Melissa, 32 ans, surveillante pénitentiaire expérimentée, s’installe en Corse avec ses deux jeunes enfants et son mari. L’occasion d’un nouveau départ. Elle intègre les équipes d'un centre pénitentiaire pas tout à fait comme les autres. Ici, on dit que ce sont les prisonniers qui surveillent les gardiens. L’intégration de Melissa est facilitée par Saveriu, un jeune détenu qui semble influent et la place sous sa protection. Mais une fois libéré, Saveriu reprend contact avec Melissa. Il a un service à lui demande. Une mécanique pernicieuse se met en marche.
BORGO était le tout premier titre, celui qui a accompagné l’écriture du film. On en a ensuite testé plusieurs, dont IBIZA qui a été le titre utilisé pendant le tournage. L’origine tient un peu aux deux : j’avais depuis longtemps envie de faire un film sur la Corse. C’est un endroit qui me fascine autant qu’il m’échappe. Reste qu’il me fallait une porte d’entrée, je devais trouver le moyen d’aborder la réalité corse de mon point de vue de Continental. Mon attention s’est portée sur cette matonne dont j’ai découvert l’histoire dans la presse : une femme surveillante pénitentiaire en Corse depuis peu qui s’est retrouvée impliquée dans un règlement de compte entre bandes rivales. La matonne avait eu à désigner « la cible » alors qu’elle arrivait à l’aéroport de Poretta, tâche dont elle s’est acquittée en donnant un baiser à la future victime. J’ai souhaité m’inspirer des faits réels tout en prenant le parti de créer des personnages de fiction à 100%, en laissant de côté le point de vue des criminels et concentrant mon récit sur le destin d’une surveillante pénitentiaire.
On a tous déjà ressenti, à des degrés différents bien sûr, l’impression d’être un étranger ou un minoritaire quelque part, au sens où la langue mais parfois simplement les codes ou la culture d’un groupe nous échappe. Le fait de prendre une Française, d’origine maghrébine et de la faire entrer dans un endroit insulaire comme la Corse plaçait d’emblée, et de manière exacerbée, le personnage de Melissa dans la peau d’une étrangère. Je ne me l’étais pas formulé ainsi mais Melissa arrive sur une île qui est fermée de fait par sa situation géographique, la Corse constituant de surcroît une micro-sociéte très affirmée. Et Melissa se rend dans une prison qui, par définition, est aussi une micro-société. Elle éprouve de plus un sentiment d’enfermement au sein de sa cellule familiale. Il est donc incontestable qu’il y a dans BORGO un principe d’enfermement qui est à l’œuvre, qui explique le fonctionnement des uns et des autres. Saveriu est conditionné par là où il vit, a grandi, par la manière dont les jeux de pouvoirs s’exercent sur cette île. Je voulais donc filmer la Corse, mais telle que Melissa la perçoit. Pas celle des cartes postales, mais la Corse de celles et ceux qui y vivent ou qui s’y rendent pour y vivre.
Complètement, même si je ne pense pas que BORGO soit un film social, cette dimension m’intéressait en premier chef : Melissa comme ces autres personnages sont des subalternes qui souffrent de cette condition. Melissa finit par avoir l’illusion de s’en extraire mais elle continue en fait de répondre à des injonctions, celles de sa hiérarchie ou de ceux qui l’entourent, y compris donc certains détenus ou anciens détenus. Elle est tout le temps prise dans un rapport de forces. Il en va de même pour Saveriu. Chaque personnage finit par être l’obligé d’un autre. De la même manière j’ai tenu à filmer des authentiques Corses parce qu’ils ont tous une part de vérité par leur phrasé, leurs corps. Ils portent leur propre histoire et celle-ci n’est pas souvent filmée. Toutes proportions gardées, cela donne une dimension sociologique à BORGO. J’aime faire des films qui vont vers la fiction romanesque, décollent du réel mais à condition de partir de lui.
Le cinéma sert à prendre du recul, regarder les choses différemment en modifiant les points de vue, la distance et le rythme là où la frénésie médiatique permanente des images y échoue. Cette enquête dit donc que ce n’est pas en multipliant les angles qu’on comprendra mieux la vérité d’un être. On accèdera peut-être à une partie de celle des faits encore que les images sont parfois trompeuses mais jamais à l’essence des choses. J’aimais par ailleurs l’idée d’une enquête qui n’avance pas, à l’inverse précisément de l’usage des films policiers où des indices nouveaux alimentent systématiquement la dramaturgie. Or, la réalité d’un commissariat de police est souvent celle d’enquêtes qui stagnent ou sont laissées de côté. J’ai essayé de montrer ces tâtonnements parce que la condition des êtres humains est parfois tout autant absurde : on fait ce qu’on peut mais on n’y arrive pas. De plus, montrer des policiers qui ont un accès privilégié à certaines images mais qui n’arrivent pas à les décrypter dit quelque chose de notre société d’hyper contrôle et de ses limites.
Drame de Stéphane Demoustier. Propos recueilli par Marie Queysanne. 4 étoiles AlloCiné.