Haoui.com

Maria


Maria n’est plus une enfant et pas encore une adulte lorsqu’elle enflamme la pellicule d’un film sulfureux devenu culte : Le Dernier tango à Paris. Elle accède rapidement à la célébrité et devient une actrice iconique sans être préparée ni à la gloire ni au scandale.



Entretien avec la réalisatrice, Jessica Palud. 

MARIA est l’adaptation libre du livre de Vanessa Schneider. Mais dans votre film, vous déplacez le point de vue, c’est le regard de Maria Schneider qui scande le récit.

Dans son livre, Vanessa Schneider abordait sa cousine Maria par le prisme de l’intime, par le regard du témoin familial. Pour le film, je souhaitais déplacer ce point de vue et me focaliser sur Maria. Être dans son regard et ne jamais l’abandonner, faire la traversée avec elle. Le film est donc raconté uniquement à travers les yeux de Maria Schneider. Elle est de toutes les séquences. Il y a quelque chose chez elle qui me touchait profondément, sa liberté, ses choix et leurs conséquences. Maria est une des premières comédiennes à avoir parlé, elle a dénoncé les abus, et personne ne l’a écoutée. Cette parole s’inscrit dans une époque où il était impossible de remettre en cause la parole, la position de certains réalisateurs, de l’artiste tout puissant. On n’évoquait pas la place de la femme dans le cinéma, ni les dérives que l’on passait sous silence au nom de l’art. La création peutelle émerger de l’humiliation, de la douleur et du mépris ? Ce que le film interroge, ce sont les limites de l’art, de l’intégrité bafouée, de l’utilisation d’une jeune comédienne et de la trahison qu’elle ressent. Et ces questions, que le film propose de soulever, sont posées à travers le regard de Maria.

Vous connaissez parfaitement les plateaux de cinéma, vous avez été longtemps assistante mise en scène avant de devenir réalisatrice…

Au même âge que Maria Schneider lors du tournage du Dernier tango à Paris, à 19 ans, j’ai rencontré Bernardo Bertolucci : j’étais stagiaire sur The Dreamers. Très admirative du travail de Bertolucci, je me suis souvent demandé comment il avait dirigé Maria sur Le Dernier tango à Paris. L’histoire de Maria Schneider m’a percutée, sans doute parce qu’elle faisait écho à mon expérience des plateaux de tournage lorsque je travaillais comme assistante. Il y a encore une dizaine d’années, sur un plateau, il y avait peu de femmes. J’étais souvent la plus jeune et toujours entourée d’hommes. J’ai assisté à des scènes compliquées, des acteurs et des actrices humiliés et j’ai ressenti moi-même l’emprise dont certains réalisateurs abusaient. Alors, c’est vrai que l’histoire de Maria Schneider m’a bouleversée. Je ne cherche pas à accuser, ni à juger, mais à faire avec l’héritage et à offrir un portrait de cette société, à travers un regard inédit, celui de Maria Schneider.

La structure de votre film est très précise, vous jouez avec les ellipses temporelles que vous articulez aux moments de rupture de la vie de Maria.

Je souhaitais une dramaturgie elliptique avec Maria comme fil conducteur. Me concentrer sur elle, ne jamais la lâcher  : être dans sa peau, dans son souffle, ressentir à sa place. Avec ma co-scénariste Laurette Polmanss nous nous sommes attelées à saisir des périodes charnières de sa vie ; son adolescence et ses rapports chaotiques avec ses parents, ses débuts fracassants au cinéma avec le tournage du Dernier tango à Paris, sa descente aux enfers, puis sa rencontre avec Noor, cette jeune femme qui posera un nouveau regard sur elle.

Votre film est très documenté, bien qu’il s’agisse d’une œuvre de fiction, on sent que l’écriture du scénario a été nourrie de rencontres…

J’ai échangé avec de nombreuses personnes qui ont traversé la vie de Maria Schneider. Je trouvais nécessaire de confronter de multiples points de vue pour mettre à jour sa vérité. Le témoignage d’une personne en particulier m’a été précieux. Il m’a permis de rentrer dans l’intime de Maria, puisqu’il a vécu le tournage du Dernier tango à Paris et a été l’ami de la jeune femme pendant 17 ans. Par ailleurs, j’ai lu et vu énormément d’interviews de Maria dans les médias français comme étrangers. Ce qui m’a frappé, c’est qu’à chaque fois elle disait des choses que personne ne semblait entendre. Ses propos apparaissent en 2024 comme très contemporains alors qu’ils datent des années 70 !

Comment percevez-vous les échos entre l’histoire de Maria Schneider et celles des actrices contemporaines qui dénoncent les violences subies sur les plateaux, et dans le monde du cinéma ?

En écrivant et réalisant ce film, j’ai souhaité faire ressentir le lent poison du traumatisme, et ce de manière universelle. Je ne pouvais pas m’attendre à ce qui se passe aujourd’hui, à l’ampleur du débat et des témoignages. Avec l’histoire de Maria, on comprend qu’il faut protéger les jeunes gens qui débarquent dans ce milieu sans y être préparés. Que la trahison et la manipulation ne sont pas des outils nécessaires à la mise en scène de cinéma. Tout le monde moi y compris cherche la magie au tournage, l’accident, l’émotion qui surgit. Mais je suis certaine qu’on peut y parvenir sans humiliation. Je pense même que cette forme de direction d’acteur est d’autant plus passionnante : chercher et y arriver ensemble, sans recourir à une quelque forme de violence que ce soit. Les choses évoluent et c’est tant mieux. Reconnaître les dysfonctionnements, c’est déjà une première étape. Mais il reste à faire.

Vous dédiez votre film à Maria Schneider...

Avec ce tournage, je me sens profondément liée à Maria. J’espère enfin que maintenant, on l’écoute. Seul notre regard collectif pourra la restaurer. Est-on capable, même aujourd’hui, d’aborder cette histoire à travers son regard à elle et à elle seule ? Pour que son « Non », enfin, soit entendu.

Biopic, Drame de Jessica Palud. 3.6 étoiles AlloCiné. 1 nomination au Festival de Cannes 2024 (Edition 77). 

">