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Eat the Night


Pablo et sa sœur Apolline s’évadent de leur quotidien en jouant à Darknoon, un jeu vidéo qui les a vus grandir. Un jour, Pablo rencontre Night, qu’il initie à ses petits trafics, et s’éloigne d'Apolline. Alors que la fin du jeu s’annonce, les deux garçons provoquent la colère d’une bande rivale.


Entretien avec les réalisateurs, Caroline Poggi et Jonathan Vinel.

Ce jeu, Darknoon, existe-il ?

Jonathan : Non, nous l’avons inventé de toutes pièces pour Eat the night avec Lucien Krampf et Saradibiza. C’est un jeu, dont le film ne dit jamais l’histoire. On les voit jouer mais on ne sait pas pour quels enjeux. Ce qui nous intéresse, ce sont les gens qui le chargent. Ce qu’ils se disent entre eux, les sentiments qui naissent, se tissent à travers lui. Je suis un gamer, mais j’aime beaucoup zoner dans les jeux, aller là où il y a peu d’action. Le jeu m’a appris à voir autrement le cinéma de l’errance, de la contemplation. Gus van Sant, Béla Tarr ou Apichatpong Weerasethakul furent des chocs esthétiques quand j’ai commencé à m’intéresser au cinéma. J’étais déjà un gros joueur et je ne voyais aucune contradiction entre ce cinéma et ma pratique de joueur, toujours un peu zonarde. Ça étonne toujours ceux qui se font du jeu une vision uniformément violente, compulsive, cathartique. Eat the Night tente donc de creuser des galeries possibles entre le jeu et la vie. La différence, elle est dans la mort. Le jeu, on perd, on recommence. Dans le réel, la violence peut tuer.

On accuse très souvent le jeu d’être responsable des violences adolescentes.

Caroline : Notre film ne cherche pas à adopter une position que certains qualifieraient de morale sur le jeu et sur ses effets sur le réel. Il atteste d’une contamination de l’un par l’autre, jusque dans la mise en scène. On ne peut pas raconter quelque chose de cette communication entre ces deux mondes, virtuel et réel, en partant avec l’intention de dénoncer telle influence ou tel comportement. Le fait est que les jeux vidéo existent dans des foyers depuis des décennies et qu’aujourd’hui le profil du joueur n’est plus seulement celui d’un garçon de treize ans : beaucoup de gens jouent, des générations ont grandi avec ça. Ils irriguent les rapports entre humains, notre aptitude ou pas à se lier entre nous, notre façon de concevoir un évènement, l’espace dans lequel nous évoluons. C’est ce qui nous intéresse. 

Que se passe-t-il quand le jeu s’empare de la vie de vos personnages ?

Caroline : Ils ont passé plus de temps dans le virtuel que dans la rue. Cela crée des situations de rupture. Apo est bloquée dans sa capacité à agir à l’extérieur, là où le jeu la sexualise, la rend forte, héroïque. Elle va devoir apprendre à être autre chose que son avatar, sans pour autant en être le miroir inversé. Comme chacun de nous, elle se cherche.

Filmer ce jeu, Darknoon, que vous avez totalement inventé, c’est l’autre part de mise en scène de Eat the Night… Comment s’est-elle organisée avec « l’autre » mise en scène ?

Jonathan : On invente un jeu mais on est dans une pensée de cinéma. On l’a filmé comme on a toujours fait : très cadré, figé, découpé au cordeau. Les scènes dans le réel laissent au contraire le champ libre aux déplacements, à l’acteur, aux mouvements de caméra. C’est la présence du jeu qui nous a permis de mettre en scène l’espace différemment.

Enfin, parlons un peu de la musique. C’est la première fois que vous la faites composer par un musicien pour l’un de vos films ?

Caroline : Oui ! Ssaliva est un compositeur belge de notre génération. Nous avons des références communes, on a grandi avec le même terreau culturel. Dans sa musique, il travaille le collage, la contamination, la déformation, la désintégration. Il n’a pas peur des excès, des débordements. Il n’est pas « sage » dans son travail. En cela, sa musique était un langage parfait. Il a su créer des passerelles entre les différents univers mais aussi un relais d’émotions entre les personnages, entre leurs avatars.

Drame, Thriller de Caroline Poggi et Jonathan Vinel. Propos recueilli par Karine Durance. 3,3 étoiles AlloCiné.

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