Des chercheurs et des chercheuses de l'Inserm, d'INRAE, de l'Université Sorbonne Paris Nord, de l'université Paris Cité et du Cnam, ont entrepris d'étudier les possibles liens entre les habitudes d'apports alimentaires en additifs émulsifiants et la survenue de diabète de type 2 entre 2009 et 2023.
Ils ont analysé les données de santé de 104 139 adultes participant à l’étude de cohorte française NutriNet-Santé, en évaluant spécifiquement leur consommation de ce type d’additifs grâce à des enquêtes alimentaires tous les 6 mois. Les résultats de cette recherche suggèrent une association entre l’ingestion chronique de certains additifs émulsifiants et un risque accru de diabète.
En Europe et en Amérique du Nord, 30 à 60 % de l’apport énergétique alimentaire des adultes provient d’aliments ultra-transformés. De plus en plus d’études épidémiologiques suggèrent un lien entre une consommation élevée d’aliments ultra-transformés et un risque accru de diabète et d’autres troubles métaboliques.
Les émulsifiants figurent parmi les additifs les plus couramment utilisés dans ces aliments. Ils sont souvent ajoutés aux aliments industriels transformés et emballés tels que certaines pâtisseries, gâteaux et desserts, yaourts, glaces, barres chocolatées, pains industriels, biscottes, margarines et plats préparés, afin d’améliorer leur apparence, leur goût, leur texture et leur durée de conservation. Ils comprennent notamment les mono- et diglycérides d’acides gras, les carraghénanes, les amidons modifiés, les lécithines, les phosphates, les celluloses, les gommes et les pectines.
Pour la première fois au niveau international, une équipe de chercheuses et de chercheurs français s’est intéressée aux relations entre les apports alimentaires en émulsifiants, cumulés sur un suivi maximal de 14 ans, et le risque de développer un diabète de type 2 dans une grande étude en population générale.
Les résultats sont fondés sur l’analyse des données françaises de 104 139 adultes (âge moyen 43 ans ; 79 % de femmes) qui ont participé à l’étude de cohorte NutriNet-Santé (voir encadré ci-dessous) entre 2009 et 2023.
Les participants ont renseigné en ligne tous les aliments et boissons consommés et leur marque (pour les produits industriels), sur au moins deux journées d’enregistrements alimentaires. Ils étaient régulièrement réinterrogés sur leurs consommations alimentaires, tous les 6 mois sur 14 ans. Ces enregistrements ont été mis en relation avec des bases de données afin d’identifier la présence et la dose des additifs alimentaires (dont les émulsifiants) dans les produits consommés. Des dosages en laboratoire ont également été effectués pour fournir des données quantitatives. Cela a permis de calculer l’exposition chronique au fil du temps à ces émulsifiants.
Au cours du suivi, les participants ont déclaré la survenue de diabète (1 056 cas diagnostiqués), et les déclarations ont été validées grâce à une stratégie multi-sources (incluant la déclaration et le remboursement d’anti-diabétiques). Plusieurs facteurs de risque bien connus pour le diabète, notamment l’âge, le sexe, le poids (IMC), le niveau d’éducation, les antécédents familiaux, le tabagisme, l’alcool et les niveaux d’activité physique, ainsi que la qualité nutritionnelle globale de l’alimentation (dont les apports en sucre) ont été pris en compte dans l’analyse.
Après un suivi moyen de 7 ans, les chercheurs ont observé que l’exposition chronique évaluée par des données répétées aux émulsifiants suivants était associée à un risque accru de diabète de type 2 :
- Carraghénanes (carraghénanes totaux et E407 ; augmentation de risque de 3 % par incrément de 100 mg par jour).
- Phosphate tripotassique (E340 ; augmentation de risque de 15 % par incrément de 500 mg par jour).
- Esters d’acide acétyltartrique de monoglycérides et de diglycérides d’acides gras (E472e ; augmentation de risque de 4 % par incrément de 100 mg par jour).
- Citrate de sodium (E331 ; augmentation de risque de 4 % par incrément de 500 mg par jour).
- Gomme-guar (E412 ; augmentation de risque de 11 % par incrément de 500 mg par jour).
- Gomme arabique (E414 ; augmentation de risque de 3 % par incrément de 1000 mg par jour).
- Gomme xanthane (E415, augmentation de risque de 8 % par incrément de 500 mg par jour).
« Ces résultats sont issus d’une seule étude observationnelle pour le moment, et ne permettent pas à eux seuls d’établir un lien de cause à effet. Ils doivent être reproduits dans d’autres études épidémiologiques à travers le monde, et complétés par des études expérimentales toxicologiques et interventionnelles, pour éclairer davantage les mécanismes liant ces additifs émulsifiants et la survenue du diabète de type 2. Ils donnent des éléments clés pour enrichir le débat sur la réévaluation de la réglementation relative à l’utilisation des additifs dans l’industrie alimentaire, afin de mieux protéger les consommateurs », expliquent Mathilde Touvier, directrice de recherche à l’Inserm, et Bernard Srour, professeur junior à INRAE, principaux auteurs de l’étude.
Parmi les prochaines étapes, l’équipe de recherche va s’intéresser aux variations de certains marqueurs sanguins et du microbiote intestinal en lien avec la consommation de ces additifs, pour mieux comprendre les mécanismes sous-jacents. Elle va également s’intéresser aux impacts sur la santé des mélanges d’additifs et de leurs potentiels « effets cocktails ». Des travaux en collaboration avec des toxicologues vont également permettre de tester l’impact de ces expositions dans le cadre d’expérimentations in vitro et in vivo, pour rassembler plus d’arguments en faveur d’un lien causal.
Source et photo : inserm.