Corse, 1995. Lesia vit son premier été d’adolescente. Un jour, un homme fait irruption et la conduit à moto dans une villa isolée où elle retrouve son père, en planque, entouré de ses hommes. Une guerre éclate dans le milieu et l’étau se resserre autour du clan. La mort frappe. Commence alors une cavale au cours de laquelle père et fille vont apprendre à se regarder, à se comprendre et à s’aimer.
La première étincelle est née il y a six ans, quand ma femme m’a annoncé qu’elle était enceinte. Cette nouvelle m’a pas mal secoué pendant quelques semaines. Inconsciemment, je me suis interrogé sur l’enfant que j’allais avoir, le père que j’allais tenter d’être, et inévitablement l’enfant que j’avais été, les parents que j’avais eu… Un souvenir prégnant de l’enfance a alors émergé : j’avais 10 ans, j’étais avec mon père et ses amis dans un campement de fortune en bord de mer, sans rien ni personne autour. On péchait, on dormait à la belle étoile, c’était la vie sauvage. J’ai appris des années plus tard que ce moment avait été un tout autre enjeu pour lui. Ce souvenir en tête, l’idée du film a émergé : Un père et sa fille qui, le temps d’une cavale qui tourne mal, tentent d’apprendre à se connaitre, à se comprendre et à s’aimer.
Le Royaume en tant que territoire pour lequel on se bat. Entre personnes du même peuple ou contre les autres. Le Royaume car les pères y sont regardés comme des rois par leurs enfants, avant d’y mourir et d’être remplacés inlassablement par les suivants. Le Royaume imaginaire, celui des souvenirs, des sensations, celui dont nous seuls avons les clés. Car les liens que nous tissons sont toujours liés à des lieux, des odeurs, des sensations. Comme Le Royaume que Lesia aura eu la chance de connaitre avec son père, et qu’elle se remémorera une fois adulte comme son paradis perdu.
Je ne voulais pas de dogme qui impose une vérité. Rien n’est blanc ou noir dans ce film, tout est gris. Je souhaitais que la mise en scène soit le reflet de cette cavale, mouvante, en proie au changement, ce qui est déroutant pour le spectateur car rien n’est normé ou acquis. Cette imprévisibilité permanente me paraissait fondamentale à retranscrire. Avec Antoine Cormier, mon chef opérateur, on a laissé place aux variations, aux ruptures entre une caméra épaule fragile, des zooms très lents parfois, des mouvements fluides précis ou encore de longs plans plus contemplatifs. Les personnages du film sont en quête d’une liberté qui leur est interdite. La mise en scène, elle, devait être libre, pour relater la complexité des situations, des émotions, des silences, des non-dits… On a cherché tout au long du processus de fabrication à atteindre le naturalisme esthétique le plus sobre possible.
Dès les prémices du projet, je souhaitais écrire avec une femme. Quand on s’est rencontrés avec Jeanne, tout a été évident. Nos sensibilités, nos approches, nos méthodes… Ces mois passés ensemble n’ont été que travail et douceur. Jeanne est l’une des plus belles rencontres de ma vie d’homme et de cinéaste.
On a des obsessions différentes parce qu’on a des histoires différentes, mais je me retrouve beaucoup dans tous ces films comme elle se retrouve dans Le Royaume je pense.
Drame de Julien Colonna. Propos recueilli par Monica Donati. Selection officiel 2024. 4 étoiles AlloCiné.