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Licenciement de la salariée enceinte et régime d’indemnisation


Mme [O], embauchée par la société [L] en 2011, a été licenciée pour faute grave en 2018. Contestante ce licenciement, elle a saisi les prud'hommes. La Cour de cassation a confirmé que le licenciement était nul et obligeait l'employeur à verser à la salariée une indemnité et un rappel de salaires pour la période de protection.

Faits et procédure

1. Selon l’arrêt attaqué (Douai, 17 février 2023), Mme [O] a été engagée, en qualité de caissière employée libre service, le 24 septembre 2011, par contrat à durée déterminée, devenu à durée indéterminée le 1er janvier 2012, par la société [L].

2. Licenciée pour faute grave le 16 octobre 2018, la salariée a saisi la juridiction prud’homale de demandes relatives à l’exécution et la rupture de son contrat de travail.

Examen des moyens

Sur les premier et troisième moyens

3. En application de l’article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n’y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces moyens qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

4. L’employeur fait grief à l’arrêt de le condamner à payer à la salariée une somme au titre des salaires dus pendant la période de protection couverte par la nullité et des congés payés afférents, alors « que lorsque le licenciement d’une salariée est jugé nul pour avoir été prononcé en lien avec son état de grossesse et que la salariée ne demande pas sa réintégration, elle a droit à l’attribution d’une indemnité déterminée conformément aux dispositions de l’article L. 1235-3-1 du code du travail, autrement dit à une indemnité équivalant à au moins six mois de salaire ; qu’elle n’a plus droit en revanche, depuis l’entrée en vigueur de l’ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, au montant des salaires qu’elle aurait dû percevoir pendant la période couverte par la nullité ; qu’en l’espèce, en accordant à Mme [O], en sus de l’indemnité prévue par l’article L. 1235-3-1 du code du travail, un rappel de salaire correspondant aux salaires dus pendant la période de protection couverte par la nullité en se prévalant de la jurisprudence applicable à la salariée qui demande sa réintégration ou qui y renonce, quand il ressortait de ses propres constatations que Mme [O] n’avait jamais demandé sa réintégration, la cour d’appel a violé les articles L. 1225-71 et L. 1235-3-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

5. Selon l’article 10 de la directive 92/85/CEE du 19 octobre 1992 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l’amélioration de la sécurité et de la santé des travailleuses enceintes, accouchées ou allaitantes au travail, en vue de garantir aux travailleuses, au sens de l’article 2, l’exercice des droits de protection de leur sécurité et de leur santé reconnus dans le présent article, il est prévu que :

1) les États membres prennent les mesures nécessaires pour interdire le licenciement des travailleuses, au sens de l’article 2, pendant la période allant du début de leur grossesse jusqu’au terme du congé de maternité visé à l’article 8 paragraphe 1, sauf dans les cas d’exception non liés à leur état, admis par les législations et/ou pratiques nationales et, le cas échéant, pour autant que l’autorité compétente ait donné son accord ;

2) lorsqu’une travailleuse, au sens de l’article 2, est licenciée pendant la période visée au point 1, l’employeur doit donner des motifs justifiés de licenciement par écrit ;

3) les États membres prennent les mesures nécessaires pour protéger les travailleuses, au sens de l’article 2, contre les conséquences d’un licenciement qui serait illégal en vertu du point 1.

6. Selon l’article 18 de la directive 2006/54/CE du Parlement européen et du Conseil du 5 juillet 2006 relative à la mise en oeuvre du principe de l’égalité des chances et de l’égalité de traitement entre hommes et femmes en matière d’emploi et de travail, les États membres introduisent dans leur ordre juridique interne les mesures nécessaires pour veiller à ce que le préjudice subi par une personne lésée du fait d’une discrimination fondée sur le sexe soit effectivement réparé ou indemnisé selon des modalités qu’ils fixent, de manière dissuasive et proportionnée par rapport au dommage subi. Une telle compensation ou réparation ne peut être a priori limitée par un plafond maximal, sauf dans les cas où l’employeur peut prouver que le seul dommage subi par un demandeur comme à la suite d’une discrimination au sens de la présente directive est le refus de prendre en considération sa demande d’emploi.

7. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, arrêt du 11 novembre 2010, Danosa, C-232/09, point 59), un licenciement pendant le congé de maternité, mais également pendant toute la durée de la grossesse ne peut concerner que les femmes et constitue, dès lors, une discrimination directe fondée sur le sexe.

8. La Cour de justice de l’Union européenne rappelle que, dans l’hypothèse d’un licenciement discriminatoire, le rétablissement de la situation d’égalité ne pourrait être réalisé à défaut d’une réintégration de la personne discriminée, ou, alternativement, d’une réparation pécuniaire du préjudice subi (CJCE, arrêt du 2 août 1993, Marshall, C-271/91, point 25) et que lorsque la réparation pécuniaire est la mesure retenue pour atteindre l’objectif de rétablir l’égalité des chances effective, elle doit être adéquate en ce sens qu’elle doit permettre de compenser intégralement les préjudices effectivement subis du fait du licenciement discriminatoire, selon les règles nationales applicables (CJUE, arrêt du 17 décembre 2015, Arjona Camacho, C-407/14, points 32 et 33).

9. Selon l’article L. 1225-71 du code du travail, la nullité du licenciement est encourue lorsque l’employeur licencie la salariée en état de grossesse médicalement constaté, pendant l’intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l’expiration de ces périodes, sauf s’il justifie d’une faute grave de l’intéressée, non liée à l’état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l’accouchement.

10. Selon l’article L. 1235-3-1 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, l’indemnité de licenciement est due sans préjudice du paiement du salaire, lorsqu’il est dû en application des dispositions de l’article L. 1225-71 et du statut protecteur dont bénéficient certains salariés en application du chapitre Ier du titre Ier du livre IV de la deuxième partie du code du travail, qui aurait été perçu pendant la période couverte par la nullité et, le cas échéant, sans préjudice de l’indemnité de licenciement légale, conventionnelle ou contractuelle.

11. Il résulte de la combinaison de ces dispositions, interprétée à la lumière des articles 10 de la directive 92/85/CEE et 18 de la directive 2006/54/CE précités, que la salariée, qui n’est pas tenue de demander sa réintégration, a droit, outre les indemnités de rupture et une indemnité au moins égale à six mois de salaire réparant intégralement le préjudice subi résultant du caractère illicite du licenciement, aux salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité.

12. La cour d’appel a d’abord retenu que l’employeur ne démontrait pas l’existence d’une faute grave commise par la salariée et qu’il avait connaissance de son état de grossesse et a prononcé la nullité du licenciement. Elle a ensuite rappelé que la période de protection était de dix semaines suivant l’expiration du congé de maternité, soit jusqu’au 10 juin 2019 et en a exactement déduit que l’employeur devait être condamné à lui payer les salaires qu’elle aurait perçus pendant la période couverte par la nullité et les congés payés afférents.

13. Le moyen n’est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Lidl aux dépens ;

En application de l’article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société [L] et la condamne à payer à Mme [O] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille vingt-quatre.

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