Haoui.com

Comme le feu


Jeff, 17 ans, est secrètement amoureux d’Aliocha. Tous deux admirent le mystérieux Blake, un vieil ami du père de la jeune fille, qui les invite à passer quelques jours dans son chalet de chasse au cœur du grand nord canadien. Là, en pleine nature, les deux adolescents se confrontent à un monde d’adultes puérils, prêt à s’embraser.


Entretien avec le réalisateur, Philippe Lesage.

Le point de départ du scénario est assez personnel comme souvent dans vos films…  

Mes films précédents avaient une empreinte fortement autobiographique. Il y a ici un peu plus de distance dans la mesure où je me suis inspiré d'une histoire que mon grand frère, qui est documentariste, a vécu. Lorsque nous étions jeunes, il avait été invité par l'entremise d’amis de mes parents à aller passer une semaine chez un grand cinéaste légendaire au Québec. Je suis parti de cette prémisse pour laisser aller mon imagination, puiser dans mon vécu, et aborder des questions qui m'ont préoccupé à un moment ou un autre de ma vie. Je trouvais intéressant de partir sur la base d'un jeune qui rencontre un adulte pour lequel il a beaucoup d'admiration. Et questionner à partir de cela cette idée du mentor et des modèles. Lorsque j'étais un jeune étudiant, j'ai eu également ce besoin de validation. Parfois, ça a été extrêmement bénéfique, car il n'y a rien de plus enrichissant pour une jeune personne que d'avoir un professeur qui s'intéresse à lui, qui lui donne confiance, par exemple, en l'encourageant à écrire. C'est souvent là que se forment certaines vocations. 

Cette idée de la figure ambiguë du mentor est centrale dans votre film ? 

J’ai toujours pensé qu'il y avait quelque chose d’un peu suspect dans cette idée du « je me reconnais en toi lorsque j'étais jeune », qui n’est au fond qu’une espèce de projection narcissique. Ensuite, je tenais à aborder cet enjeu à travers le prisme d'une mythologie nordaméricaine de la masculinité. Parce qu'à travers Blake, il y a évidemment toutes sortes de figures. Quelques cinéastes québécois, mais aussi un peu d’Hemingway, de John Huston, ou d'un Ingmar Bergman qui vivrait en Amérique et serait passionné de pêche à la mouche ! D'un film à l'autre, j'interroge beaucoup la masculinité. Je suis à vrai dire très critique à l'égard de ce qu'elle représente et nous impose. Grandir, c'est aussi apprendre à s'affranchir de tous les stéréotypes dans lesquels on tente de nous enfermer. Ici, le monde adulte se déploie sous le regard sensible de mes jeunes protagonistes qui ont au départ beaucoup d'attentes. Ils aimeraient être inspirés, écoutés, portés, que ces possibles modèles leur tendent la main. Ce n'est évidemment pas ce qui les attend.

La nature a un rôle prépondérant dans la narration ? 

C'était une occasion de sortir complètement de ma zone de confort urbaine pour transposer le récit dans une nature omniprésente, voire menaçante, d'où l'on ne peut s'échapper. Je ne cacherai pas qu'après trois jours à la campagne, je n'en peux plus, et qu'il y a quelque chose de stimulant à se plonger dans un univers qui nous paraît hostile au préalable. Ici, la nature ne permet pas aux personnages de s'échapper de l'emprise que les uns ont sur les autres. Elle n'offre aucune issue de secours. Cinématographiquement, le huis clos plus radical, quoique parfois réalisé avec virtuosité, ne m'intéressait pas plus. Je tenais d'emblée à ce que la forêt sans fin, ses lacs placides, ses rivières tumultueuses, s'inscrivent totalement dans l'expérience du film. D'où ce choix du format scope, des objectifs caméra, et de revisiter avant le tournage, mes collaborateurs et moi, des films du passé où la nature me semble avoir été captée dans toute sa splendeur et sa violence tels Délivrance ou Voyage au bout de l’enfer. Je ne cacherai pas qu'une certaine nostalgie du cinéma des années 70 a teinté tout le processus, dès l'écriture du scénario. 

La mise en scène repose majoritairement sur le choix du plan unique et du temps réel. Qu’est-ce qui a motivé ce choix ? 

La première raison qui me vient à l'esprit est que je n'aime pas beaucoup découper. Par exemple, dans le champ contrechamp, il y a toujours quelque chose qui se perd au moment où un comédien sait qu'il n'est plus dans le cadre. Pour maintenir cette tension, j'ai choisi le plan-séquence, notamment dans les trois dîners. Tous les comédiens apparaissent dans le même plan. Je me suis rendu compte que ce choix améliore leur façon de jouer. Il y a une énergie particulière qui se met en place. Cela laisse les comédiens comme le reste de l'équipe sur le qui-vive. Nous avons alors la possibilité de refaire de nombreuses fois la scène en explorant toutes sortes de variations. Nous ne nous sommes jamais ennuyés parce qu'il y avait toujours quelque chose de différent qui se produisait. Je ne suis pas un auteur très jaloux de son texte dans le sens où je laisse beaucoup de liberté aux comédiens. J'ai envie qu'ils se réapproprient le dialogue et qu'ils le jouent à leur manière. Et parfois, il y a des éclairs de génie qui se produisent : ils sortent un truc formidable que je n'avais pas écrit et qui surprend tout le monde. Cette surprise contribue à redonner du souffle à notre travail.

Drame de Philippe Lesage. Propos recueilli par Chloé Lorenzi et Marie-Lou Duvauchelle. 3 étoiles AlloCiné.

">