand on tourne des scènes de ce genre. En plus d’impliquer nos corps, ces scènes étaient émotionnellement très chargées et je voulais tordre le cou au complexe physique d’emblée. L’équipe technique a été d’une absolue bienveillance, gentillesse et douceur d’un bout à l’autre de ce tournage.Tout le monde était si investi que je me suis sentie en connexion avec chaque personne de l’équipe. Ce film est ce que j’ai vécu de plus intense à ce jour.
Je crois que je n’ai plus peur maintenant. Cette expérience m’a apporté beaucoup d’apaisement et je sais à présent que j’aime vraiment passionnément mon métier. Mon exigence de respect envers moi-même et les autres s’est considérablement accentuée depuis. Aujourd’hui, je suis très émue à l’idée que ce film puisse aider, faire appel à une écoute particulière, pointer du doigt l’emprise et remuer les pensées.
Drame de Vanessa Filho. Propos reccueilli par Sandra Cornevaux et Lucie Raoult. 3,5 étoiles Allociné.