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Emilia Perez


Surqualifiée et surexploitée, Rita use de ses talents d’avocate au service d’un gros cabinet plus enclin à blanchir des criminels qu’à servir la justice. Mais une porte de sortie inespérée s’ouvre à elle, aider le chef de cartel Manitas à se retirer des affaires et réaliser le plan qu’il peaufine en secret depuis des années : devenir enfin la femme qu’il a toujours rêvé d’être.


Entretien avec le réalisateur, Jacques Audiard.

Comment l’idée initiale du film vous est-elle venue ?

Il y a six ans, j’ai lu le roman de Boris Razon, Écoute. Au milieu du livre apparaît un personnage de narco trans désirant se faire opérer. Le personnage n’étant pas vraiment développé dans les chapitres suivants, j’ai décidé d’en faire le point de départ d’une histoire. 

Comment a éclos le scénario à partir de là ?

Durant le premier confinement, j’ai écrit rapidement un traitement et me suis aperçu, chemin faisant, que cela prenait plus la forme d’un livret d’opéra que d’un scénario de film : division en actes, peu de décors, personnages archétypaux...

À quel moment le livret est-il devenu scénario ?

Quand j’ai commencé à transformer les personnages du roman. Dans le livre, l’avocat était un homme un type usé, sans illusion, au bout du rouleau. J’en ai fait une femme, avocate également, mais jeune, ambitieuse, sans scrupule, cynique et grâce à l’incarnation Zoe Saldaña, AfroCaribéenne de surcroit. Un personnage donc, avec de grandes possibilités d’évolutions et de retournements. J’ai aussi commencé à voir un scénario qui, à l’instar d’Emilia, traverserait les genres  : noir, mélodrame, comédie de mœurs, comédie musicale, télénovela.

Emilia Pérez pose le problème un peu différemment, en affrontant la question de la masculinité comme corolaire indissociable de la violence…

C’est au fond, une histoire de rachat  : est-ce que le fait de changer de genre peut faire percevoir différemment la violence des hommes  ? Fondamentalement, je ne pense pas. Que le personnage d’Emilia se joue ce scénario avec conviction, soit, mais la violence la rattrape quand même. C’est le chemin qui la conduit à sortir de ce cercle de violence qui est en lui-même vertueux. A l’arrivée, qu’on y laisse sa peau ou qu’on y survive, on a appris quelque chose.

Le film a été tourné principalement en studio, à Paris. Est-ce le résultat d’un choix artistique ou d’une nécessité technique ?

Nous sommes allés plusieurs fois repérer au Mexique. Mais ça ne collait pas : tous les décors me paraissaient trop réels, trop solides, trop grands, trop petits, trop compliqués… L’intuition initiale portait en elle un opéra, pourquoi ne pas y revenir, retourner à l’ADN du projet et le tourner en studio. C’est la parfaite illustration de ce que je vous disais précédemment à propos du temps perdu à nier l’intuition initiale. 

Parlez-nous un peu du casting.

J’ai rencontré Selena Gomez un matin à New York. J’avais le souvenir de Spring Breakers, d’Harmony Korine (2013), mais je savais très peu de choses d’elle. En dix minutes, j’ai su que ce serait elle. Je le lui ai d’ailleurs dit et elle ne m’a pas cru. Quand, un an plus tard, nous l’avons appelée pour lui dire que le film se faisait, elle croyait que je l’avais oubliée !

Comment avez-vous construit, avec les différentes équipes, le personnage de Manitas ?

Nous en avons beaucoup parlé avec Virginie Montel. Pour ce personnage, la question était  : comment déduire Manitas d’Emilia, et jusqu’à quel point  ? Virginie a fait pas mal d’essais avec son équipe (maquillage, effets spéciaux, costumes), jusqu’à parvenir à ce physique de brute douce à voix d’ange. Et je m’y suis moi-même fait prendre : quand j’ai vu les premières photos de Manitas, je n’ai pas reconnu Karla Sofía. 

Drame, Comédie musicale, Thriller de Jacques Audiard. 4,2 étoiles AlloCiné. Festival de Cannes prix du jury et d'interprétation féminine 2024.

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