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Un p’tit truc en plus


Pour échapper à la police, un fils et son père en cavale sont contraints de trouver refuge dans une colonie de vacances pour jeunes adultes en situation de handicap, se faisant passer pour un pensionnaire et son éducateur spécialisé. Le début des emmerdes et d’une formidable expérience humaine qui va les changer à jamais.


Entretien avec le réalisateur, Artus.

Deux braqueurs en cavale qui se planquent dans une colo pour adultes porteurs d’un handicap mental : comment vous est venue l’idée ? 

J’ai toujours eu envie de montrer ce dont sont capables les personnes porteuses d’un handicap mental : elles ont un imaginaire incroyable, une magie, ou une folie, qu’on ne rencontre pas ailleurs. C’est avec elles que je voulais faire un film. Pas sur elles. Le handicap, en soi, n’est pas le sujet. Ce film, c’est une colonie de vacances, avec tous les moments de vie que cela suppose, mais puissance mille parce que l’histoire, est portée et jouée, par des gens qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma.

Vous avez donc onze acteurs en situation de handicap mental au centre du dispositif : pour un premier film, c’est un pari risqué…

C’est ce que tout le monde m’a dit et j’en avais évidemment conscience. Mais si je ne devais en faire qu’un seul, alors, je voulais que ce soit celui-là. On s’est heurtés à beaucoup de refus. On a entendu des phrases complètement dingues « bon, ça va, on sait qu’ils existent, on va pas les montrer non plus »… C’est affligeant. Ça raconte la peur, le rejet que suscite le handicap, aujourd’hui encore. Mais justement, c’est pour ça qu’il faut aller sur ces sujets-là. Moi, en tous cas, plus on me disait « non », plus j’avais envie de faire ce film. 

Vous êtes parrain des Jeux Paralympiques et de Handicap International : d’où vous vient votre engagement ?

Petit, j’étais très attiré par la fantaisie des personnes porteuses d’un handicap mental, par leur capacité à se décaler : tu peux être sûr qu’ils t’emmènent ailleurs et ça fait du bien. Et puis ils ont souvent cette façon d’exprimer leurs émotions sans filtre. Nous, on est tellement empêtrés qu’on arrive rarement à dire « je t’aime/ merci/je suis content d’être avec toi » simplement. Alors que c’est de ça dont on a besoin… Eux savent le faire. Le grand frère d’un ami à moi était porteur de trisomie 21. Quand on jouait au foot et qu’il marquait un but, il y avait une joie folle qui sortait de lui et qu’il nous transmettait. Et puis je devais avoir onze ou douze ans quand j’ai rencontré Victor. Il était dans ma classe, il était autiste, passionné de trains, il me faisait marrer… Donc je l’ai invité à mon anniversaire. Sa mère a téléphoné à la maison pour me parler. Elle m’a demandé : « pourquoi tu veux inviter Victor ? ». J’ai répondu : « parce que je l’aime bien ». Je l’ai sentie très émue et elle a enchaîné : « c’est sûr ? Ce n’est pas pour te moquer de lui ? ». J’ai halluciné : c’était la première fois que Victor était invité à un anniversaire. Moi, ce jour-là, j’ai compris que le handicap pouvait, pour certains, être un problème. Avant, je ne l’imaginais même pas.

Comment s’est passé le tournage ? 

La logistique était complexe : quinze rôles, avec, pour chacun, trente-cinq jours de tournage plus les parents et les éducateurs hors champ… Je ne voulais pas faire un film de valides, où, de temps en temps, on voit passer des personnages en situation de handicap pour rappeler qu’ils sont là. Pour moi, ils étaient au centre et le film était choral : donc il n’y a pas une scène sans eux. Après, dans le groupe, chacun avait une place particulière. Et il fallait trouver, avec chacun, une technique spécifique pour les diriger pour Ludovic, le mieux c’était l’oreillette, mais Arnaud, lui, préférait que je dise sa réplique avant lui, pour qu’il la répète. Ils ne connaissaient pas le plateau de tournage et ses règles, ils s’en foutaient un peu eux étaient venus pour jouer. C’était à nous de laisser vivre, à nous de nous adapter. J’ai dit à mon chef opérateur, Jean-Marie Dreujou : quoiqu’il arrive, il faut qu’on soit sur le qui-vive et il faut filmer. Tant pis si on n’est pas officiellement en train de tourner, ce qui surgit, il faut le choper. Ce qu’on voit, à l’image, ce sont des moments vrais. Pas du jeu.

L’image, justement : comment l’avez-vous travaillée ?

Je voulais faire une belle comédie, un beau film d’été et je savais que Jean-Marie Dreujou, saurait faire ça. Je voulais du soleil, je voulais de la joie et surtout pas de pathos. A chaque fois qu’on filme des personnes porteuses d’un handicap mental, ça se passe dans le Nord et sous la pluie, comme s’il fallait rajouter un temps pourri… Moi, je voulais qu’ils soient stylés. Et qu’ils puissent choisir leurs fringues, comme Mayane a pu choisir son propre maquillage : j’ai briefé les costumières et eux étaient super contents. Pareil pour les accessoiristes : il fallait partir des personnages pour qu’ils aient chacun leur univers. Leur dortoir, je voulais que ce soit un cocon, que la lumière soit chaude, que tout le gîte soit beau, que les plans soient beaux. Pour que tout le monde ait envie d’être avec eux. 

Comédie de Artus. Propos recueilli par Sandra Cornevaux et Lucie Raoult. 4,3 étoiles AlloCiné.

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